Chercheur et auteur d’un rapport sur les dernières politiques éducatives au Québec, Gilles Roy répond à nos questions sur l’impact du « Renouveau pédagogique ». Pour lui, » le fait que le Québec réunit certaines conditions propices à l’instruction générale contribue à sa réussite ».
Les résultats de Pisa montrent un succès réel du système éducatif canadien en général et québécois en particulier. Peut-on en rappeler quelques données ?
Les données de Pisa 2009 viennent effectivement conforter les bons résultats déjà documentés dans les vagues précédentes de PISA. On observe ainsi que le Canada se retrouve dans le peloton de tête en lecture (Canada = 524; moyenne de l’OCDE = 496), et qu’il affiche des scores nettement supérieurs à la moyenne internationale en mathématiques (Canada = 527; moyenne de l’OCDE = 497) et en sciences (Canada = 529; moyenne de l’OCDE = 501). Le Québec n’est pas en reste, affichant un score de 522 en lecture, de 543 en mathématiques et de 524 en sciences.
Comment le système québécois arrive-t-il à élever le niveau général sans creuser les égalités, alors qu’en France c’est notre premier problème !
J’aurais tendance à inverser le sens de votre question, de façon à souligner que le fait que les inégalités sociales ne se creusent pas tant que ça au Québec contribue à garder le niveau général élevé. Je suis moins enclin que vous ne le semblez l’être à penser que le système scolaire compte pour beaucoup dans les résultats de PISA. À mon avis, le fait que le Québec réunit certaines conditions propices à l’instruction générale contribue à sa réussite. Par conditions propices, j’entends le fait que les enfants d’ici s’entendent souvent très bien avec leurs parents, et que ces derniers sont plus scolarisés qu’aucune génération avant eux. J’entends aussi que les jeunes ont souvent profité de centres de la petite enfance qui les ont bien servis; le droit de se tromper et la facilité à réintégrer le système des études et du travail sont également choses relativement acquises. J’entends enfin par conditions propices le fait que la situation économique québécoise, sans être idéale, n’est pas particulièrement mauvaise : le nombre de personnes prestataires d’une aide financière de dernier recours (adultes et enfants) a connu une diminution considérable ces 15 dernières années (de l’ordre de 40%). Bref, bien des conditions sont réunies pour qu’il n’y ait pas catastrophe.
Dans quelle mesure la réforme pédagogique joue-t-elle dans ce résultat ?
Difficile à dire. D’abord parce que la réforme pédagogique n’a pas nécessairement été implantée de manière fidèle et exhaustive; bien des pratiques précédentes sont demeurées. Ensuite, parce que la réforme pédagogique a différemment pris forme dans les milieux : ce que l’un considère être du ressort du renouveau peut bien être considéré par un autre comme n’en faisant pas partie. Ce que Pisa 2009 nous apprend, c’est qu’au-delà de ce flou général, plusieurs ont veillé à ce que les élèves s’instruisent. Les bons résultats atteints en mathématiques en témoignent. En passant, Pisa 2009 aura surtout servir à réfréner (pour un temps du moins) les ardeurs des Cassandre éducatifs (ceux qui sont depuis toujours convaincu que nous fonçons tout droit vers le désastre) ou encore de nos nostalgiques d’un temps qui n’a jamais été (celui où le niveau était élevé, où tous fréquentaient les grands auteurs, où tous respectaient les règles, etc.). Dernière précision enfin : la réforme pédagogique ne visait pas tant que cela l’amélioration de la performance des élèves. Elle participait, plutôt, d’un certain projet de société, plus participatif et intégrateur, qui valorisait le lien social plutôt que la création d’élites et le renforcement des clivages sociaux.
Les enseignants sont-ils formés à cette problématique ?
Par boutade, je dirais que les enseignants d’ici sont peu formés, point. À cette problématique comme à beaucoup d’autres, du reste. Sans blague, le fait que les enseignants soient davantage formés à la problématique des inégalités scolaires m’apparaît être une arme à double tranchant. C’est que si certains comprennent qu’il faut veiller à installer les conditions qui permettent d’assurer qu’il y ait réelle égalité de chances en éducation, d’autres en revanche sont prompts à suggérer des solutions médiocres (par exemple, la création de classe homogène faible, l’addition de professionnels agissant de façon isolée, le classement au secteur d’adaptation scolaire) qui à la fois coûtent chers et ne contribuent que davantage à protéger/reléguer/déclasser les élèves en difficultés. Le bilan mitigé que nous avons fait de la Stratégie Agir autrement témoigne à cet effet de la difficulté éprouvée par les milieux (les enseignants, notamment) à élaborer des actions capables d’améliorer la situation observée au départ.
Comment cette réforme se traduit-elle dans le climat scolaire, la vie de classe et dans l’évaluation ?
À ma connaissance, aucune évaluation sérieuse ne permet de faire le lien entre la réforme et les environnements scolaires. Cela dit, notre évaluation d’Agir autrement témoigne du fait que les climats scolaires et la vie de classe des écoles secondaires de milieu défavorisé sont en général de bonne tenue, et que cette santé au moins relative s’observe tout particulièrement au sein des écoles de petite taille. Notons aussi que les clivages sociaux et que les hiérarchies sociales ne sont pas si marqués que cela au Québec, et que les relations maître-étudiants au Québec demeurent, en général, conviviales.
Quelle place prennent les TICE dans l’éducation au Québec ? Les établissements sont-ils bien équipés, les professeurs formés ? Leur usage en classe est-il bien intégré ? Globalement jugez vous qu’elles sont pour quelque chose dans ces résultats ?
Pour utiliser une formule connue, je dirais que les technologies de l’information et de la communication ont été survendues et sous-utilisées. Trop peu d’enseignants ajoutent à leur outillage pédagogique une utilisation maximale des technologies, et trop peu de logiciels efficaces ont été présentés puis utilisés par les enseignants. Ainsi la présence, aux États-Unis, de logiciels experts capables de supporter l’enseignement aux ordres préscolaire et primaire nous fait envie. En passant, il y a deux domaines où les élèves québécois ont beaucoup progressé ces vingt dernières années, soit en informatique et en anglais, qui comptent pourtant parmi les parents pauvres de notre système éducatif. Comme quoi il n’y a pas qu’à l’école que les jeunes apprennent…
Particulièrement la Province réussit à lutter contre un décrochage scolaire important. Comment fait-elle ?
Vous sonnez à la mauvaise porte, m’étant souvent emporté contre cet usage abusif d’un certain vocabulaire. Selon moi, le fameux problème du décrochage scolaire québécois en est d’abord un de sémantique (nous définissons autrement qu’ailleurs le «décrochage scolaire») puis de dénombrement (il n’y a à ma connaissance qu’au Québec que le paradigme écono-démographique a cours au sein de l’appareil d’État). En simple, à indicateur égal et à mode de dénombrement similaire, le décrochage scolaire n’est pas plus important chez nous qu’il ne l’est ailleurs. Au contraire, même.
Une autre difficulté, et cela fait aussi écho en France, c’est la réussite scolaire des minorités. Comment le Québec gère-t-il ce défi ?
Pour l’histoire d’abord : le Québec francophone s’est longtemps défini comme éprouvant plus de difficultés que les allophones et que les anglophones à se bien scolariser. À ceci s’ajoute le fait que les écoles anglophones sont porteuses d’une tradition d’efficacité en terme de soutien aux différents groupes linguistiques qu’ils ont longtemps eu la charge de servir (en fait, jusqu’à l’adoption d’une loi linguistique majeure passée en 1977). À cela s’ajoute le fait que le Canada a des politiques de sélection de ses immigrants, et que les populations reçues nous arrivent souvent avec diplôme en main, et non avec le ventre creux. À votre question donc, deux réponses. La première veut que les francophones sont en gros satisfaits d’amener un contingent important de membres des minorités vers la réussite; certes, nous performons en général moins bien que les anglophones, mais l’écart constaté n’est pas si considérable. La deuxième réponse mène à soulever des débats plus sensibles. C’est que si le Québec réussit à mener certaines minorités vers de très haut taux de réussite (les chinois et les vietnamiens, par exemple), il éprouve beaucoup plus de difficultés à bien scolariser d’autres groupes (les élèves haïtiens, notamment). Il est en passant assez amusant de constater que des populations «à risque» (parents peu francisés ou scolarisés) mal servies par des programmes de prévention/adaptation (les enfants vietnamiens, par exemple) réussissent souvent mieux que des populations «de souche» censées bénéficier de ces interventions réparatrices.
Le Québec consacre quelle part de son PIB à l’éducation ? Cet investissement est-il remis en question par la crise économique ?
Joue-t-il un rôle dans le succès québécois ? Le Québec consacre 7,6% de son PIB à l’éducation (données de 2008-2009). Eh non, cet investissement n’est pas réellement remis en question (à ma connaissance, du moins).
Gilles Roy
Chercheur associé au Groupe de recherche sur les environnements scolaires, ainsi que co-signataire d’un rapport d’évaluation récent ayant porté sur la Stratégie d’intervention Agir autrement, stratégie ministérielle qui visait à améliorer la réussite éducative en milieu défavorisé.
Voir aussi :
Pourquoi ça marche ? Entretien avec Claude Lessard
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011[…]
Québec : II – Renouveau pédagogique et approche par compétences
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011[…]
Québec : Un modèle pour l’école française ?