Par Claude Lelièvre
« L’histoire ( de l’Ecole ) se remettrait-elle en marche à partir de sa base » ? Historien de l’éducation, Claude Lelièvre observe les résultats de PISA avec le regard du parfait connaisseur du système éducatif français. Dans quelle mesure ces résultats interpellent-ils les valeurs de l’Ecole républicaine ? Dans quelle mesure peut-on les relier aux initiatives d’acteurs de l’Ecole ?
Rien de bien neuf pour la France: en effet, les résultats des élèves français sont plus que jamais très moyens globalement, et très inégaux. Va-t-on enfin en prendre pleinement conscience, et mettre en œuvre d’autres orientations et d’autres priorités pour l’Ecole française ?
Dans les trois domaines étudiés les résultats sont très moyens ‘’en moyenne’’ ( en 2009 comme en 2006, ni plus ni moins ) : 496 points en compréhension de l’écrit ( contre 493 pour la moyenne des pays de l’OCDE ), 498 en culture scientifique ( contre 501 ), 497 en mathématiques ( contre 496 ), les résultats en mathématiques des élèves français ayant baissé de 15 points entre PISA 2003 ( 511 points de moyenne alors ) et PISA 2006 ( 496 ), ce qui nous a fait alors quitter le groupe des pays performants en mathématiques et nous fondre dans celui de ceux aux résultats très moyens.
Par ailleurs, les résultats des élèves français restent nettement plus dispersés et inégaux en France que dans la moyenne de l’OCDE ( et même, parfois, sont encore plus inégaux que dans les enquêtes PISA précédentes ). De façon générale, les différences de milieu familial entre les élèves expliquent 28% de la variation de la performance des élèves en France ( contre 22% en moyenne dans les pays de l’OCDE ). Alors que dans les pays de l’OCDE l’augmentation d’une unité de l’indice PISA de statut économique, social et culturel entraîne l’augmentation du score sur l’échelle de compréhension de l’écrit de 38 points, cette augmentation s’élève à 51 points en France : les résultats des élèves en France sont donc à l’évidence beaucoup plus sensibles aux différenciations socio-culturelles que ceux de la moyenne des pays de l’OCDE.
En compréhension de l’écrit, par rapport à PISA 2000, la proportion d’élèves les plus performants a légèrement augmenté en France, passant de 8,5% en 2000 à 9,6% en 2009 ( alors que, dans le même temps, la moyenne des pays de l’OCDE a légèrement baissé, passant de 9% à 8,2% ). En revanche, la proportion d’élèves peu compétents en compréhension de l’écrit ( en dessous du niveau 2 de compétence ) est passée de 15,2% en 2000 à 19,8% en 2009. Les écarts entre élèves français en compréhension de l’écrit se sont donc accrus ( par le ‘’haut’’ et par le ‘’bas’’ ), alors qu’ils étaient déjà nettement plus importants que ceux enregistrés dans la moyenne des pays de l’OCDE .
Ces inégalités persistantes ( voire aggravées ) interpellent. On peut songer à bien des explications. On peut, par exemple, remarquer que, selon les données de l’OCDE datant aussi de l’année 2006, la France se caractérise pour l’enseignement primaire par un coût salarial par élève ( 1625 dollars) nettement plus faible que dans la moyenne de l’OCDE : elle est en 25° position pour 30 pays. L’écart par rapport à cette moyenne ( c’est à dire 637 dollars ) s’explique par des facteurs de sens divergent : un salaire des enseignants plus faible, un temps d’enseignement assuré par les enseignants plus élevé, une taille des classes plus importante, et, en sens inverse, un temps d’instruction des élèves plus long .
Au collège, le coût salarial par élève en France ( 2392 dollars ) reste encore inférieur à la moyenne de l’OCDE : la France se situe en 22° position. Ici encore, ce coût moins élevé ( écart de – 526 dollars ) s’explique par un salaire des enseignants plus faible et par une taille des classes plus importante ; en revanche, le temps d’instruction des élèves est plus élevé que dans la moyenne de l’OCDE , et le temps d’enseignement des enseignants est moins élevé.
On peut aussi noter que le coût global de l’élève de primaire est en France inférieur de 15% à celui de la moyenne des pays de l’OCDE, alors que celui de l’élève de lycées est – lui – de 15% supérieur. Or, au-delà de ce qu’ils représentent comme possibilités de moyens différenciés effectifs, ces choix budgétaires en disent long sur l’attention différenciée que nous portons aux différentes strates de notre système scolaire et aux différents élèves qui les fréquentent. C’est toute une politique ( pleinement consciente ou non ).
Que la France soit le pays de l’OCDE aux résultats scolaires parmi les plus inégalitaires peut paraître des plus surprenants. En dépit ( ou plutôt à cause ? ) du fait que nous nous targuons d’avoir pour ambition « l’égalité des chances » ( versus « mérite individuel scolaire » ou « élitisme scolaire » ) ce qui, en bon français, signifie l’ambition affichée d’un recrutement socialement élargi des élites…
Mais dans les comparaisons internationales faites par PISA , il ne s’agit justement pas de l’accès ( scolaire ) à l’élite ( aux élites ) mais des compétences acquises à l’âge environ de la fin de la scolarité obligatoire, celles qui concernent tout le monde. L’ambition privilégiée ( en France ) de ‘’l’égalité des chances’’, de ‘’l’élitisme républicain’’ serait-elle peu favorable à l’ambition de résultats plus positifs et plus homogènes pour tous ? La question mérite d’être posée avec force, même si elle est difficile à traiter (et jusqu’alors plutôt à contre-courant, en France ).
Toujours est-il que, ces derniers temps, certaines prises de position vont dans le sens d’une ‘’conversion’’ si ce n’est d’une ‘’révolution copernicienne’’ par rapport à l’état des choses dominant jusqu’alors. Ainsi l’ « Appel de Bobigny » ( signé en octobre 2010 par la plupart des centrales syndicales de gauche, avec leurs principaux syndicats enseignants, en compagnie d’un grand nombre d’associations d’éducation populaire ou complémentaires de l’Ecole, de mouvements pédagogiques et de la FCPE ) déclare notamment en son article 10 que « l’égalité des chances est basée sur un quiproquo ; c’est un modèle de justice auquel on est très attaché en tant qu’individu, mais qui ne crée pas forcément une société ‘’juste’’ […] ; l’école républicaine doit être celle de l’égalité réelle des doits entre tous les élèves ; elle doit viser à la réussite de tous, dans un esprit de solidarité, de coopération et non de compétition ». Et dans l’article 3, il est proposé que « le principe d’équité guide toutes les décisions : ceci nécessite des choix politiques en faveur des territoires et des jeunes subissant aujourd’hui des inégalités et des discriminations insupportables et en faveur de l’école et du collège. Cela exige que l’Etat joue tout son rôle de garant de l’équité à travers des mécanismes de péréquation entre territoires, et oriente d’abord les moyens supplémentaires vers l’école primaire et le collège ».
Par ailleurs le texte sur « L’égalité réelle » qui va être adopté à la convention du PS du 11 décembre déclare en particulier que « l’école primaire est nettement sous dotée. C’est pourtant là qu’il faut intervenir pour combattre l’échec scolaire, là que les inégalités se créent et peuvent être résorbées. C’est donc là qu’il faut concentrer les moyens, en particulier sur le premier cycle des apprentissages […]. Cela nécessite un engagement particulier : refonte des programmes et de leurs évaluations, classes à effectifs restreints là où cela sera nécessaire, renfort éventuel d’un deuxième professeur dans certaines classes pour personnaliser l’enseignement ».
L’histoire ( de l’Ecole ) se remettrait-elle en marche à partir de sa ‘’base’’ ? Acceptons en l’augure : on a trop compté jusque ici, et depuis pas mal de temps, sur ‘’l’élévation du plafond’’ pour assurer la ‘’hausse du plancher’’…
Claude Lelièvre
Sur l’Appel de Bobigny
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Claude Lelièvre dans le Café :
Violence scolaire changer de paradigme
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Histoire du bac