Olivier Rey : « La France a du mal à poser dans le débat public ce qu’elle veut faire de son École »C’est au responsable de la très reconnue Veille Scientifique et Technologique de l’INRP, Olivier Rey, que l’IREA donne la parole pour un tour d’horizon sur la notion, en duo avec Roger-François Gauthier, inspecteur générla de l’Administration de l’Education Nationale
Compétences et savoirs de base
Dans le monde de l’Education, la question des compétences se cristallise dans les années 2000, notamment dans le CECRL (Cadre Européen de Référence en Langues, 2001), le projet DESECO-OCDE (1997-2003) qui a contribué à « forger une doctrine » autour d’un discours libéral sur l’éducation. « Mais plus que par l’imposition d’un thème, c’est l’appropriation de concepts qui sont devenus référents du fait même de leur existence dans un paysage relativement en friche, plutôt que par une imposition forcée ». Dans la stratégie de Lisbonne (2002-2010), l’Europe reprend à son compte la notion de « compétences-clés », qui aboutit à plusieurs textes et recommandations. Dans cette perspective, la définition de la compétence réfère à de compétences cognitives autant qu’à des comportements (affectif, motivation…). Les huit compétences-clés sont proches des piliers du socle, exceptée la référence au monde de l’entreprise. Il note que la langue anglaise fait la différence entre « skill » et « compétence » pour différencier les procédures de base et les compétences plus globales. « En France, l’ambiguité est permanente, et les textes des dix dernières années oscillent sans arrêt entre le « retour aux fondamentaux » et les compétences-clés ».
Savoirs savants et culture commune
Le rôle de l’école est-il de transmettre les « savoirs savants » ou des « savoirs pour la vie » ? Un chercheur anglais, Mickael Young, explique que l’un des enjeux fondamentaux de l’Ecole est de définir les savoirs universels, que l’Ecole devrait offrir à tous les élèves, quelle que soit leur catégorie sociale d’appartenance, comme patrimoine de l’humanité. « Cette position, généralement énoncée par les « gagnants du système scolaire » semble toujours légitime, et il nous semble toujours impossible de remettre en cause ce qui est pour nous une part de notre identité de « diplômé ». Mais ces savoirs « légitimes » sont-ils intangibles ? Quel est le « noyau dur » des connaissances ? Quelle légitimité l’Ecole peut avoir pour les défendre elle-même, éventuellement contre la société ? »
A cette question, O. Rey veut apporter une réponse résolument pragmatique :
« Le socle commun est pour moi un programme commun sur l’Ecole obligatoire, qui reste trop impensé en France, tant a été tardif la construction du collège unique ». Conséquence ou source du problème, la définition du rôle du collège n’est toujours pas réglée : zone de tri qui ne dit pas son nom ? Propédeutique à l’enseignement secondaire pour tous, piloté par le modèle des grandes écoles ? Lieu privilégié d’acquisition de la culture commune ? « Dans tous les pays, ce débat est posé, et les réponses peuvent être très différente. Mais en France, nous ne l’avons jamais vraiment mené jusqu’au bout, comme si c’était toujours le maximum pour tous qui devait être la référence ». En France, il constate qu’on n’arrête toujours ses études lorsqu’on est au plus haut de ce qu’on peut faire, comme par un échec de sa propre « orientation ». Ne peut-on pas penser une sortie par la réussite, même quand on ne va pas aller dans les filières dites « d’excellence » ? parce que les « compétences transversales » et des « éducations à.. » ne se réfèrent pas à des disciplines constituées, elles ne sont pas la propriété de tel ou tel champ disciplinaire. « La société doit donc, au-delà des clercs, dire ce qu’elle veut pour sa jeunesse, avec l’éclairage des évaluations internationales qui nous montrent que la réussite était corrélée à la capacité à fabriquer un cursus commun long, et non à la séparation précoces en filières. »
Standards et évaluations
Olivier Rey questionne la montée des évaluations standardisées externes, aux fins de pilotage éducatif. Sont-elles compatibles avec l’évaluation des compétences ? « Lorsqu’on évalue des performances en situation scolaire, parfois avec des QCM, on est loin de la complexité de l’évaluation par compétence ». Il pose en corollaire la question de la formation de base d’un enseignant, « technicien de sa discipline » ou « professionnel autonome » très qualifié, à même d’être un chef d’orchestre capable de créer des situations d’apprentissage complexes ? « Je suis très perplexe de voir les enseignants jongler avec les doubles-référentiels (programme et socle), soumis à des pressions de conformité très fortes. » Au-delà de la question stricte du programme, la question des curriculum lui semble se poser urgemment, beaucoup plus large, intégrant la question des situations d’apprentissage, la formation, l’évaluation, les contenus… « Une approche globale de la notion de professionnalisation, qui demande d’articuler dans la finesse le national et le local… Il faut rendre aux enseignants la responsabilité qui est la leur, et ne pas les transformer en exécutants tayloristes de circulaires ».
Lorsqu’on écoute les acteurs, l’idée est fréquemment évoquée que le socle soit la résultante de directives internationales qui fassent que le pilotage éducatif échapperait à l’échelon national, partie apparente d’une dérive libérale. L’étranger, en matière éducative, est toujours soit une menace soit un rêve… « Mais sommes-nous donc persuadés que nous serions les seuls à avoir une conception du service public ? » Pour Roger-François Gauthier, le débat initié par Claude Thélot posait pourtant une vraie question franco-française… »Pour comprendre la situation, il ne faut pas se cacher que la décision amenant au socle a été politiquement difficile à prendre, et que les influences de points de vue étrangers ont été réelles dans la commission« . Jusqu’à la signature, les conseillers des ministres qui ont signé la loi ont été porteurs d’idées contradictoires. Plusieurs états non-publiés du texte du Socle Commun ont été sans doute plus « libéraux » que ce qui est sorti au bout du compte. « Le Socle est un objet francisé, comme le montre clairement le pilier « culture humaniste ». Ceci dit, sa mise en oeuvre reste très discutée par le pouvoir politique, à ses différents niveaux, comme en témoigne la lenteur avec laquelle le Socle pénètre l’espace éducatif français. »
Doit-on renforcer les apprentissages davantage centrés sur le « faire » que sur le « savoir » ? On sait qu’il existe des savoirs nécessaires pour entrer dans certains cursus, mais « il y a un juste milieu à trouver » pour éviter l’inféodation des savoirs aux pratiques sociales, et Mickael Young lui même en accepte l’idée. « Mais quand on viole les professionnels, on avance pas ». Il s’étonne donc qu’on fasse des compétences le coeur de batailles de tranchées, et demande d’ouvrir des espaces de travail pour qu’ils puissent avancer sereinement.
Certaines questions sont systémiques : selon lui, le scole commun a donc besoin que soit construite une école du socle commun, regroupant physiquement et administrativement l’Ecole et le collège. Plusieurs pays construisent progressivement cette perspective. De même, il faut réfléchir à la place du lycée : le mot « enseignement secondaire » est-il encore adapté ? le lycée doit-il être un passage rapide ou un lieu fondateur ? Les questions du socle sont-elles à traiter à coup de circulaire ? Si on y tient, ne doit-on pas faire le ménage dans la cohabitation socle-programme, y compris dans les examens ? Mettre en avant le socle, n’est-ce pas changer le paradigme organisationnel, avec la formation et la recherche à la hauteur de ce ambitions ? Quelle place doit prendre l’évaluation, et selon quelles modalités ? La diversité locale des modes d’avancée sur toutes ces questions demande de mettre plus en avant la question des standards, comme on a commencé à la faire en langues.
Quand des pays réussissent des avancées, la question du « droit » des élèves se pose : pour un élève qui a validé le socle, peut-on vous refuser l’accès en classe de seconde ? Pourra-t-on longtemps faire accepter aux familles que l’institution sait mieux qu’elle le cursus que doit suivre ses enfants ?
Sur cette imposante liste de questions, la discussion qui suit est trop brève pour dépasser les plaidoyers pro-domo, et les leviers à actionner un peu opaques. Suite après le repas, ça va discuter…
Savoirs de base : quelle approche dans les différents pays ?
Ouvrant la première table-ronde de l’après-midi, Françoise Clerc pose aux orateurs des questions de fond :
– la question des compétences ne coïncide pas avec celle des champs disciplinaires. Comment réorganiser ?
– ce qu’on connaît désormais sur l’activité cognitive et l’apprentissage invite à modifier le rôle de la pédagogie, de la simple transmission de contenu à la construction des connaissances. Comment ?
– en quoi consiste cette norme culturelle et les standards, qui les définissent et qui les imposent, avec quels rapports de force dans la société ?
Régis Malet : « vers un risque de dualisation de l’Education sous la pression internationale ? »
Universitaire à Lille 3, R. Malet travaille sur les politiques éducatives et scolaires et la formation des enseignants. Pour lui, la difficile articulation entre savoirs de base et compétences de base a une spécificité française, dans le cadre d’une certaine mondialisation des questions éducatives, sous l’impulsion des Etats-Unis souhaitant que les évaluations internationales se développent. Le concept de « basics skills » (compétences de base) a été diffusé par le biais de l’OCDE et de la stratégie de Lisbonne, dans la perspective d’une amélioration des compétences de bases, à travers des repères communs pour les objectifs assignés par les nations à l’Ecole. Dans ce cadre, la prescription définit l’objectif, et donne aux acteurs une grande marge de manoeuvre pour arriver aux résultats. Pour l’instant, la situation est très différente en France, et l’autonomie des établissements est toute relative, qu’on la déplore ou qu’on l’encourage.
Enfin, il pointe un relatif « désanchantement » des systèmes éducatifs : alors que le plan Langevin-Wallon voulait amener chacun en haut du système, comment en arrive-t-on à demander une « base minimum » pour tous ? C’est sans doute le signe de l’essoufflement le la perspective de démocratisation égalitaire et le renforcement du « mainstream » idéologique international. « Est-ce le signe de l’échec de la logique du modèle logico-encyclopédique, et la victoire du modèle pragmatique et instrumental ? » pour reprendre les propos de Jean-Claude Forquin… Avec le risque d’une dualisation du modèle d’éducation et un affaiblissement des responsabilités spécifiques de la Nation » questionne-t-il en conclusion
Denis Meuret, IREDU : « Il faut se donner des objectifs réalisables, faute de quoi on marginalise une partie des futurs citoyens »
Changement de ton et de fond radical. Pour Denis Meuret, un standard, c’est ce que les élèves doivent maîtriser, qui ne se confond pas avec le programme, qui est ce que l’enseignant doit enseigner. Etonné par les « cris d’orfraies » qu’elle suscite, il propose une définition simple de la compétence : une connaissance et la capacité de l’utiliser. S’intéressant à la situation américaine, et au programme No Child Left Behind, il indique que chaque école doit, pour chaque groupe éthnique, tracer un chemin de progrès jusqu’à 2014 qui amène tout le monde à 100, quel que soit le niveau d’origine. « Ce programme a donc incité les équipes dans les écoles et les collèges a mettre en place des dispositifs spécifiques pour les élèves en difficulté ». Il convient que ce programme suscite de nombreux débats, notamment ceux qui pensent que l’objectif annoncé est totalement irréalisable. Mais en passant, il précise que les objectifs du socle commun français, autour de 600 dans la nomenclature PISA, lui semblent beaucoup trop élevés pour que 100% des élèves le maîtrisent. « J’aurais préféré qu’on se donne un objectif réalisable pour tous, au lieu de se préparer à jeter à la poubelle une fraction importante de la population au nom du fait qu’elle ne va pas parvenir au standard, leur indiquant ainsi qu’ils ne sont pas prêts à être des citoyens ? Mais comment avoir un objectif stimulant pour tous ? ».
En tout cas, il réfute le fait que le « teaching to the test » mette à distance les élèves les plus en difficulté : « même quand on travaille pour les élèves juste en dessous du seuil, ceux qui sont les plus éloignés en profitent ». Pas sûr que cet avis fasse consensus dans la communauté scientfique, commentent ceux qui, dans la salle, connaissent les résultats de Nathalie Mons ou d’Adam Gamoran…