Par Bruno Suchaut
« On demande à l’école de faire plus avec moins », explique Bruno Suchaut, directeur de l’IREDU, dans cette tribune donnée au Café pédagogique. Il interroge aussi l’allocation des ressources. « Même si la relation entre les moyens et les résultats du système éducatif n’est pas proportionnelle, la politique de rigueur budgétaire qui commence à modifier sensiblement les conditions d’enseignement n’est sans doute la réponse la plus adaptée à la situation et ne permettra surement pas d’inverser la tendance relevée dans PISA au cours de cette dernière décennie. Il faut se doter de moyens de lutte efficaces contre la difficulté scolaire en agissant tôt dans la scolarité (dès l’école maternelle) en se fixant des objectifs ambitieux mais atteignables en termes de maîtrise des compétences à l’école primaire. Au-delà d’une action spécifique concernant les secteurs géographiques les plus en difficulté, cela demande sans doute aussi d’imaginer des modes d’aide aux élèves plus intensifs mais davantage intégrés à l’action pédagogique »
Les résultats de l’enquête PISA 2009 viennent de paraître. Ils sont consignés dans des rapports volumineux qui demandent une lecture approfondie et souvent experte car ils sont riches d’informations et d’analyses nombreuses concernant différents aspects du fonctionnement des systèmes éducatifs et leur relation avec le niveau de compétences des élèves âgés de quinze ans. Les résultats produits ne sont en fait pas toujours aisément et directement interprétables en termes de politique éducative et, au-delà des constats, il n’est pas si évident, ni immédiat de dégager des relations de causalité entre les modes d’organisation et de fonctionnement des systèmes et les performances des élèves. De nombreux facteurs agissent ainsi sur ces performances, dont certains sont exogènes à l’école et le degré de responsabilité des systèmes éducatifs ne peut être précisément estimé. Tout au plus peut-on dire que la politique éducative a eu peu d’impact quand les résultats des élèves n’évoluent pas positivement. C’est sans doute le cas de notre pays pour lequel l’enquête PISA 2009 livre, une fois de plus, des résultats qui peuvent décourager les acteurs qui s’investissent quotidiennement dans leur travail, à différents niveaux du système éducatif.
Les évaluations internationales, pour peu que l’on prenne le temps de les examiner de manière approfondie, peuvent fournir des éléments de réflexion utiles à la politique éducative en mettant à disposition des décideurs des balises comparatives sur les performances de notre système éducatif selon différentes dimensions. Les élèves français testés lors de cette dernière évaluation de 2009 étaient scolarisés dans des classes de cours préparatoire en 2000 pour ceux qui ont effectué un parcours sans redoublement ; c’est donc l’image de l’ensemble de la scolarité effectuée à l’école primaire et au collège qui est évaluée à l’aune de PISA. Bien sûr, le contexte socioéconomique et l’environnement éducatif familial impriment également leur marque sur l’évolution du niveau de compétences des élèves et il peut-être difficile de chiffrer précisément dans ce type d’étude transversale l’influence précise de ces facteurs.
Les résultats de la dernière vague de l’enquête permettent de suivre l’évolution du niveau des acquis des élèves de quinze ans sur une assez longue période puisqu’ils peuvent être mis en relation avec les résultats produits lors des enquêtes triennales précédentes réalisées depuis 2000. On peut donc disposer d’une photographie des acquis des élèves à quatre moments différents de cette dernière décennie (2000, 2003, 2006, 2009), cela permet de détecter des évolutions positives ou négatives de la qualité de notre école. Au-delà des scores moyens et du classement qui ne fournissent que des informations globales et instantanées, les données PISA peuvent être riches d’enseignement si on mobilise plusieurs indicateurs dans une perspective temporelle. Ainsi, les écarts entre les élèves, la proportion d’élèves ne maîtrisant pas les compétences de base ou encore l’influence de l’origine sociale sur les acquis des élèves peuvent permettre de juger de l’efficacité et de l’équité du système éducatif.
Il faudra donc un peu de temps aux spécialistes pour analyser en profondeur les données produites par la dernière enquête PISA et fournir des pistes de réflexion pertinentes pour la politique éducative. L’analyse « à chaud » permet toutefois de dégager déjà quelques tendances pour notre pays. Un premier point, sans doute le plus commenté par les médias, est le score moyen obtenu par la France et son classement parmi l’ensemble des pays. En 2009, la France affiche un score moyen de 496, soit équivalent à la moyenne des pays de l’OCDE (fixée à 500 dans cette enquête). Si l’on compare l’évolution des résultats depuis 2000, aucune progression n’a donc été enregistrée au cours de la dernière décennie. Plus encore, aucune évolution ne s’est manifestée depuis cette date car les données de 2003 et de 2006 fournissent des chiffres très comparables à ceux de 2000 et 2009. C’est donc une forte stabilité des performances qui est enregistrée, sans qu’aucune mesure de politique éducative n’ait modifiée cette tendance, alors que d’autres pays ont connu pendant cette même période des évolutions plus dynamiques et positives.
Un second point, lié au précédent concerne la disparité du niveau des acquis des élèves. En effet, le score moyen des élèves est, de fait, affecté par la proportion d’élèves faibles et, comme on l’avait déjà constaté dans les enquêtes précédentes, cette proportion est bien trop élevée et à même eu tendance à augmenter de manière significative pendant la dernière décennie. En même temps, le pourcentage « d’élite » scolaire n’a pas diminué mais à même connu une légère hausse depuis 2006
L’analyse des scores des élèves selon le niveau scolaire fréquenté est instructive. La moitié des élèves de l’échantillon sont scolarisés en seconde générale ou technologique, ils affichent un score moyen en compréhension de l’écrit de 555, soit largement supérieur aux scores des pays les mieux classés dans l’enquête. Les 9% d’élèves fréquentant une seconde professionnelle obtiennent un score moyen de 436 (soit légèrement supérieur au score moyens des élèves bulgares) et en baisse depuis 2000 (ils étaient également moins nombreux dans cette filière il y a dix ans). Quant aux élèves français ans scolarisés en classe de troisième (qui ont donc redoublé une classe dans leur scolarité antérieure), qui représentent un tiers de la population des élèves âgés de quinze ans, leurs performances sont particulièrement faibles : score de 419 (soit un score proche de celui des élèves brésiliens) et en nette baisse depuis 2000.
Ce constat de la disparité des performances et de l’accroissement des élèves de faible niveau est confirmé par deux enquêtes de la DEPP. Celle de 2010, qui compare l’évolution des performances des élèves en fin de collège entre 2003 et 2009, montre que la proportion d’élèves les plus faibles passe de 15 à 18% sur ces six dernières années et parmi ces élèves près d’un tiers sont scolarisés dans le secteur de l’éducation prioritaire, contre un quart il y a six ans. L’étude de 2008 qui concernait l’évolution des acquis des élèves de CM2 entre 1987 et 2007 avait déjà relevé une forte hausse des élèves de faible niveau scolaire. Quand on réalise que c’est cette cohorte d’élèves qui fréquentera une classe de troisième ou de seconde en 2012 lors de la prochaine enquête PISA, on peut déjà en prédire les résultats si rien n’est fait d’ici là au collège ! Cette même enquête mettait également en évidence l’accroissement sensible des inégalités sociales de compétences entre les élèves, les enfants d’inactifs et d’ouvriers étant particulièrement touchés.
Le problème crucial de notre système éducatif actuel est bien celui de ne pas pouvoir faire acquérir à tous les élèves les compétences et connaissances indispensables. Il se pose alors la question des causes et celle des solutions sachant que les mesures de politique éducative prises ces dernières années n’ont pas permis à ce que l’école atteigne ses objectifs en matière de qualité.
Il est évident qu’une partie des causes de la difficulté scolaire est exogène au système éducatif et relèvent davantage de la politique sociale et économique afin de limiter la dégradation des conditions de vie de certaines familles qui ont des répercussions sur la scolarité des enfants. Si l’on ajoute à cela le fait que les élèves en difficulté sont pour la plupart identifiés dès le début de l’école élémentaire, la prise en charge de la petite enfance et la scolarisation à l’école maternelle sont donc des niveaux d’action possibles pour prévenir ces difficultés et ne pas les laisser s’amplifier. C’est donc la question du contexte de développement des premiers apprentissages qui est posée. En ce qui concerne l’école élémentaire, on dispose à présent d’études sérieuses concernant les démarches d’apprentissage efficaces en lecture qui permettent de réduire significativement les échecs, elles méritent, au-delà des expérimentations d’êtres généralisées particulièrement dans les secteurs où la difficulté est concentrée.
La concentration de la difficulté scolaire pose aussi la question de la ségrégation sociale et scolaire (politique de carte scolaire) qui est elle-même un facteur négatif pour les progressions des élèves les plus faibles. Peu de choses ont été faites ces dernières années pour une relance énergique de l’Education prioritaire. C’est dans ces secteurs que l’effort doit porter de façon massive et généralisée en mobilisant des moyens adaptés : enseignants expérimentés et incités à exercer dans ces secteurs, généralisation des démarches d’apprentissages efficaces, possibilité de travailler systématiquement avec des petits groupes d’élèves de manière intensives sur des temps spécifiques.
Même si la relation entre les moyens et les résultats du système éducatif n’est pas proportionnelle, la politique de rigueur budgétaire qui commence à modifier sensiblement les conditions d’enseignement n’est sans doute pas la réponse la plus adaptée à la situation et ne permettra surement pas d’inverser la tendance relevée dans PISA au cours de cette dernière décennie. Il faut se doter de moyens de lutte efficaces contre la difficulté scolaire en agissant tôt dans la scolarité (dès l’école maternelle) en se fixant des objectifs ambitieux mais atteignables en termes de maîtrise des compétences à l’école primaire. Au-delà d’une action spécifique concernant les secteurs géographiques les plus en difficulté, cela demande sans doute aussi d’imaginer des modes d’aide aux élèves plus intensifs mais davantage intégrés à l’action pédagogique ; cela demande aussi une organisation du temps plus optimale privilégiant la qualité à la quantité et permettant une réelle prise en charge des élèves fragiles sans pour autant multiplier les dispositifs externes à la classe qui n’ont faut preuve d’aucune efficacité au cours de cette dernière années.
Aujourd’hui, la mission de l’école est rendue plus difficile qu’auparavant, l’Education nationale doit en effet lutter davantage contre les inégalités sociales et culturelles en réduisant les écarts de compétences entre les élèves, tout en élevant le niveau moyen. En fait, on demande à l’école de faire plus avec moins, c’est bien un véritable défi qui pour être relevé demandera une politique énergique et cohérente, mais aussi des moyens davantage ciblés et optimisés en mobilisant les facteurs d’efficacité pédagogique mis en évidence par les recherches en éducation.
Bruno Suchaut
Directeur de l’IREDU
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