Aujourd’hui, l’équipe rencontrée est celle d’un ITEP, un établissement de petite taille établi dans une petite ville de 11000 habitants d’un département rural, qui accueille des enfants relativement jeunes (à partir de 7/8 ans), en internat de semaine, scolarisés à l’interne ou à l’extérieur, avec une classe externalisée sur l’agglomération du chef-lieu, et un SESSAD (Service d’Éducation Spécialisée et de Soins A Domicile).
Que des garçons, est-ce anodin ?
Ce qui frappe en arrivant, c’est la masculinisation des personnes qui y vivent ou y travaillent : uniquement des garçons ! L’établissement est mixte mais dans les faits, aucune fille n’y est orientée ; l’internat mixte est très difficile à gérer quand il y a 1 fille pour 4 garçons, ce qui représente la prévalence dans ce type de troubles, comme dans plusieurs autres troubles d’ailleurs. Les enseignants : que des garçons aussi ! Ils sont 5, tout étonnés de voir que la « petite remplaçante fille » qui débarque aujourd’hui pour prendre en charge un des groupes s’en tire fort bien, sans élever la voix, sans avoir à montrer une force physique quelconque. Ce que, eux, sont parfois obligés de faire avec ces jeunes qui ont des comportements agressifs, violents même pour certains, exacerbés peut-être dans cet environnement uniquement masculin. Quand les cinq collègues interrogés sur ce que çà change d’être un homme ou une femme pour eux et pour leurs élèves disent que ce n’est pas différent, ce n’est pas si sûr ! Néanmoins, le « couple éducatif » est préservé, symbolisé par la présence d’éducatrices à côté des enseignants. Est-ce un hasard ?
L’unité d’enseignement, qu’est-ce que c’est ?Depuis cette année, il n’y a plus de classe à l’ITEP mais, en vertu d’un décret de 2009, une unité d’enseignement (UE), avec des services d’enseignants mis à disposition pour mettre en œuvre le projet personnalisé de scolarisation (PPS) du jeune, et des groupes d’élèves constitués au plus près de leurs capacités à être scolarisés, avec des temps scolaires variables d’un élève à l’autre, avec des lieux de scolarisation différents. Les nouveaux textes incitent à organiser des parcours scolaires adaptés et des scolarités partagées (un temps dans l’UE de l’ITEP, un temps dans une classe en milieu ordinaire). Tout a été formalisé au cours de l’année scolaire dernière dans une convention constitutive signée entre l’association de gestion de l’ITEP et l’IA. Les coopérations entre l’ITEP et des établissements scolaires situés à proximité (écoles, collèges) ont été elles aussi conventionnées.
Une nouvelle fonction, celle de coordonnateur pédagogique, qu’est-ce que çà change ? C’est dans ce cadre à la fois administratif et pédagogique qu’évoluent les 5 collègues, dont un a accepté la mission de coordination pédagogique. Çà aussi, c’est une nouveauté : les anciens directeurs pédagogiques (qui touchaient une indemnité pour ce travail et étaient déchargés pour le faire) sont devenus des coordonnateurs pédagogiques avec des temps face à élèves et d’autres sans élèves pour assurer tous les liens et le suivi des parcours.
Derrière le changement de mots, il y a tout de même des orientations un peu différentes. « Ce n’est pas facile de se positionner. Je suis chargé de mettre l’équipe pédagogique en ordre de marche, je suis assimilé à un cadre par rapport à l’établissement sans en être un dans la réalité. Je n’ai, comme les directeurs d’écoles, pas de pouvoir hiérarchique. Je participe aux réunions avec les chefs de services et le directeur. J’ai vraiment parfois l’impression d’être assis entre deux chaises! », nous confie Frédéric, ancien directeur devenu coordonnateur.
Quand ces tensions de métier se doublent de difficultés à percevoir cette indemnité encore versée cette année (mais jusqu’à quand ?), il faut en avoir de la ressource pour fonctionner malgré tout.
« Personne ne s’est inquiété non plus de savoir comment on fait au niveau administratif, comment on traite la question des scolarités partagées… A nous de nous débrouiller avec les directeurs d’écoles pour inventer de nouvelles formes de coopération », ajoute t-il.
Jean-Sébastien qui s’occupe du groupe des plus âgés, est arrivé l’année dernière et il est resté. Il travaille en lien direct avec l’éducateur technique spécialisé et essaie d’articuler les apprentissages scolaires avec ceux de l’atelier. Il a à apprendre à travailler en partenariat, cela ne se décrète pas, il faut connaître le champ professionnel de l’autre, le respecter et pouvoir faire respecter le sien. Ce n’est pas toujours simple quand on est un jeune enseignant, pas encore sûr à 100% de sa posture d’enseignant et qu’on doit la confronter à celle d’un éducateur chevronné, établi dans un fonctionnement bien installé.
« En arrivant dans le département au mouvement de réajustement, j’ai préféré choisir l’ITEP plutôt qu’un poste de titulaire-remplaçant, où je ne me serais pas senti bien du tout d’avoir à m’adapter au jour le jour. Ici, c’est plus difficile avec les élèves mais c’est plus stable ! », explique Jérôme, enseignant depuis cinq ans, et a passé 3 ans dans une classe de CP quittée à regret.
Ces deux-là ne comptent pas rester dans l’ASH, ils y font leurs premières armes mais ne souhaitent pas vraiment se spécialiser.
Pour les 2 autres, c’est différent, ils ne sont pas arrivés là par hasard. Philippe a choisi de travailler dans la classe externalisée de l’ITEP en sortant de l’IUFM et Jean-Noël a délibérément lâché un poste à titre définitif dans l’ordinaire pour travailler au SESSAD. « J’avais envie de voir ce que c’est que l’ASH, si çà me convient ; ensuite je verrai à partir peut-être en formation ». Çà a été inédit pour l’administration qui était confrontée pour la première fois à quelqu’un souhaitant quitter un poste définitif pour aller sur un poste attribué forcément à titre provisoire (puisque soumis à une certification).
Aujourd’hui, l’équipe pédagogique s’intéresse aux fameuses compétences du socle commun…
Ils n’ont pas vraiment choisi cette journée de formation à laquelle ils ont été « convoqués » mais ils comprennent vite le bénéfice qu’ils pourront tirer de ce moment de regroupement pour faire avancer la réflexion collective sur ce sujet complexe. La volonté politique de l’inspection académique s’est portée sur le choix de maintenir des formations ASH dans le plan départemental de formation réduit cette année en offres du fait des restrictions budgétaires et de la suppression de la formation en IUFM. Dans l’ingénierie de formation, il a été décidé d’organiser plusieurs sessions d’un jour avec des intersessions pour continuer en réunions d’équipe le travail amorcé, essayer des choses dans son groupe-classe.
Les questions portent sur « comment faire avec les compétences : « On nous demande d’évaluer par compétences ; alors çà veut dire que dans notre enseignement on doit se référer aux compétences… Concrètement quand on rédige la fiche de prép de la séance, on doit écrire quelle compétence on travaille?… » dit l’un. Un autre renchérit : « Alors moi j’écris toujours « objectif » je dois mettre « compétence » à la place, mais qu’est-ce que çà change ?… » Et les voilà partis dans une discussion sur la différence entre la pédagogie par objectifs et l’approche par compétences…
Ensuite la question de l’entrée dans les savoirs se pose…
« Moi, j’attends que les élèves soient disponibles pour les faire entrer dans le savoir. »
« Certes, mais le souci, c’est ces élèves qui ont des crises, qui se bloquent par rapport aux apprentissages… – J’ai un élève que j’ai, il n’y a pas longtemps, réussi à mobiliser sur un objet de travail qui l’intéressait, il s’est vraiment investi mais il a été complètement débordé par ses émotions et la crise a eu lieu quand même… »
– Avec eux, on est toujours dans le « trop »…
– Il faut être en forme le matin, c’est sûr mais il faut aussi être convaincu qu’on peut avancer, même avec ces élèves-là… »
Alors, comment faire, pas si simple…
Quand il faut travailler en dehors des obligations horaires de services, ces enseignants sont prêts à s’investir pour les élèves, mais pour participer à une réunion institutionnelle, ils rechignent un peu…
Et leurs questionnements sont-ils si différents que ceux que peuvent avoir les équipes d’écoles en milieu ordinaire ?
Les compétences sociales et civiquesL’équipe met la focale sur ces compétences-là :
– « On est obligés d’avoir des règles communes et des réactions cohérentes entre nous
– Même si individuellement le seuil de tolérance n’est pas tout à fait le même…
– Justement, nos élèves d’ITEP sont là parce qu’ils ne sont pas capables de respecter des règles, c’est prioritaire pour nous de travailler toutes ces notions, si on veut les aider à se socialiser pour retourner un jour en milieu scolaire ordinaire. »
On a bien compris qu’on ne pouvait pas adapter le socle puisqu’il est « commun », mais on va réfléchir à affiner les compétences sociales plutôt que d’autres, parce que çà correspond à des besoins ici.
Un fonctionnement d’équipe commence à s’ébaucher, on se donne un objet de travail commun pour les prochaines réunions. La commande prescrite est reprise par un collectif, et intégrée à ses préoccupations réelles !