Olivier Maradan : « La Suisse est un modèle réduit des tensions qui circulent dans les pays de l’OCDE »
Au coeur du projet suisse Harmos qui vise à harmoniser les standards nationaux de formation, O. Madaran présente la Suisse comme un modèle réduit des tensions qui traversent les pays de l’OCDE :
« La Suisse est une petite europe, et nous avons 26 ministres de l’Education qui gouvernent chacun leur région. Chez nous, contrairement aux idées toutes faites, les immigrants constituent 40% de la population, très représentés dans les déciles inférieurs de PISA ». Les 26 cantons ont décidé de conduire une réforme visant à conduire un changement important en dix ans : harmoniser l’âge d’entrée à l’école, les différents degrés scolaires, les compétences unifiées de l’instruction publique, quel que soit le lieu de scolarisation en Suisse. Mais l’objectif est aussi de hausser le niveau général de qualification, dans un système où la majorité des élèves passent un diplôme professionnel qui permet aussi des passerelles vers la poursuite d’études. Les plans d’étude vont être harmonisés dans les différentes communautés linguistiques, et les conditions de travail et de qualification des enseignants vont progressivement être harmonisés. « Mais c’est tellement différent de s’entendre entre les différentes cultures que nous allons peut-être échapper aux stricts débats idéologiques : la question même de la traduction nous oblige à des éclaircissements ». Mais il relativise le chemin parcouru : « nous n’avons encore rien fait : cette logique de curriculum ne dit rien de ce qu’il va falloir mettre en oeuvre pour mieux former les enseignants à aider les élèves »…
Sabine Kahn : « L’expression d’un malaise conceptuel ? »
Pour Sabine Kahn (université de Bruxelles), qui est décidée à ne pas faire dans la langue de bois, les intentions des politiques sont très éloignées de la réalité de la classe.
Elle explique dans le détail : lorsque les politiques bruxellois ont mis en place le « décret Mission », ils cherchaient à la fois à unifier les réseaux scolaires et à pousser les enseignants à avoir d’autres méthodes pédagogiques, en rendant les élèves plus actifs au point de vue cognitif, dans un système scolaire très marqué par la pédagogie par objectifs. Un référentiel de compétence a donc été diffusé à tous les enseignants, montrant que des « compétences » générales réclament la maîtrise de « procédures » élémentaires qui y concourent. Des évaluations en trois phases ont été proposées aux enseignants, qui visaient à les aider à pouvoir les regarder agir dans les différents niveaux, du plus complexe au plus procédural, à partir de l’idée qu’il ne suffit pas d’entraîner les procédures simples pour réaliser les tâches complexes et acquérir la compétence.
Mais l’idée n’a pas donné les résultats espérés, « sans doute parce que les enseignants ont été laissés sans accompagnement, ou parce qu’on leur a répondu qu’ils n’avaient qu’à être réflexifs ou à avoir recours à la pédagogie différenciée » ose-t-elle à la tribune devant une salle largement acquise à ces idées. Lorsque les enseignants sont confrontés à des modèles d’évaluation contradictoires, elle ne trouve pas anormal qu’ils se sentent désemparés pour agir. Mais qui aurait pu les accompagner ? Sans doute aurait-il fallu arrêter de les déprofessionnaliser, de les piloter du haut sans leur laisser le temps de concevoir ce qu’ils avaient à construire collectivement. « Entre les pseudo-certitudes des politiques et l’incertitude permanente de la classe, comment veut-on que ça fonctionne sans problème ? »
Jos Bertemes : « Au Luxembourg, Pisa a été un déclic et nous tentons d’outiller les enseignants. »
Pour Jos Bertemes, responsable au ministère au Luxembourg, « compétences » renvoie à « apprentissage » quand « socle » renvoie à une échelle de niveau. Chez lui, les résultats peu flatteurs de PISA ont plongé le pays dans la perplexité, et développé un questionnement sur les modalités d’apprentissage. Ils ont amené la mise en place de cycle de deux ans, à repenser l’évaluation pour abandonner la notation par points et les moyennes, à créer des outils d’évaluation permettant de mesurer les progrès au cours du cycle, mais aussi travailler à des descripteurs permettant de relier les indicateurs de réussite à des situations d’évaluation contextualisées. « Cela fonctionne plus facilement à l’école primaire que dans les plus grande classes » précise-t-il. Le ministère luxembourgeois a aussi commencé à proposer à donner plus de sens aux enseignements : « apprendre à lire un graphique, c’est nécessaire, mais il faut aussi apprendre à discuter le graphique ».
Structurellement, le système a fait voter le principe que la responsabilité de l’acquisition des compétences devienne la responsabilité collective de l’équipe pédagogique, avec des objectifs de progrès inscrits dans le projet de l’Ecole. Le redoublement n’est désormais possible qu’à l’issue du cycle, sous réserve d’un plan de suivi individualisé qui peut donner lieu à attribution des ressources supplémentaires. Une péréquation des ressources financières des communes a été réalisé, et les écoles reçoivent des financements proportionnels à leur « indice social », « ce qui est contesté par les communes aisées ». Les écoles ont vu la mise en place d’un « président d’école » ayant un rôle de coordonnateur pédagogique, la responsabilité hiérarchique étant maintenue au niveau de l’inspecteur. Un temps de concertation légal a été défini.
« Avez-vous progressé dans vos résultats ? » questionne la salle ? « Réponse mardi, plaisante l’orateur à la tribune », évoquant implicitement les résultats sous embargo de PISA 2010, qui sont dans toutes les têtes des participants du colloque…