Par Jeanne-Claire Fumet
Un an après la promesse de N. Sarkozy de titulariser les contractuels de la fonction publique, en janvier 2010, les employés précaires de l’Éducation nationale s’inquiètent des déclarations de Georges Tron, secrétaire d’État à la fonction publique, sur la généralisation de la contractualisation. Certains y voient le présage d’une mutation du statut des enseignants, tandis que des réticences s’élèvent contre une titularisation générale qui contournerait le principe du recrutement par concours. Pourtant, une telle mesure (que le gouvernement ne semble nullement disposé à mettre en œuvre), pourrait conforter le statut des enseignants, en limitant le recours aux contrats résiliables. Pour mieux comprendre la situation de ces personnels précaires, nous avons rencontré Lilas, une enseignante en CDD.
Lilas, jeune professeur contractuelle d’une trentaine d’années, se dit « représentative, mais pas représentante » des précaires dans l’enseignement. « On souffre de l’isolement, avoue-t-elle. Il faudrait se structurer, mais les possibilités de communication et de concertation sont trop limitées. Il y a un manque de solidarité, aussi. Chacun se referme sur ses propres difficultés en espérant ne pas trop se faire remarquer. » Les syndicats enseignants ne semblent guère à l’aise avec les problèmes spécifiques posés par la situation des enseignants temporaires. S’ils combattent toute forme de précarité, la manière d’intégrer ces personnels dans le corps des titulaires ne va pas sans difficultés idéologiques profondes.
Remerciée après 200h
Après un DEA de géographie et une première expérience professionnelle dans le domaine de l’environnement, Lilas est venue à l’enseignement par goût et par curiosité. « On m’a confié un poste avec de vagues promesses de contractualisation, se souvient-elle. C’était une vacation « Kleenex » : on m’a remerciée au bout de 200h. On était au milieu de l’année scolaire, le collègue que je remplaçais était en longue maladie, il n’y avait pas de remplaçants titulaires. Malgré l’insistance du Proviseur, des parents, des élèves, des collègues, l’institution a répondu qu’il n’existait pas de ligne budgétaire. Mais pour éviter les conflits avec les familles, le rectorat a recruté 3 autres vacataires à 200h – en les répartissant de manière à ce que les classes ne changent plus de professeurs. »
« Ce premier contact m’a échaudée, même si j’avais beaucoup apprécié la dimension pédagogique du travail. Je suis repartie dans le secteur privé, et puis je suis revenue vers l’enseignement : j’ai obtenu un contrat sur l’année dans un établissement où tout s’est vraiment très bien passé. Depuis, je suis en lycée professionnel, en CDD jusqu’en juillet. J’ai dû me battre bec et ongles pour avoir un contrat de 9 mois, qui me donnera droit à un mois de chômage cet été ; après, c’est le flou total. » Lilas envisage de passer les concours à la session 2012, parce que « c’est la seule solution que j’ai trouvé pour m’en sortir. » Le plan de résorption de la précarité proposé par Georges Tron ne la rassure pas : « Ceux qui pensent trouver une voie de salut dans l’actuel projet se trompent. Ce qui est prévu, ce n’est pas la titularisation, mais la contractualisation en CDI, sur le modèle du droit privé, c’est-à-dire sans garantie contre le licenciement, mais pas non plus contre le changement des quotités horaires – et donc du salaire. »
Une plèbe enseignante
« Selon ce projet, il faut 6 ans d’ancienneté en CDD sans interruption de plus de 2 mois, pour obtenir un CDI. Or les Rectorats ont tendance à interrompre les contrats juste avant. Dans certaines académies, après un contrat de 9 mois, on est prié de se mettre au chômage, sans souci du droit aux congés. Les dispositions du droit public ne sont pas très précises, les Rectorats en profitent, et parfois ne le respectent pas, sachant que le recours au Tribunal administratif est très long et très lourd. »
« Les vacataires sont tout en bas de l’échelle. Ils sont payés sur les quota d’heures supplémentaires des établissements, ce qui est très avantageux pour les établissements, pas pour les vacataires. Pour quelqu’un qui n’a jamais travaillé, 200h de cotisation ne suffisent pas pour acquérir des droits (chômage, sécurité sociale, etc.). Les vacations étaient destinées, à l’origine, à embaucher des professionnels pour des interventions très spécialisées. Les rectorats se sont engouffrés dans la brèche. Ils sont toujours en manque de personnel enseignant. »
« Il faudrait réussir à se rassembler, à s’organiser, reconnaît Lilas. Sur le blog des précaires (voir adresse ci-dessous), il y a beaucoup de gens qui s’expriment mais peu d’inscrits par rapport au nombre de lecteurs. Une majorité silencieuse existe, et elle va augmenter car les précaires sont de plus en plus nombreux, avec la suppression des postes de titulaires. »
Obtenir une gestion plus humaine
Les personnels précaires enseignants seraient près de 23 000, avec une augmentation de 13% en un an, selon les chiffres de la CGT Educ’action. 25% d’entre eux compteraient au moins 6 ans d’ancienneté, preuve que leurs postes correspondent à des besoins réguliers, et pas à de simples ajustements ponctuels. Dans certaines disciplines, la pénurie est telle que le recrutement se fait par petites annonces, sans trop d’exigences sur les diplômes et les compétences. Au risque de recruter des enseignants de piètre qualité ?
« Beaucoup de contractuels ont fait leurs preuves sur le terrain et ne valent pas moins que ceux qui ont obtenu le concours, s’insurge Lilas. Quand on enseigne efficacement depuis 10 ans, pourquoi ne serait-on pas reconnu par une titularisation ? D’ailleurs, les précaires passent les concours : peut-être seraient-ils plus souvent admis si les postes qu’on leur confie étaient versés aux concours et que des aménagements leur étaient accordés pour les préparer. Un étudiant qui vit chez ses parents est en bien meilleures conditions pour les préparer qu’un précaire nommé sur trois postes avec un service de 18h. Et pourtant, le précaire arrivera avec une compétence acquise dont on ne tiendra pas compte. Il n’y a pas de congés de formation prévus pour les contractuels et les quelques places offertes sur les concours professionnels aménagés ne concerneront qu’une infime minorité. »
« Il faudrait qu’on soit géré avec humanité, que l’ancienneté soit respectée. Très souvent, les Rectorats ne réembauchent pas les contractuels qui travaillent depuis plusieurs années, soit parce que les gestionnaires changent souvent et ne nous connaissent pas, soit par volonté de faire « tourner » les postes. Nous n’avons aucun suivi : parfois des inspecteurs nous donnent quelques conseils, des collègues nous épaulent au début. Mais quand ça se passe mal, il n’y a pas de recours. Si un Proviseur exige trop d’un précaire, par exemple, même si les collègues sont solidaires, comment protester quand on a peur de ne pas être repris ? Et si on rencontre des difficultés professionnelles, comment demander à être formé alors que les titulaires n’y ont plus droit ? »
« Le problème des précaires reste assez méconnu, et il n’est pas vraiment relayé par les syndicats ni par les médias. Si on connaissait mieux nos conditions, on nous soutiendrait sans doute de manière plus solidaire. Mais tant qu’il n’y a pas de mouvement spécifique, les gens restent tétanisés dans leurs peurs. Un mouvement intersyndical est prévu le 20 janvier pour protester contre la précarité dans la fonction publique. Il est actuellement question de passer à des CDD de 6 mois renouvelables 1 fois, dans la Fonction publique. Mais que va-t-on faire avec les enseignants ? Nous avions au moins la possibilité d’un contrat de 10 mois. On ne tient pas compte des spécificités du métier d’enseignant, de l’investissement à long terme que suppose l’enseignement, le temps de maturation et de construction des compétences. La logique des Rectorats n’est qu’une logique comptable, parce qu’ils sont eux-mêmes pris à la gorge par leurs autorités supérieures. »
Le blog des non titulaires de l’Education Nationale :
http://nontitulaires.blogspot.com/
Le forum des profs précaires :