La France aime draper le monde dans les oripeaux des commémorations. C’est son côté dame patronnesse de l’universel
Depuis 2010, c’est au tour du Mexique, un pays qui fête ses deux cents ans de feu et de sang. Deux cents ans que le prêtre Miguel a lancé les cloches de Dolores Hidalgo à la volée de l’Histoire, un 16 septembre 1810 avec son Viva Mexico qui annonçait l’indépendance ! [1] Fusillé dix mois plus tard, Miguel n’en parvient pas moins à fédérer Indiens et métis : la mexicanité politique sera longue à advenir, mais elle adviendra. Non loin de là, Haïti meurtrie par un terrible séisme a voté en novembre 2010. Le pays a alors plongé dans la confusion la plus totale avec la contestation des élections. En Méditerranée, sur les rives nord de l’Afrique, au moment où fleurissent le jasmin et le mimosa, le peuple de Tunis a chassé le clan au pouvoir. Entre ces trois pays où l’Histoire s’accélère, rien de commun. Et pourtant…
Sur une mappemonde, on cartographie les pays démocratiques et ceux qui ne le sont pas. Remarquable stabilité. Les révolutions succèdent aux dictatures dans ces trois pays, mais sur le temps long, rien ne change vraiment. Pourquoi ?
Au Mexique, le peuple avait surtout parlé lors de la révolution de 1910 qui a coûté un million de morts pour une population de quinze millions d’habitants. Moins de vingt ans plus tard, la « dictature parfaite », selon le mot de l’écrivain Vargas Llosa, revenait pour y rester soixante et onze longues années. Pour l’historien Meyer, c’est le caciquat qui perdure. Un monde d’intermédiaires entre le pouvoir et le peuple, avec des relations patrimoniales fondées sur des échanges de faveurs. La démocratie n’y fonctionne pas.
En Haïti, première République du monde noir depuis 1804, la population dut subir les mutineries et les rébellions, des pouvoirs militaires, où l’élection démocratique d’Aristide n’a constitué qu’un scénario qui s’est achevé sur un débarquement américain en 1994 et l’installation des soldats de l’ONU. Les cyclones, le séisme, le choléra, tout concourt à éteindre les flammes de l’espoir. Plus d’un millier de camps construits par la communauté internationale abrite un bon million d’Haïtiens sous la tente. Le pays semble épuisé.
Le séisme tunisien a été celui de la jeunesse. La structure clanique de la population n’a pas permis que se développe une économie profitable à tous. Une démocratie confisquée comme en Egypte où le même président de 82 ans règne depuis trente ans, en Algérie depuis vingt-et-un an, en Libye depuis plus de quarante ans. On parle très vite d’effet domino…
Comment les géographes peuvent rester à l’écart de ces changements ? Pourquoi s’en tenir à la démographie, aux statistiques économiques, aux palmarès internationaux en y ajoutant une pincée d’environnement et de développement durable ? Yves Lacoste qui voulait introduire l’Histoire, la grande, dans la géographie est-il en train de gagner son pari ? Le ministère demande aux futurs professeurs de préparer les concours avec la géographie des conflits. On pourra y étudier un monde qui bouge et se reformate constamment. La seule justification de ce vieux couple histoire-géographie qui n’en finit pas de surprendre les étrangers.
Gilles Fumey est professeur de géographie à l’université Paris-Sorbonne (master Alimentation et IUFM). Il a étél’animateur des cafés géographiques (1998-2010). Il est rédacteur en chef de La Géographie.
PS qui n’a rien à voir.
Les vœux de Nicolas Sarkozy aux enseignants ont été un aveu. Un bel aveu d’échec sur une mutation pourtant indispensable à mener.
[1] Même si, selon l’historien Lorenzo Meyer, Miguel Hidalgo appelait plus à défendre le roi d’Espagne et la religion catholique menacée par Napoléon, même si le mouvement échappe à celui qui l’a déclenché.
Sur le site du Café
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