Par Jeanne-Claire Fumet
Se construire comme sujet parmi les autres est l’enjeu crucial de l’enfance et de l’adolescence ; le milieu scolaire, à l’image de la société, a parfois tendance à produire des rapports d’agression et de défense qui restent inaperçus sous les impératifs de réussite. Pour Martine Meirieu, enseignante et comédienne, l’activité théâtrale peut aider l’élève à affronter les difficultés du rapport aux autres en lui ouvrant la distance d’un espace imaginaire sécurisant. A partir d’expériences menées auprès de l’enfance inadaptée, Martine Meirieu montre l’intérêt d’une pratique pédagogique du théâtre pour renforcer la conscience de soi, se reconnaître dans la culture et se situer dans la sphère sociale.
Bien des enfants, de tous milieux et pour des raisons très différentes, « vagabondent aux frontières d’une solitude identitaire dont certains ne pourront pas sortir », nous dit Martine Meirieu. Ces enfants que l’on retrouve dans les structures spécialisées ou simplement dans les statistiques de l’échec scolaire, souffrent de leur incapacité à entrer dans un monde commun. L’activité théâtrale peut les aider à « naître à autrui » hors du champ médical de la rééducation ou de la thérapie.
Un espace sécurisant. Pour que l’enfant vulnérable abandonne la carapace qui lui permet de survivre en milieu ordinaire, il doit se sentir libre des assignations qui le démarquent au quotidien (handicap physique, mental ou social). Un espace neutre, un accompagnement bienveillant, une stimulation créatrice et un respect réciproque sont les conditions d’entrée dans la démarche. Fondé sur le postulat de l’éducabilité de tous les individus, l’atelier de théâtre met en œuvre les conditions d’émergence « de l’incroyable richesse du vécu imaginaire » qui transcende la réalité des existences blessées et propose à chacun un nouveau commencement. L’enfant se « met en jeu » dans un personnage qu’il n’est pas, découvre une distance et une anticipation de soi inédites qui sont celles d’un sujet libre.
L’universalité de la culture. La rupture avec les stéréotypes intériorisés donne accès à une culture dans laquelle chacun apprend à reconnaître, au fil des époques et des lieux, la ressemblance avec son propre monde, et les liens qui relient ses secrets aux préoccupations universelles de l’humanité. Découvrir le théâtre classique devient l’occasion de vivre, de penser, d’éprouver, avec les plus grandes figures de l’imaginaire humain, et de se démarquer des modèles identitaires figés. Citant l’album Franc-Tireur du groupe de rap La Rumeur, Martine Meirieu souligne l’impact de « ces images trompeuses qu’on nous tend, Ces miroirs défigurant où l’idiotie crève l’écran » alors que les œuvres d’art élargissent la conscience d’un monde partagé.
Pratique citoyenne. Acteur de son jeu, l’enfant apprend à s’éprouver comme un acteur social doté de dignité et d’un rôle à tenir : le théâtre oblige à voir l’autre comme un co-acteur, et non comme un meuble ou un accessoire ; les textes auxquels on prête sa voix, les personnages que l’on incarne font vivre en direct l’expérience de l’altérité et de l’empathie. Dans le travail entrepris, la réussite est partagée et chacun en est responsable pour tous, le sort partagé dans l’aventure théâtrale supprime l’enfermement sur soi et l’ignorance de l’autre. Plus que tous les discours édifiants, la pratique théâtrale serait en cela une formation citoyenne magistrale.
Former les enseignants. La découverte de la pratique théâtrale trouverait place, selon Martine Meirieu, dans un cursus de formation bien conçu des enseignants. Le rapport à l’autre, au corps et à l’espace fait partie des difficultés concrètes les plus délicates de l’entrée dans le métier. On imagine combien une familiarisation avec les exercices de pratique théâtrale pourrait simplifier la tâche des enseignants débutants. Découvrir les méandres de la communication non verbale, s’approprier les effets implicites du geste ou de l’intonation, se libérer du carcan d’un apprentissage parfois trop théorique de la pédagogie et se laisser gagner à la créativité d’une improvisation souple, autant d’atouts favorables à la mise en place de situations d’enseignement plus ouvertes et plus sécurisantes pour tous.
Martine Meirieu clôt son ouvrage par un ensemble d’outils très concrets à exploiter, élaborés au fil de sa pratique en milieu spécialisé et au sein de l’Association Eolo (Lyon) consacrée aux pratiques artistiques auprès de publics vulnérables. Une approche simple et humaine, qui nous rappelle l’importance de se montrer attentif à la vulnérabilité de l’autre, plutôt que la marginaliser.
Martine Meirieu – Se (re)connaître par le théâtre (3ème édition), Outils pour l’école, la formation, l’éducation spécialisée, Éditions Chronique sociale – Pédagogie / Formation, octobre 2010. ISBN : 2-85008-452-2 – 180p.,
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