Par Didier Missenard
Va-t-on manquer de profs de maths ? Tout le laisse croire au moins pour les deux prochaines années. Les données fournies par les IUFM montrent une érosion certaine. Finalement, en voulant hisser le niveau des futurs enseignants avec la masterisation, le gouvernement aboutit au phénomène inverse Rien ne dit que ce scénario catastrophe diffère dans les autres disciplines.
Cette année est la première où la formation des futurs enseignants du secondaire se fait dans le cadre d’un Master. La mise en place de la réforme ayant été difficile à suivre (pour être gentil avec ses auteurs…), rappelons quelles en sont les modalités actuelles. Dans la première année (M1), les étudiants préparent l’écrit du concours et suivent des stages, en établissement, suivant des modalités qui varient suivant les académies et les universités. La seconde année (M2), l’écrit du concours a lieu en novembre. À partir de cette date, les étudiants préparent l’oral (qui a lieu en juin et juillet) et ont, en principe au printemps, un stage long en responsabilité dans un lycée ou un collège. Pour obtenir la certification, les candidats doivent avoir leur Master validé, et réussir le concours.
Durant les deux années de Master, ils suivent donc en parallèle des compléments de mathématiques et des enseignements de pré-professionnalisation. Les modalités de ces Master, bien qu’habilités par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, sont variées, mais, surtout, les pratiques sont disparates : les universités sont bien armées pour enseigner aux étudiants des mathématiques, mais beaucoup moins pour ce qui est de la professionnalisation. Mécaniquement, l’unique année de préparation au CAPES qui suivait l’obtention de la Licence a été scindée en deux : dans le nouveau dispositif, il est donc logique que, cette année, les effectifs soient moindres. Et en effet, cette année, on ne retrouve en M2, à peu près, que les étudiants qui avaient l’an dernier échoué au concours.
2011 – 2012 : Deux années où le nombre de candidats sera insuffisant
Les chiffres disponibles pour la session 2011 du CAPES de mathématiques sont les suivants : 3100 étudiants s’y sont inscrits, pour 950 places. On pourrait s’étonner du fait que ne se soient présentés aux écrits, qui ont eu lieu fin novembre, qu’entre 1300 et 1500 candidats ; on le sera moins quand on se sera rendu compte du fait que les dates d’inscription à la session 2011 ont été antérieures aux dates de publication des résultats du CAPES 2010 (vu l’évolution des dates de passation des écrits) et que, de ce fait, beaucoup de candidats admis en 2010 ont candidaté en 2011 (avant de savoir qu’ils étaient reçus). À titre de comparaison, pour le CAPES 2010, 2771 candidats étaient présents aux écrits pour 846 postes.
Ainsi, cette année, le jury du CAPES sera face à un dilemme : soit il pourvoit tous les postes, et on peut s’interroger sur le niveau des reçus (et pas seulement des derniers), soit il ne les pourvoit pas, et ce sont les recteurs qui pourront s’inquiéter, car les 1050 postes correspondent à des besoins réels calculés par les académies à partir des prévisions de départ à la retraite… (pour information, depuis 1997, tous les postes ont été systématiquement pourvus).
À ce stade, le lecteur pourra se dire que ce n’est qu’une mauvaise année à passer, et que le dispositif fonctionnera mieux dans les années suivantes. Ce serait sans compter sur le nombre d’étudiants de M1. Via la CORFEM (une commission inter-IREMs qui réunit les formateurs en mathématiques du réseau des IUFM), une enquête vient d’être menée : elle décompte moins de 600 étudiants, au total, dans les 41 universités qui ont répondu (et il ne doit pas en manquer beaucoup parmi toutes celles qui offrent un Master de préparation au CAPES de Mathématiques). Comme, au CAPES 2011, il ne devrait pas y avoir beaucoup de recalés (!), l’on peut penser que ces 600 étudiants de M1 seront quasiment les seuls à se retrouver l’an prochain en M2, où ils composeront le gros bataillon des inscrits au CAPES 2012 (pour un nombre de postes qui ne devrait pas beaucoup changer). Certains argumenteront alors que des étudiants munis d’autres Master pourront s’y inscrire, puisque l’inscription n’est pas corrélée à un Master précis. Si ce pronostic s’avère exact, peut-être le nombre d’inscrits sera-t-il supérieur alors au nombre de postes proposés (on peut rêver…) ; mais ces nouveaux étudiants n’auront suivi aucune formation professionnelle et arriveront, s’ils obtiennent le concours, avec un plein service devant les classes. Connaissant ce que sont actuellement les classes de Collège ou de Seconde, on ne peut que s’en inquiéter.
Ainsi, pour le millésime 2011, le CAPES ne verra candidater quasiment que des étudiants ayant échoué l’année précédente, et en faible nombre. Quels que soient les choix du Jury, les admis ne devraient pas être du meilleur cru : leurs lacunes peuvent être disciplinaires (le niveau en maths), ou professionnelles (la difficulté à communiquer à l’oral, par exemple). Dans les deux cas, la qualité de ces futurs enseignants risque de ne pas être au rendez-vous, aux dépens de l’éducation des générations à venir.
Que s’est-il passé pour que les étudiants fuient soudain les préparations des concours ?
Probablement l’histoire mouvementée de la réforme de la formation des maîtres en a-t-elle découragé plus d’un. La non-pertinence d’une formation professionnelle hors profession peut aussi (à bon droit) faire craindre aux étudiants qu’ils n’arrivent dans les classes bien démunis. D’autant, on l’ignore souvent, que les débouchés, après des études de mathématiques, sont abondants, en dehors de l’enseignement. Cette chute couronne, certes, une longue période de baisse, puisque, des 8000 présents aux épreuves écrites de 1997, on n’en retrouvait plus que 2800 en 2010, alors que le nombre de poste est resté à peu près constant. Néanmoins, cette baisse tendancielle montre là une accélération inédite.
Nombreux sont ceux qui ont pensé que cette réforme obérerait gravement l’avenir. Pour les mathématiques au moins, ces chiffres en apportent un début de preuve. Bâtie sur des présupposés idéologiques (pour faire court : « pour enseigner, seuls les savoirs comptent »), mal menée par les deux ministères intéressés (qui s’en sont tout simplement désintéressés), la réforme a abouti à un dispositif improvisé, où universitaires (pour les étudiants) et recteurs (pour les stagiaires) ont dû mettre en hâte en place des dispositifs conçus simplement pour minimiser les dégâts. J’ai peur que leurs efforts ne soient en grande partie vains. Les mois qui viennent nous donneront des éléments supplémentaires pour évaluer les conséquences de cette évolution.
Didier Missenard
Enseignant au Lycée Blaise Pascal à Orsay
Formateur en Master de préparation au CAPES de Mathématiques dans les Universités d’Evry-Val-d’Essonne et de Paris-sud 11 Orsay
Illustration : les statistiques proviennent du site des IUFM