Par Jeanne-Claire Fumet
Les résultats PISA sont plutôt encourageants pour le système scolaire polonais, qui a engagé de profondes réformes depuis 1999 ; mais les acteurs locaux semblent assez partagés sur la valeur et l’évolution de leur système éducatif. Entre les effets d’une délocalisation administrative radicale et le maintien de méthodes pédagogiques plutôt traditionnelles, l’école polonaise semble souffrir d’une certaine désorganisation d’ensemble en dépit des progrès affichés. A l’heure où font rage la guerre des modèles et la surenchère des réformes, la Pologne peut-elle inspirer ses voisines ou bien les inciter à la prudence ?
Le témoignage d’Alain Schneider, attaché de coopération pour le français (antenne de Cracovie) et directeur adjoint de l’Institut Français de Cracovie (IFC), conseiller en coopération éducative et linguistique, spécialiste de l’étude des langues, des systèmes institutionnels et de leur didactique, apporte quelques éclaircissements sur les mutations en cours en Pologne.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots la scolarité polonaise ?
La scolarité se déroule en trois moments principaux : l’école primaire, obligatoire à partir de 7 ans, qui s’étend sur six ans. Vient ensuite le Gymnasium (équivalent du collège) pendant trois ans, puis le lycée pendant trois autres années. Les élèves commencent donc plus tard qu’en France, et devraient arriver en fin de cursus plus tard aussi, mais l’âge d’obtention du diplôme de fin d’études, l’examen de maturité, est comparable car il n’y pas de redoublements.
Au terme du Gymnasium, un examen d’entrée au lycée va déterminer l’orientation vers l’enseignement général ou technique, ou l’entrée dans la vie professionnelle. A la fin du lycée, un nouvel examen va permettre de continuer les études à l’Université, dans des filières générales ou techniques, ou vers des écoles d’enseignement supérieur qui conduisent à un diplôme équivalent au BTS, mais sans conférer le statut d’étudiant.
Avant 7 ans, les enfants restent à la maison sous la garde des parents ?
Non, il y a un système de crèches très bien organisé – mais il est désormais payant, ce qui pose des problèmes pour les familles défavorisées. Cela ressemble davantage à des jardins d’enfants qu’à la crèche ou à l’école maternelle que l’on connait en France. La dimension éducative est variable et surtout, elle ne dépend pas de l’Éducation nationale ; il n’y a pas d’uniformité. Dans les grandes villes, comme Varsovie ou Cracovie, beaucoup de « pré-écoles » (przedszkol) s’inspirent du modèle français. Il existe une classe préparatoire au primaire, appelée « classe zéro », mais qui correspond davantage à notre moyenne section de maternelle.
La principale demande des familles porte sur l’apprentissage de l’anglais, qu’ils veulent sans cesse plus précoce et plus efficace – au détriment de la plupart des autres enseignements. Le Ministère veut rendre obligatoire la scolarisation à 6 ans, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette réforme se heurte à une forte résistance des parents : ils considèrent que l’école vole leur enfance aux enfants, et ils hésitent beaucoup à les inscrire dès 6 ans.
Comment s’organise l’orientation au terme du tronc commun d’enseignement ?
A la fin du cursus commun, les élèves passent les concours d’entrée au lycée général ou au lycée technique, ou entrent dans la vie active. On retrouve la même hiérarchisation qu’en France entre général et technique, mais les concours ne sont pas uniformisés : chaque établissement l’organise à sa manière. Les formations techniques sont plutôt bien développées, mais elles restent construites sur un modèle très théorique. De même, dans l’enseignement général, les formations scientifiques (études de physique, chimie ou SVT) n’accordent que très peu d’importance aux travaux pratiques. On est très loin de ce qui se fait en France, par exemple.
Pourtant, les évaluations PISA sont plutôt favorables, en particulier pour les sciences ?
Sans doute, mais il faut tenir compte de la difficulté d’établir des statistiques précises, ici. Disons que l’on peut s’interroger sur le degré d’exactitude du thermomètre : la diversité est telle que le calibrage et la transmission des données ne sont pas évidents. Le déficit d’indications est réel, en particulier dans le domaine éducatif. En vingt ans, la gestion administrative s’est complètement délocalisée vers les deux échelons de collectivités locales, les communes pour le primaire, la vaïvodie [région] pour les autres degrés. L’État, représenté par le Kuratorium [équivalent des rectorats], n’a plus d’informations centralisées. En principe, le Kuratorium continue d’assurer la coordination des disciplines, mais les chefs d’établissements ont un pouvoir de décision sur les contenus disciplinaires. En réalité, les établissements définissent leur propre déclinaison du programme et les enseignants sont contrôlés par leurs chefs d’établissement, y compris sur le contenu des cours. En ce qui concerne les sciences, les savoirs sont en général acquis plus précocement qu’en France, mais ils sont aussi moins développés par la suite. Il y a beaucoup d’ingénieurs en Pologne, mais leur niveau de formation n’est pas aussi élevé qu’en France.
Peut-on évaluer le taux de réussite scolaire et d’intégration professionnelle ?
Là encore, ce sont des réalités difficiles à saisir. La question de la réussite ou de l’échec scolaire n’est pas encore considérée comme très pertinente. Beaucoup d’élèves qui échouent aux concours d’entrée au lycée ou dans le supérieur prennent un job provisoire en attendant de repasser les épreuves auxquelles ils ont échoué. La plupart ont un emploi pour financer leurs études. Mais d’un autre côté, l’institution ne considère pas de sa fonction d’assurer l’insertion professionnelle des élèves. Ce n’est vraiment pas le cœur d’action du système d’enseignement.
Le type de connaissances requis est à prendre en compte également : la formation scolaire est essentiellement axée sur la mémorisation et la restitution. Mémorisation, restitution, c’est vraiment l’essentiel. Le bachotage reste extrêmement vivant, ici. Le marché du livre est envahi de vade-mecum ou de compendium de connaissances formatées, sur l’histoire de la littérature polonaise ou mondiale, par exemple. La rénovation de l’examen de maturité (équivalent de notre bac) s’appuie sur le modèle anglo-saxon du QCM, ce qui aggrave encore ce phénomène mécanique de bachotage. Les contrôles de connaissance ne tiennent pas vraiment compte de l’appropriation des savoirs et de la réflexion personnelle. De manière générale, d’ailleurs, la réussite ou l’échec ont peu d’impact sur les méthodes d’enseignement.
Où en est l’enseignement des langues ?
L’anglais est présent partout : les parents demandent de commencer le plus tôt possible. En primaire, on s’arrange pour faire de l’anglais au meilleur niveau au Gymnasium et au lycée ; les parents considèrent que c’est indispensable, mais aussi, la plupart du temps, que c’est suffisant. La règlementation officielle prévoit l’étude obligatoire de deux langues, mais la seconde est traitée en parent pauvre. Jusque dans les années 90, outre le russe pour tous, les élèves se partageaient à équivalence entre l’anglais, l’allemand et le français. Les méthodes d’enseignement restaient très classiques : grammaire et traduction – surtout grammaire, d’ailleurs. Les capacités d’expression des élèves n’étaient pas prioritaires. La fin de l’obligation d’apprendre le français a entraîné une chute définitive de la demande de formation, au profit de l’anglais. Sans demande, les postes d’enseignement disparaissent. La tradition francophone de la Pologne s’est affaiblie presque jusqu’à disparaître. Mais avec l’entrée de la Pologne dans le CERCL, l’enseignement des langues évolue de plus en plus vers un système ouvert d’apprentissage qui se soucie de l’expression personnelle des jeunes dans la langue qu’ils apprennent. Mais en même temps, le système d’évaluation par QCM limite cette évolution.
Et les humanités en général ?
Les universités ont du mal à recruter en général, en raison d’un creux démographique, mais particulièrement dans le domaines des lettres et des sciences humaines. Les facultés essaient de mettre en œuvre des dispositifs comparables aux LVA (Langues Vivantes Appliquées) que l’on connait en France, mais le système reste clos et favorise la réussite du petit nombre de ceux qui deviendront à leur tour enseignants à l’université. Il est vrai que l’Université de Jagellone, à Cracovie, est la plus traditionnelle de Pologne – ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs d’avoir de bons résultats aux classements de Shanghai et un bon niveau de recherche. Mais je connais bien aussi l’Université de Silésie, qui essaie de se distinguer de sa grande « aînée » en adaptant ses contenus aux besoins de l’économie, aussi bien dans le domaine des sciences humaines que des sciences exactes. Mais il est évident que les humanités connaissent une forte défaveur, à l’heure actuelle, au regard des formations réputées plus efficaces en termes de réussite sociale et économique.
L’école polonaise selon PISA
Le système éducatif polonais ressort honorablement de l’évaluation PISA 2009 publiée en décembre 2010 : au-dessus de la moyenne de l’OCDE en sciences, avec la Slovénie, l’Irlande et la Belgique, la Pologne a amélioré ses performances en compréhension de l’écrit entre 2000 et 2009 – amélioration qui résulte en majeure partie d’une amélioration de la tranche la plus faible du spectre de performance, signe d’une meilleure équité dans les résultats d’éducation. Les élèves les plus performants conservent leur niveau, mais les plus faibles l’ont amélioré : la hausse du degré de performance globale s’accompagne d’une diminution de l’écart entre les meilleurs et les plus faibles élèves. D’autre part, l’écart entre les élèves scolarisés dans un établissement urbain ou dans un établissement rural (jusqu’à l’équivalent de deux années d’enseignement en Hongrie ou en Bulgarie), qui fait figure de règle générale, est beaucoup moins marqué en Pologne qui se situe au niveau de la Belgique, la Finlande, l’Allemagne, les Pays-Bas…)
Synthèse des résultats Pisa 2009 :
http://www.oecd.org/dataoecd/33/5/46624382.pdf
Et selon le sociologue François Dubet
D’après les travaux de François Dubet sur les rapports entre Les sociétés et leur école (Le Seuil 2010), le système scolaire polonais jouit d’un degré de confiance relativement faible de la part de la population, mais qui reste proche de la moyenne, malgré un taux d’intégration sociale par le marché du travail des plus faibles de l’OCDE. Si le niveau de scolarisation et de performance reste modeste, celui des inégalités scolaires l’est aussi, ce qui rééquilibre la valeur sociale globale du système au regard des usagers.
Les méthodes d’apprentissage restent très traditionnelles, avec un cloisonnement des disciplines et une séparation des savoirs scolaires ou non scolaires, une transmission « frontale »des connaissances, peu d’individualisation ou d’appel à la réflexion personnelle, un rythme et une hiérarchie strictement normées. et non individualisée des connaissances
Le compte-rendu de l’ouvrage dans le Café :