Les sciences ont pris un sacré coup de vieux avec le séisme de Sendai. Les géophysiciens étaient aux premières loges pour expliquer ce tremblement de terre de magnitude 9 mais en estimant que les séismes de cette force ne se produisent que tous les vingt-cinq ans… Raté ! C’est le troisième épisode depuis 2004. Sans compter les séquences similaires en 1952, 1957, 1960 et 1964.
Alors que le « big one » est attendu au sud de Tokyo, le séisme de Sendai était, selon le géologue Raul Madariaga (ENS), était inenvisageable. Car le séisme était accompagné d’un tsunami limité alors qu’il aurait dû toucher les 500 kilomètres de rupture de la faille. Raté ! Les sismologues avaient corrélé la vitesse des déplacements des plaques avec l’âge de ces plaques, toujours très jeunes. Celle qui a coulissé à Sendai est très… vieille. Comme à Sumatra en 2004. Encore raté !
Aucune prédiction scientifique – par la statistique – n’étant possible pour l’instant, comment la culture japonais intègre-t-elle cette vulnérabilité de l’archipel ? L’histoire de Godzilla en donne une éclatante réponse. Voici venu du fond du Pacifique un monstre sorti de sa torpeur par le test d’une bombe atomique et qui marche sur Tokyo. Les scénaristes ont retourné la menace pour en faire une force. Pour le critique de cinéma Adrien Gombeaud, « c’est parce qu’il a été détruit que le Japon a pu se projeter dans la modernité après Hiroshima et Nagasaki ». Car dans les films qui montrent le chaos et l’apocalypse, chez Kurosawa et Miyazaki, on trouve toujours un personnage ou un élément montrant la reconstruction. Mais « ce qui domine, ajoute Gombeaud, c’est l’idée de responsabilité : tous les actes humains ont des conséquences. On finit toujours par payer pour sa folie ». Le philosophe Dennis Gira confirme : « Face aux dangers liés aux explosions de la centrale nucléaire où la responsabilité humaine est en jeu, les Japonais vont très vite se réunir à tous les niveaux, réfléchir, chercher les erreurs de jugement pour trouver moyen de faire mieux la prochaine fois. Il y a un mot pour dire cela : hansekai. C’est un exercice épuisant mais très efficace ».
Que faut-il donc apprendre du Japon ? Le tonnage des poissons ? Les performances à l’exportation ? Le chiffre d’affaire de Mitsubishi et le niveau de vie par habitant ? Ou bien que, pour un Japonais, « les forces du ciel sont plus fortes que les hommes, simples locataires de la nature » comme l’explique le chercheur Jean-François Sabouret qui vient de publier un excellent « Japon, la fabrique des futurs » (CNRS-Editions). Faut-il continuer à enseigner un Japon encarté par une statistique internationale qui vient de le déclasser par la Chine (on se demande bien quel sens ça peut avoir) ou faut-il apprendre que la centaine de volcans actifs sur l’archipel donne à la population une conscience aiguë de son humilité face à la nature ? Sabouret aime à citer ce dicton : « Les guêpes sont attirées par les visages qui pleurent ». Ce qui signifie rester stoïque et accepter son destin.
S’il fallait parler des risques perçus par les Japonais – pas ceux qui obsèdent, ad nauseam, la géographie française –, il faudrait dire que les risques sont réfléchis, calculés. Que le bouddhisme, le sentiment de l’impermanence, de la souffrance – dont on se délivre par la mort –, tout cela serait plus utile pour comprendre comment une population peut accepter de vivre sur une terre très dangereuse pour elle. Tout cela pourrait expliquer pourquoi les Japonais préfèrent le bois à la pierre, un matériau friable. Sabouret explique cet esprit d’un recommencement permanent : « Le Japonais vit avec une conscience aiguë de son environnement fragile. Dès la maternelle, des exercices de sécurité pour les séismes leur apprennent à se précipiter sous les tables avec l’institutrice. C’est totalement intégré [1] ». Les Japonais ont toujours tout reconstruit sur des sites qui avaient été dévastés par les tremblements de terre. Tout cela vaudrait bien nos niaiseries sur un Japon-martyr et victime de la fatalité. Les risques ont forgé le Japon, ils ne lui font pas peur.
Gilles Fumey est professeur de géographie à l’université Paris-Sorbonne (master Alimentation et IUFM). Il a étél’animateur des cafés géographiques (1998-2010). Il est rédacteur en chef de La Géographie.
[1] « Dès leur naissance, les Japonais savent que leur île est mortelle », Entretien avec A. Schwartz, La Croix, 15 mars 2011, p. 3.
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