La revue « Recherche et Formation », éditée par l’INRP, a pour ambition de faire du lien entre les savoirs issus des laboratoires et les pratiques des formateurs. Nous avons demandé à ses deux rédacteurs en chef, Françoise Lantheaume et Patrick Rayou, leur point de vue sur quelques débats en sciences de l’Education. Nécessité de commande publique, espaces spécifiques et relations à renforcer entre les différents acteurs leur semblent cruciaux.
1. On a beaucoup entendu à l’AREF (et parfois constaté) que la recherche sur l’Education était trop fragmentée, trop éclatée. Vous êtes d’accord ?
Cette recherche est par définition plurielle et donc sujette à l’éclatement. Les recherches actuelles succèdent aussi à celles d’une époque où il y avait des modèles interprétatifs très forts qui empêchaient de regarder beaucoup d’aspects de la réalité des situations d’éducation et de formation. D’où, ce que nous observons depuis la revue Recherche et formation, l’apparition de bien des questions jusque-là peu étudiées. C’est l’avantage de l’inconvénient en quelque sorte. Mais cette diversité devient d’autant plus éclatement que la tutelle politique ne reconnaît que très peu l’importance de ce secteur de recherche comme en témoignent de nombreuses tentatives avortées de donner de l’unité à la recherche en éducation. Un comité de coordination de la recherche en éducation (CNCRE) a ainsi été mis en place en 1995, mais très rapidement supprimé. L’un de nous a conduit dans ce cadre une recherche sur les étudiants de premier cycle, mais le jour où il a remis le rapport, cet organisme n’existait plus. Le PIREF (Plan incitatif pour la recherche en éducation et formation) qui lui a succédé au début des années 2000 a eu une existence tout aussi éphémère. Or la recherche en éducation, c’est aussi une politique qui suppose un continuité et une cohérence dont n’ont porté la marque ni les Iufm qui ne pouvaient pas abriter de laboratoires de recherche, ni l’INRP dont la mission de recherche n’a jamais été clairement établie et garantie.
On reproche parfois aux « sciences de l’Education » de ne pas fournir de « résultats » qui puissent « faire vérité ». Argument d’anti-pédagogues ?
On peut aussi penser que si elles proposaient des résultats « clés en main » on leur reprocherait leur dirigisme. Tel n’est pas leur but. Elles ne peuvent qu’éclairer les questions rencontrées dans la pratique, pas se substituer à ceux qui, seuls, peuvent les résoudre. Par ailleurs, l’existence de controverses n’est pas le propre des seules sciences de l’éducation ; même en sciences dites dures, les remises en cause touchent parfois des vérités qui semblaient très établies et les débats publics sont virulents, l’actualité en donne de multiples exemples. Ce débat est un peu dépassé. De fait, c’est le propre de toute recherche scientifique que de construire des preuves qui sont soumises à la communauté scientifique mais sont aussi dans l’arène publique. Cela est d’autant plus vrai quand, comme pour l’éducation et la formation, le lien avec les pratiques sociales est très fort et que les enjeux ne peuvent se résumer à faire une belle démonstration théorique. La recherche en éducation fournit de nombreux résultats, mais les pouvoirs publics s’en saisissent-ils ? La tendance est plutôt à l’ignorance ou à l’instrumentalisation. Imaginons des décisions politiques en matière de santé ou de sécurité aérienne, par exemple, qui ne tiendraient aucun compte des résultats de la recherche, cela paraîtrait absurde. C’est ce qui se passe pourtant pour l’éducation. Il en est souvent de même du côté des acteurs dont les relations avec la recherche sont ténues, une fois la formation initiale terminée.
3. Vous êtes d’horizons différents. Pouvez-vous cependant citer deux ou trois « résultats » de recherche des vingt dernières années qui vous paraissent essentiels pour les enseignants ?
Oui, il y en a beaucoup ! De nombreux résultats démentent, par exemple, l’idée d’une professionnalisation triomphante tout autant que celle d’un corps enseignant tout arcbouté sur ses routines, résigné et sans ressources. Mais elles montrent aussi que le métier est en difficulté pour actualiser ses ressources face aux nouvelles attentes sociales, à des organisations du travail et une formation transformées, et à un état des connaissances caractérisé par son évolution rapide. On peut citer aussi les recherches qui, en France et ailleurs, montrent année après année l’inanité des redoublements dont la pratique ne tarit cependant pas. On pourrait parler également des nombreuses recherches sur les dynamiques locales, qui montrent les marges de manœuvre des équipes pédagogiques mais aussi les effets des politiques publiques, par exemple en matière de carte scolaire. La question du genre en éducation a, quant à elle, longtemps été ignorée en France. C’est désormais un secteur très actif et productif de la recherche en éducation, qui permet d’envisager la complexité d’une situation ne se résumant pas au débat mixité-non mixité et qui interpelle aussi bien les décideurs que les praticiens. Il en est de même de recherches concernant deux populations situées aux opposés du spectre social et éducatif : les établissements relevant de l’éducation prioritaire et les formations visant à la formation d’une élite. Enfin (mais c’est loin d’être exhaustif !), il y a de nouvelles rencontres scientifiquement productives. Ainsi, quand les didacticiens travaillent avec les tenants de la didactique professionnelle ou des sciences du travail d’une façon générale, l’approche du travail des enseignants évolue, prenant en compte des éléments nouveaux tant du côté de ce qui est commun à tous les enseignants que de ce qui est spécifique à telle ou telle discipline d’enseignement.
4. Quel est le rôle de la revue dont vous êtes responsable, « Recherche et Formation » ? Quelles vous semblent être les évolutions nécessaires pour cette revue ?
La spécificité de Recherche et formation est d’être une revue pluridisciplinaire centrée sur les questions de formation pour le monde éducatif à partir d’articles répondant aux critères classiques de scientificité –ils sont soumis à une double expertise en aveugle- tout en ayant une forme que nous essayons de rendre toujours plus lisible et accessible aux lecteurs non spécialistes de tel ou tel champ scientifique. Le développement de la formation tout au long de la vie et la décision de porter la formation des enseignants au niveau du master créent un nouveau public et donc des lecteurs potentiels plus nombreux et divers. Recherche & formation a pour objectif de se saisir de cette opportunité et de devenir la revue de référence pour les enseignants chercheurs, les formateurs, les étudiants et des enseignants se préoccupant du lien entre recherche et formation, entre recherche et pratiques. Les questions vives que se posent chercheurs et acteurs y sont abordées. Ainsi, le prochain numéro consacre son dossier à la question des référentiels et au processus de référentialisation, ce qui devrait intéresser un nombre important de lecteurs.
Nous travaillons aussi à tisser des relations plus étroites avec les réseaux scientifiques et professionnels traitant des questions de formation (universités, réseaux de la formation professionnelle continue des salariés d’entreprises publiques ou privées dans des domaines où l’éducation est un des aspects de la formation -santé, sport, culture, langues-, etc.). Car la revue ne peut se développer que si les formateurs, en particulier, s’y reconnaissent, se l’approprient.
Ces orientations demandent aussi une ouverture internationale accrue pour faire bénéficier nos lecteurs des résultats de recherches d’autres univers linguistiques et éducatifs. Ainsi, chaque dossier de la revue comporte plusieurs auteurs étrangers. Enfin, nous œuvrons à construire une complémentarité entre le site internet et la revue publiée sur papier y compris dans une perspective d’ouverture internationale : de nombreuses ressources sont déjà accessibles sur le site (entretiens, rubrique « autour des mots de la formation », etc.).
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