La nouvelle mouture du projet de circulaire de mission des professeurs documentalistes fait déjà couler de l’encre ! A peine reçue par les syndicats, elle soulève des tempêtes sur les listes de discussion professionnelles. Si certains enseignants se disent favorables à ce texte, d’autres le jugent peu respectueux de leur métier. Le Café a sollicité le ministère et la Fadben (Fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale). Pour le moment seule celle-ci a fait connaître son point de vue. Pour la Fadben, le projet de circulaire ne répond pas aux attentes du métier.
Le projet de circulaire sur les missions des professeurs documentalistes centre ces missions sur la formation des élèves à la maîtrise de l’information, la politique documentaire de l’établissement, la diffusion de l’information dans l’établissement et son ouverture culturelle. Ces missions vous semblent-elles utiles pour préparer les élèves à agir dans la société de l’information?
Les missions ne sont pas inutiles mais mal définies, et hiérarchisées d’une manière contestable ; elles reflètent une vision essentiellement techniciste et passéiste du métier. Elles ne sont adaptées ni à l’évolution de la société depuis 1986, date de l’actuelle circulaire de missions des professeurs documentalistes -où, à l’exception de la dimension de politique documentaire ces termes étaient déjà présents- ni aux savoirs et aux compétences professionnelles des professeurs documentalistes, recrutés par Capes depuis 1990. Nous attendions une circulaire qui permette d’envisager une autre relation avec les élèves afin qu’ils puissent réellement acquérir, du collège au lycée, une véritable culture de l’information.
Dans cette circulaire, c’est tout d’abord la négation de notre identité enseignante qui est flagrante. De ce point de vue elle est en net retrait par rapport à la circulaire de 1986, qui notifiait notre appartenance au personnel enseignant et lui confiait en premier lieu la tâche d’ « assurer » une formation des élèves. Vous noterez que ce projet de circulaire ne lui demande plus que d’y « contribuer » ! Cette position de l’institution, vous le comprendrez, ne peut être vécue que comme une régression par les professeurs documentalistes qui, depuis dix, élaborent patiemment une didactique de l’information, centrée sur la définition de véritables savoirs info-documentaires et sur leur appropriation par les élèves. La mention d’appartenance des professeurs documentalistes est de fait simplement gommée dans ce projet. N’est-il pas révélateur que, parmi les textes de référence de ce projet, ne figurent ni la circulaire de 1997 sur les missions des professeurs certifiés ni l’arrêté du 12-5-2010 relatif à la « définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation pour l’exercice de leur métier » !
La FADBEN, en mars 2006, a construit son référentiel métier autour de l’axe pédagogique du développement de la culture informationnelle. Cette expression de culture informationnelle ne semble pas comprise par l’institution qui persiste à ne voir là qu’une simple traduction de la « maîtrise de l’information » que les anglo-saxons nomment « information literacy ». Ce paradigme, attaché aux discours idéologiques et économiques de la « société de l’information », est un paradigme qui date du milieu des années 70 ! Oui, bien évidemment, il faut toujours former nos élèves à la recherche et à la critique de l’information, mais au siècle d’internet où chaque élève, de lecteur et consommateur d’informations devient créateur de contenus, auteur et même éditeur via les blogs et Facebook, il devient urgent de lui enseigner des savoirs spécifiques nécessaires pour comprendre les enjeux liés à la production, à la publication et à la diffusion de l’information. Ces enjeux ne sont pas seulement scolaires (lorsque l’on fait faire à l’élève des recherches pour telle ou telle discipline), ils sont avant tout culturels, démocratiques et politiques. Nous sommes étonnés que la « maîtrise de l’info » perdure alors qu’il n’y a aucune référence à la culture de l’information… Le référentiel métier proposé par l’association professionnelle, quant à lui, se décline en trois axes : enseigner l’information-documentation, concevoir et gérer un système didactisé de ressources et être acteur de la politique documentaire.
Davantage qu’être des « contributeurs », auxiliaires des programmes disciplinaires, les professeurs documentalistes revendiquent la responsabilité d’un enseignement auquel les travaux de didactisation en information-documentation ont donné une réelle légitimité. Leur expertise se trouve du côté de l’enseignement. Dans ce projet, le choix du terme ‘formation’ plutôt que celui d »enseignement’ n’est donc pas neutre.
Enfin, les finalités d’un enseignement en information-documentation ne sont pas de former un individu aux outils, qui sont par nature transitoires, ou aux seuls compétences, qui n’ont de finalité que la résolution de problèmes d’information ponctuels, encore moins d’en faire un consommateur de produits d’une économie de savoirs. Il nous fait voir plus loin, du côté des savoirs qui construisent une véritable autonomie intellectuelle et fondent la liberté et la démocratie.
Laquelle vous semble la plus critiquable ? Pourquoi ?
Ce n’est pas ainsi qu’il faut aborder les choses. Prenons l’exemple de la mission d’ouverture culturelle, qui est souvent considérée par l’institution comme un cadre fourre-tout listant de multiples tâches qui pourraient tout aussi bien se retrouver dans les missions précédentes. Là encore, tout dépend de la finalité que vous donnez à la mission du professeur documentaliste. L’ouverture de l’établissement, où plutôt, dans ce cas précis, l’ensemble des actions de communication avec l’extérieur, peut très bien se comprendre comme relevant d’une politique documentaire puisque celle-ci est axée sur la recherche et l’accès aux ressources. Mais si vous considérez que la finalité est pédagogique, alors l’ouverture culturelle, sociale et citoyenne peut devenir, comme pour les autres enseignants, un vecteur d’apprentissage pour les savoirs en information-documentation.
En fait, ce n’est pas tant une mission particulière qui nous semble critiquable en soi, que la réorientation de toutes ces missions vers l’unique horizon de la gestion des ressources, qu’elles soient numériques ou pas. Ou bien vous maintenez le pôle pédagogique comme orientation directrice donnant sens et légitimité à toutes ces actions, ou bien vous les intégrez dans un modèle bibliothéconomique global, la politique documentaire, dont la priorité et la vocation ne sont pas directement l’élève mais la ressource. La circulaire de missions de 1986 et les professeurs documentalistes recrutés depuis 1990 par un CAPES ont fait le premier choix : centrer sur l ‘élève.
Elle accorde une grande importance aux ressources numériques. Cette évolution vous semble-t-elle contestable ?
Non, les ressources numériques sont devenues incontournables dans les établissements scolaires. Mais le choix de ces ressources doit être collectif, responsable et éthique, répondant aux besoins d’apprentissages et du développement de l’autonomie de l’élève. On ne peut pas occulter le fait que chaque enseignant, aujourd’hui, est également consommateur, créateur et diffuseur d’information, notamment de ressources didactiques via la mise en ligne et la mutualisation. Il est également prescripteur d’information pour ses élèves.
Le problème de cette version de la circulaire, c’est de (faire) croire que la contribution du professeur à l’égalité des chances entre tous les élèves se limite à une facilitation de l’accès aux ressources dans le cadre d’une politique documentaire. Or l’information, et encore moins la ressource, ne remplacent le savoir. Cette confusion entre information et savoir perdure. Elle est soutenue par l’idéologie techniciste de la connexion à haut débit et du tout numérique mais aussi et surtout par l’idée selon laquelle l’accès technique (à l’information et aux ressources) suffirait pour « savoir » ! Ce que vise l’enseignement d’une culture de l’information est résolument ambitieux : plus encore que former les élèves à « trouver » des ressources ponctuellement utiles, il s’agit de faire en sorte qu’ils construisent des savoirs sur l’information, sur les médias (édition, presse, audiovisuel et internet) producteurs, prescripteurs et diffuseurs d’information. Notre société n’est pas tant une société de l’information qu’une société industrielle de contenus d’information et de communication. Il est urgent de se construire des outils intellectuels et des savoirs pour comprendre l’influence que ces médias ont sur la société et sur l’individu, d’interroger leur modèle économique et leur stratégie marketing. Vous voyez, là où l’axe gestionnaire, la politique documentaire de l’établissement, s’intéresse – et doit s’intéresser – aux accès techniques et procéduraux, le professeur documentaliste, lui, vise un enseignement basé sur des notions et des savoirs scolaires. N’oublions pas que sa discipline de référence sont les Sciences de l’information et de la communication.
Par exemple la dématérialisation des CDI est-elle une régression ou une avancée pour vous ?
Nous ne comprenons pas cette expression « dématérialisation des CDI ». Depuis 1985, nous avons recours à des ressources documentaires numérisées. Les activités documentaires et informationnelles ont toujours été conçues en lien avec l’évolution incessante de la connaissance et des technologies. Cela fait plus de dix ans que les ressources du web sont prises en compte dans les travaux documentaires des élèves et les enseignants documentalistes n’ont pas attendu longtemps pour créer des blogs et des portails numériques à partir des outils du web 2.0 !
Ce qui pose problème, en revanche c’est la disparition de l’humain dans la médiation documentaire. La régression que nous souhaitons évoquer ne se trouve pas là. Si les médiations technologiques se développent au bénéfice de tous dans l’établissement (logiciels documentaires, réseaux, web, ENT), ce devrait être pour laisser plus de place à la médiation pédagogique, pour penser des scénarios pédagogiques ambitieux où l’élève, au travers de ses usages informationnels, peut construire les savoirs info-documentaires et disciplinaires dont il a besoin. A ce titre, nous souhaitons voir se réaliser un CDI à double dimension : l’une « dématérialisée » en système d’information accessible à tous et de partout, et l’autre, bien réelle, bien fonctionnelle, en un centre de ressources didactisées, véritable centre d’apprentissage permettant la construction des savoirs, avec l’information et sur l’information. Le professeur documentaliste y aurait toute sa place.
Mais pour y parvenir, deux écueils sont à éviter : le centrage sur la gestion informatique des systèmes d’information qui transforme le professeur documentaliste en technicien des réseaux, et l’implantation d’une ingénierie documentaire reproduisant le modèle du réseau SCEREN à l’intérieur des établissements alors que de tels réseaux existent déjà à l’extérieur.
Le projet fait entrer le professeur documentaliste dans le conseil pédagogique. N’est ce pas une reconnaissance?
A-t-on besoin de préciser à chaque représentant disciplinaire qu’il participe au conseil pédagogique ? Le fait de préciser que le professeur documentaliste participe au conseil pédagogique permet de répondre aux revendications des collègues, assez nombreux, qui en étaient exclus.
Le professeur documentaliste aura une mission de conseil et d’appui auprès de la direction et des autres enseignants. C’est une évolution que vous refusez ?
Que le professeur documentaliste donne son point de vue au chef d’établissement grâce à son expertise dans le domaine de la documentation et des sciences de l’information et de la communication est une chose normale au sein d’un établissement. Ce qui serait gênant, c’est que cela devienne une mission centrale dans la conception de notre métier. Avançons que cette proposition sera vite rejetée en relecture par les représentants des chefs d’établissement !
En revanche, nous ne refuserions pas un peu plus de temps d’organisation entre enseignants. Ce temps permettrait de marquer davantage une forme de coordination « des moments d’apprentissage » à travers l’utilisation d’espaces multiples (réels, virtuels, symboliques…), de formation qui mobilisent une formation aux savoirs de l’information-documentation » et justifierait aussi le travail didactique et pédagogique et une culture informationnelle dans l’établissement en collaboration avec tous les enseignants des autres champs disciplinaires. Ce serait une avancée pour l’’Ecole. Vous voyez, nous ne refusons pas une mission de conseil !
Le Bureau de la Fadben
Le projet de circulaire
http://www.snes.edu/IMG/pdf/Circulaire_Documentalis[…]
FADBEN
Les Trois Couronnes :
http://esmeree.fr/lestroiscouronnes/idoc/blog
Pétition du SNES :