C’est
en remerciant les plus de deux cents présents pour leur
soutien
dans la crise actuelle (réduction des financements) que le
président Philippe
Watrelot
ouvre la séance dans les locaux de la mairie du XXe
arrondissement de Paris, avec le soutien de l’association Education et
Devenir.
Pour le CRAP, l’idée de l’accompagnement n’est pas neuve : « nous
militons pour une conception large du métier d’enseignant,
pour
que l’école soit son propre recours et que la
pédagogie
soit ouverte. Nous savons que l’aide se passe dans et hors la classe,
avec un double risque : dédouanner l’écol ou
mettre
à l’écart. L’aide serait alors un pansement qui
empêche de se poser la question de la
différenciation dans
la classe. »
Mais
l’accompagnement est aussi un mot-clé des
réformes en
cours, et les bonnes idées peuvent donner lieu à
des
dérives. S’il revendique son engagement pour une
réforme
du lycée, P. Watrelot se demande comment faire oeuvre utile
dans
un contexte difficile, et la tentation de rejeter les
réformes
au nom du manque de moyens. Ces enjeux questionnent la division du
travail dans les établissements, pour envisager
l’élève globalement et créer du lien
avec le
péri-scolaire. Mais les institutions réduisent la
formation à portion congrue, en même temps
qu’elles
appellent à faire de l’établissement un lieu de
questionnement professionnel.
Il signale l’appel de Bobigny qui invite à construire un
projet
éducatif cohérent pour 2012, dont le colloque
peut
être une contribution.
Jean
Houssaye, professeur en sciences de l’Education
à Rouen, veut faire un sort à la pédagogie de soutien,
qui risque de sonner la mort de la pédagogie
« différenciée » qu’il appelle de ses voeux. Selon
les
époques,
« l’hétérogénéité »
des élèves
a été prise en charge selon des modes
différents.
Au XIXe, plusieurs systèmes coexistent : enseignement
individualisé (préceptorat successif),
enseignement
simultané dans des classes de niveau à partir de
1830
(selon le modèle de Jean Baptiste de la Salle et des
écoles chrétiennes), mode mutuel
importé
d’Angleterre qui permet de résoudre le problème
du manque
d’enseignant, avec des groupes de niveau selon les disciplines,
confié à des moniteurs surveillés du
haut de
l’estrade par le maître. Avec Guizot, la
génération
du mode simultané et des inspecteurs d’enseignants se met en
marche, que Jules Ferry enterinera. C’est un programme politique qui
vise à mettre l’école au service de l’Etat, aux
dépens de l’Eglise.
Le
fonctionnement du primaire rejoint celui du secondaire, au nom de
l’Egalité des Chances : à chacun la
responsabilité
de son échec, puisque chacun aura eu sa chance, dans un
modèle où chaque filière permet
à chacun
d’être « à sa place », puisqu’on cherche les
fonctionnements
en classes homogènes. « On gère les
différences en
organisant les similitudes ».
Mais pour J. Houssaye, ce modèle a ses limites, devant
lesquelles on va tenter d’organiser du « soutien » pour gérer
l’hétérogénéité
de fait. Lorsque le
ministre Haby impose la supression des filières, il faut
installer des dispositifs pour reprendre les apprentissages de base et
permettre aux « élèves faibles de rattraper les
autres ».
Mais pour J. Houssaye, « le
soutien est davantage du côté des didacticiens que
des
pédagogues, et est une pédagogie de bonne
conscience« .
Il lui reproche donc d’être appréciée
par les
enseignants au nom du fait qu’elle permet de penser « avoir fait quelque
chose » tout en maitenant les habitudes et l’ordre ancien ».
Mais quelle différence entre le soutien contre la
pédagogie différenciée ? S’il
concède que
la pédagogie « de soutien » témoigne de la bonne
volonté, Houssaye lui reproche de ne pas permettre de
s’attaquer
au modèle simultané de l’ordre scolaire. « C’est
d’autant
plus vrai que la pédagogie
différenciée est morte.
Legrand, Savary et Meirieu n’ont récolté que le
soutien,
alors que leur approche différenciée faisait la
synthèse entre la pédagogie nouvelle, de la
pédagogie par objectif ou de maîtrise. La gestion
de
l’hétérogénéité
est renvoyée
à l’extérieur ».
« On ne change pas les choses en les aménageant, conclut
Houssaye
par une profession de foi, appelant à « faire rupture pour
changer vraiment ».
Mille-feuille ou
action concertée des aides et des accompagnements ?Coordinatrice du récent
dossier numérique publié sur ce thème
par les CRAP, Sylvie Grau
ouvre la table-ronde en questionnant la posture de surplomb de
l’enseignant, pour inviter à
l’à-côté, au
conseil, à « tenir la boussole pour aider choisir sa route ».
Pour
elle, bienveillance, croyance en l’éducabilité
pédagogie se conjuguent avec pédagogie du
détour
et travail d’équipe.
Régis Guyon,
coordonateur du numéro des CRAP sur les
difficultés des
élèves, questionne la nature des
difficultés des
élèves : entre un primo-arrivant et un
élève dyslexique, les difficultés ne
sont pas de
même nature. Les élèves « en
difficultés »
ont-ils lents, « à besoins éducatifs particuliers »
ou
socialement éloignés des savoirs scolaires ? Que
gagne-t-on à constituer des catégories de publics
de plus
en plus fines dans l’espoir de « traiter la difficulté » ?
Comment
définir la « difficulté ordinaire » qui ne
relève
pas de spécialistes ? Les « élèves en
difficulté », s’ils ne se confondent pas avec les
« élèves difficiles », ne risquent-ils pas la
marginalisation dans les dispositifs exétrieures si on ne
questionne pas ce qui se passe en classe, si les enseignants
« ordinaires » refusent de prendre leur part ?
Eric de Saint-Denis,
cofondateur du micro-lycée de Senard et enseignant
à
Vitry (94), qui accueille des élèves en rupture
scolaire
totale, pense que dans ce type de structure, encore plus qu’ailleurs,
la question de l’accompagnement est centrale. Tutorat,
référence, suivi de chacun par un membre de
l’équipe dans son temps de service, comme le raconte
ce film
sur Curiosphère, dans un « égal à
égal »
centré sur le réussite de
élève. les heures
de vie de classe interrogent le fonctionnement et permettent de
s’inscrire dans un collectif, ce qui est fondamental lorsque les
trajectoires individuelles sont très lourdes. Mais
accompagner,
c’est aussi se préoccuper des savoirs institués,
des
difficultés cognitives, dans un rapport à
soi-même
dans les difficultés d’apprentissage. C’est ne pas confondre
la
nécessaire norme scolaire et la normalisation qui exclut. Si
l’effectif réduit des micro-lycées favorise le
suivi
individuel, « c’est
avant tout un problème de posture de l’enseignant et des
équipes éducatives »
conclut E. de St Denis. Une double vision du métier
à
assumer : enseignant et éducateur, à plusieurs
nécessairement « Dans
ce cadre, pour l’élève comme pour l’enseignant,
l’individualisme est illusoire ».
Anne Carrayon,
de la JPA, insiste sur l’accompagnement extérieur
à
l’école, défendant un accompagnement global.
‘L’éducation n’est pas que nationale, l’accompagnement n’est
pas
que scolaire ». Dans son « projet de société », le
centre de
vacances et les structures de loisirs sont des lieux d’apprentissages
de la vie en collectif, notamment par la pédagogie de
projet.
L’animateur est celui qui « fait avec », qui fait aussi les ponts dans le
cas des intégrations. Elle invite la salle à
découvrir la richesse les temps peri-scolaires, à
renforcer la concertation et les projets communs.
Alors,
aménager ou faire rupture ? C’est la question
que se pose Nicole Priou
en introduisant la table-ronde de l’après-midi. Encore
faut-il,
explique-t-elle, identifier dans le détail ce qui est en jeu.Mina Puustinem et le système
finlandais : « une détection précoce et des moyens
importants »Dans
le système finlandais, très
décentralisé
bien que le pays ne compte que cinq millions d’habitants, la
scolarité obligatoire commence à sept ans. Le
principe
fondamental, au cours du cursus, est « d’assurer des chances
égales pour tous » dans cette école fondamentale
instaurée dans les années 1970, gratuite
jusqu’aux repas
et aux transports, avec une politique d’intégration du
handicap
très poussée, et une mobilisation aussi
précoce
que possible pour assurer le dépistage des
difficultés et
l’accompagnement. La médecine précoce y joue son
rôle, pour les aspects biologiques et psychomoteurs, avec un
examen obligatoire à cinq ans. Les enseignants sont
recrutés sur un concours très
sélectif, avant un
cursus de cinq ans articulant connaissances disciplinaires et
didactiques, mais aussi en psychologie sociale ou dans
l’expérience de travail en réseau. Dans
l’école,
le rôle des enseignants spécialisés est
important :
on compte un poste pour deux cents élèves en
moyenne.
Leur collaboration avec les enseignants est prévue dans
l’emploi
du temps, et leur présence dans la classe
fréquente. La
flexibilité est la règle, en particulier depuis
les
réformes de l’ère post-soviétique
(années
90) André Ouzoulias : « il va
falloir beaucoup d’énergie pour en faire quelque chose
d’utile »« Gramsci
oscillait entre optimisme et pessimiste, je parlerai de l’aide
personnalisée avec optimisme, malgré tout, et en
particulier le contexte dans lequel elle est née en
primaire,
notamment avec la baisse du nombre d’heures d’enseignement dont elle
dépend (environ trois semaines d’enseignement par an) et la
suppression de 2200 postes de RASED ». Ouzoulias rappelle
que les
perspectives de « gisements d’efficience » n’écartent pas de
poursuivre ce que la mobilisation a permis de limiter. Aujourd’hui, ce
dispositif n’est pas officiellement évalué, sauf
par les
enquêtes de Suchaut et Glasman qui la jugent
décevante,
celle de l’académie de médecine qui pointe le
danger des
rythmes trop bousculés, et celle du SNUipp dans laquelle les
maîtres sont dubitatifs. On peut craindre des effets
paradoxaux :
les américains nous indiquent que le programme « No Child
Left
Behind » amène le bachotage et le resserrement des programmes
d’apprentissage sur le « fondamental ». Or, la faible réussite
des
élèves de milieu populaire, en France, pose la
nécessité de s’interroger sur la nature des
difficultés scolaires des enfants.
Cependant, pour en faire un moment utile, A. Ouzoulias pose plusieurs
conditions :
– favoriser le travail commun et la formation, la diffusion des savoirs
de la recherche, pour favoriser la rétroaction du
maître
spécialisé vers la classe
– être contraignant dans l’organisation des groupes selon des
besoins d’apprentissage identifiés, sur des
compétences
cruciales en matière d’apprentissage, faute de ne pouvoir
être opérationnel sur un temps aussi court,
contraindre
à ce qu’un même élève ne
participe pas
à plus de deux groupes, ni deux groupes
consécutifs
– construire des activités stimulantes en matière
d’apprentissage, qui nécessitent spécifiquement
de
travailler en petit groupe (atelier d’écriture, mais aussi
travail sur la théorie de l’esprit ou l’orthographe)
« Ce qui me semble certain, c’est qu’il va falloir beaucoup
d’énergie collective pour arriver à
celà dans les
années qui viennent… » conclut-il.
Agnès
Paon : jouer sur tous les tableaux.Comment
rendre intelligent ce qui nous est demandé ? C’est
à
partir de cette question triviale que cette chef
d’établissement
en lycée professionnel a essayé de susciter une
mobilisation collective. Elle a organisé les emplois du
temps
pour permettre des espaces de concertation, et a proposé
à une équipe d’universitaires de construire une
recherche-action pour éclairer le paysage.
La première action a été de construire
un accueil
des élèves un peu différent, mais
aussi de masser
les moyens disponibles en direction des élèves de
seconde. Ont été organisées des
activités
de méthodologie, mais aussi sur le champ culturel. On a
essayé de susciter des temps collectifs de travail pour
lutter
contre le découragement des enseignants et les
activités
chronophages, de dépasser le charisme pour outiller les
élèves et les enseignants, rendre les
progressions et les
évaluations lisibles pour des élèves
qui ont un
long parcours d’attentes déçues
derrière eux. « Nombreux
sont ceux qui ont déjà eu beaucoup d’aide, et qui
n’en n’attendent plus rien ».
Sa posture de chef d’établissement a aussi
été
questionnée. Malgré sa position de tribune, elle
ne tombe
pas dans la langue de bois : « J’ai
du aussi renoncer à quelques idées initiales pour
mobiliser les enseignants et levers les crispations, pour rester
ensemble éveillés et avoir envie de faire
ensemble… »
Renoncer à l’idéal, c’est toujours un bout de
chemin difficile à faire…
Jean-Michel
Zakhartchouk : « Des marges, malgré tout… »S’il
partage avec A. Ouzoulias le fait que la genèse des
dispositifs
d’accompagnement ne les ont pas placé sous les meilleurs
auspices, J. M. Zakharchouk plaide pour utiliser les marges de
manoeuvre, dans la tension entre « l’école doit
être son
propre recours » et « l’école n’est pas seule », et qu’elle
doit
travailler avec les associations qui ont des propositions à
faire pour ne pas tout scolariser.
Certes, dans une période de restriction de moyens,
l’accompagnement peut apparaître comme une solution miracle,
alors qu’on abandonne les dispositifs précédents
sans en
faire de bilan. Certes, les élèves qui vont
à
l’accompagnement éducatif ne sont pas toujours ceux qui en
ont
le plus besoin, et on aide surtout ceux « qui en veulent ». Certes,
l’oubli de la formation des personnels et des accompagnateurs montre
bien les lacunes dans les conceptions des politiques sur la
difficulté de l’aide ou de l’accompagnement : accompagner ne
se
résume pas à
répéter…
« Je suis impressionnée par ce constat unanime d’abandon des
équipes par le pilotage, alors que des équipes se
retroussent les manches pour inventer, et que c’est là que
ça marche » intervient une participante. C’est
vrai que si tout
est réuni, ça peut marcher. « Mais
ça n’exclut pas la lucidité » conclut
Ouzoulias.
N’oublions pas que différencier, c’est
déjà
accepter l’idée qu’on ait déjà eu des
difficultés à trouver des situations
d’apprentissages
efficaces pour tous, mobilisant les ressources intellectuelles dont
tous sont capables. »
« Palliatif, pansements,
béquilles, mais aussi moteur ou levier »,
pointe l’animatrice, synthétique.
Fin de séquence, place aux ateliers pour
pouvoir se parler un peu plus. Et à demain, si vous le
voulez bien.
L’Ecole et les
familles, quelles pistes ?Populaire, le XXe
arrondissement ? Voire… Azedine
Erreguieg
et Anne Coret
représentent la FCPE dans le quartier, et ouvre le bal de
l’atelier
avec la difficulté à gérer la
mixité
sociale. « Or, dans
notre quartier, les bobos sont les premiers à
chercher des solutions pour ses enfants en mettant leurs enfants dans
les écoles privées, et l’échec
scolaire se
renforce de cette difficulté à faire vivre
ensemble
toutes les catégories ».
Mais toutes les familles, même celles qui sont les plus en
difficulté, savent que l’Ecole est la seule voie de la
réussite sociale. Balayant le reproche de
« démission
famiale », il invite les enseignants à renforcer les
systèmes de médiation pour apaiser les
établissements, mais aussi à mieux associer les
familles
aux projets pédagogiques. « Les
familles ont des rendez-vous douloureux avec l’école,
notamment
au moment de l’orientation, quand ils ne comprennent pas que leur
enfant soit orienté contre son gré vers des
filières de relégation ».
Il conclut avec la pression du contexte économique, quand
les
parents focalisent leur attention sur les notes, prédictives
de
la réussite, sans forcément tenir compte des
appréciations. Ils sont tiraillés entre la
sanctuarisation de l’établissement et l’autonomie
grandissante
de leurs enfants. Et le travail scolaire est toujours un
problème : entre les maîtresses qui ne donnent pas
de
devoirs, et ceux qui en donnent trop, la liberté
pédagogique pose question sur la « norme juste » et le « bon
enseignant »…
Lorsque
les enseignants leur demandent de « bien s’occuper » de leurs enfants, y
compris dans le travail « hors la classe », les familles peuvent
être surprises. Séverine
Kakpo,
doctorante à Paris 8, se réfère au
modèle
de Patrick Rayou pour montrer que les enseignants attendent un soutien
moral, technique et matériel plus qu’une intervention
didactique. Mais les parents « mettent la main à la
pâte »
dans les apprentissages, comme le montrent les entretiens qu’elle a
réalisés : ils font refaire jusqu’à ce
que le
devoir soit juste, font référence
à leur
propre souvenir scolaire pour savoir comment il faut faire,
même
quand cela rentre en conflit avec ce qu’a appris
l’élève.
Ils surprescrivent ce qu’il y a à faire. « Les
familles ne manquent pas forcément de ressources pour aider
leurs enfants, mais peuvent être aussi victimes de
malentendus
sur ce qu’il y a à faire dans les devoirs. Par exemple,
certains
ne comprennent pas l’intérêt des livres de
jeunesse et
entendent faire du scolaire à la maison, notamment en
achetant
au supermarché de vieilles méthodes de lecture
dont les
enseignants ne veulent plus entendre parler… »
« Accompagner, est-ce
seulement réparer ? »
Philippe Watrelot,
président du CRAP, a la charge d’animer une table-ronde au
titre ambitieux.
Christophe Paris,
directeur général de l’AFEV, qui organise
l’accompagnement des élèves par des
étudiants
bénévoles, à la maison, pointe
l’angoisse de la
réussite scolaire : « nos
étudiants se mettent à la disposition de l’enfant
pour
travailler la confiance en soi. Il n’est pas un technicien qui peut
réparer, mais peut être une planche d’appui
bienveillante
pour les enfants« . Le « sens que
l’élève met dans l’école »
en est sans doute une clé.
Pour Anne-Charlotte Keller,
maire-adjointe du XXe arrrondissement, la place des
collectivités est dans le service public, pour faire du lien
entre les acteurs, associatifs ou institutionnels. « L’Ecole
n’est plus le pilier de la république
émancipatrice, et
on risque la victoire des promoteurs de la réussite
individuelle ». Si elle refuse l’idée de
décentraliser l’éducation, notamment pour les
programmes
et le recrutement, elle promeut l’idée de bassins
territoriaux
qui permettent de lutter contre les ghettos « qui s’organisent
à
500 m près ». Les difficultés de la mise en place
de la
« réussite éducative » (loi Borloo) lui semble
significative des « crispations » des acteurs sur leurs
prérogatives, et du rôle des
collectivités locales
pour « que les gens se
parlent et que chacun connaisse au moins les règles que
l’autre met en place ». Pour elle, les « décennies de
crispation et de portes fermées sont difficiles à
gommer ».
Elle appelle à mettre en place une semaine de cinq jours,
à revoir les rythmes de vacances, mais aussi à
interpeller les politiques -y compris ceux de son camp- qui n’ont pas
toujours le recul nécessaire sur les questions
éducatives.
Patrice Bride,
rédacteur en chef des Cahiers Pédagogiques,
considère que c’est la preuve que l’école « peut
moins que
jamais se suffire à elle-même » : si chaque
partenaire
engage un travail sur les questions pédagogiques, avec sa
propre
approche, « les
organisations
sentent la nécessité de s’engager ensemble sur un
projet
éducatif cohérent, comme en témoigne l’appel
de Bobigny« .
Pour lui, l’organisation concrète des différents
temps
est sans doute une des clés pour des évolutions
concrètes, « parce
que l’Ecole n’est pas le seul lieu où on apprend ».
Il invite la salle à explorer le prochain numéro
de sa
revue, qui montre comment le lycée professionnel se pose ces
questions, et est soumis à des dilemmes tout à
fait
éclairants pour les autres secteurs du premier et second
degré.
Michelle Olivier,
responsable nationale du SNUipp, insiste sur le paradoxe des
réformes qui contraignent le temps et renforcent
l’éloignement entre l’école et les
familles. Elle
rappelle les grands réticences des enseignants sur l’aide
personnalisée telle qu’elle a été
imposée,
la forte réduction des postes RASED, et la
conclusion de
l’étude récente de Guillarmé qui
indique qu’une
bonne part des élèves ne trouve pas de solution
dans
l’aide personnalisée. Elle signale cependant la perception
positive des parents qui cherchent des aides pour la prise en charge
des difficultés scolaires, et l’engagement des enseignants
pour
faire « malgré tout » de ces temps imposés un
moment utile.
Elle insiste sur les besoins en prévention, notamment en
investissant sur la maternelle pour développer le langage et
sur
le « plus de maîtres que de classe » pour croiser les regards
sur
la difficulté de l’élève. La
formation, encore une
fois, est un levier : « il faut renforcer les perspectives
d’évolution professionnelle des enseignants, et les moyens
de
prendre du recul sur leurs gestes professionnels »…
La salle bout et les mains se lèvent pour des
témoignages
qui rendent compte du kaléidoscope des points de vue : « Justement, dit la
salle, ne
faut-il pas demander la transformation du métier
d’enseignant,
ne plus en faire un clerc, mais un passeur ? » « Ca fait longtemps qu’on
ne compte pas nos heures d’accompagnement, réagit
une directrice de maternelle. C’est
vrai que nos pratiques pédagogiques ne sont pas assez
interrogées, que le lien avec la recherche est
très
distendu, voire rejeté du terrain ». Thierry Cadart, du
SGEN-CFDT, craint le piège d’une vision tayloriste de
l’enfant : « un coup de
savoir, un coup de confiance en soi, un coup de qualité de
vie »… Pour aller au-delà, « il
faut que chaque acteur soit davantage sûr de son propre geste
professionnel, ce qui évidemment est d’autant plus
difficile que les métiers sont mis en danger ». Il
fait un plaidoyer pour le socle commun,
« outil pour lutter contre la sélection et le
marché de
l’angoisse ». « Mais Kalidja, une de mes élèves, a
beaucoup
d’intervenants et de lieux d’aide, réagit une
autre enseignante qui fait référence au
« mille-feuille des dispositifs ».
Le souci principal me semble être le manque de coordination ».
Françoise
Clerc : « Les processus nous aident plus que les résultats »
Françoise Clerc
conclut seule à la tribune, mais elle va rassembler les
apports du colloque avec brio.
« Je ne suis pas sûre que nous parlons tous de la
même chose ». Certes,
l’accompagnement est une nébuleuse qui s’étend
dans
différents champs de la société, avant
d’intéresser l’enseignement. La notion met du lien entre des
choses qui se pratiquent dans des milieux très
différents.
Néanmoins, elle veut pointer le « changement de paradigme »,
au-delà de la mode et des tics de langage. Si on met bout
à bout compétences, parcours et accompagnement,
on peut
arriver à une rupture du même type que celle de la
pédagogie différenciée des
années 60. C’est
l’attention portée sur les processus qui mènent
au
résultat.
En passant du résultat au processus, on se recentre sur la
différence entre ce qu’est un enfant et ce qu’il produit. « Nous
ne connaissons pas les compétences, nous nous contentons
d’en
inférer une hypothèse à partir du
travail rendu ». Il est donc fructueux de
s’intéresser aux processus, aux parcours, pour oser quelques
doutes sur nos certitudes.
50 ans après, on ne peut plus penser avec les
mêmes outils
que ceux de la « pédagogie
différenciée ». Elle est
peut-être morte du fait qu’on ait voulu la faire fonctionner
« toutes choses égales par ailleurs ». Or, on ne peut
injoncter le
changement, il faut organiser un milieu adéquat pour
permettre
des déplacements.
« Je vais vous choquer,
mais je vais
prendre parti : l’accompagnement ne peut pas s’identifier à
l’aide aux enfants « en difficulté ». Il s’adresse
à tous
les élèves dans des buts semblables et des
modalités différentes. Penser avec la dichotomie
qui
sépare les bons élèves des mauvais me
semble
contreproductif. » assène-t-elle.
Parmi
les pratiques issues de l’héritage des années
passées, on peut citer la contractualisation entre les
parties,
l’évaluation selon les progrès plutôt
que selon les
résultats, la nécessité du collectif
pour
éviter les dérives, la personnalisation
plutôt que
l’individualisation, sauf à vouloir réduire
l’enfant
à ses propres ressources.
La socialisation des apprentissages est nécessaire,
l’interrogation sur les situations didactiques, les
compétences
« prescrites » et les compétences « réelles ».
L’apprentissage n’est ni privé ni intime : « Les
élèves ne savent pas utiliser le professeur, car
ils ont
bien peu de connaissance sur ce qui leur serait nécessaire »…
Il faut aussi évaluer selon les progrès davantage
que sur les résultats.
L’accompagnement
relève de plusieurs domaines, et ne se réduit
à aucun
: soutien, approfondissement, tutorat, « méthodologie »
apparaissent souvent sans qu’on n’ait beaucoup
réfléchi
à ce qui se joue derrière les mots. On a de
multiples
possibilités pour réaliser l’accompagnement, et
on ne
peut pas tout faire. Il appartient donc aux établissements
d’établir des priorités en fonction des
ressources et des
contextes locaux, dans une « politique » cohérente dans
l’établissement, en associant en profondeur les
élèves à ce qui est à
construire.
L’exhortation ne sert à rien, surtout si on ne
déscend
pas dans le détail de l’activité, de ce qu’il y a
à faire pour apprendre.
« Nous sommes des adultes, et le
côte-à-côte n’est
pas le fonctionnement permanent de l’école. On n’est pas
« entre
pairs ». « Plus que le
changement de
posture professionnelle, c’est l’alternance de posture qui est dificile
à construire pour l’enseignant ».
Un des problèmes à régler est donc
l’articulation
entre des politiques nationales qui laissent le temps
nécessaire
au travail en confiance des enseignants et se coordonnent, tout en
donnant les moyens au niveau local de tisser les liens
nécessaires pour construire leur projet, dans et autour des
établissements, en complémentarité.
Comme cela a
été dit, l’Ecole n’a pas vocation à
s’occuper de
tout, et le travail avec les parents est toujours positif, parce qu’il
donne confiance et modifie les pratiques des uns et de autres.
Elle conclut avec une
mention particulière sur un absent des deux jours :
l’orientation.
La modularité des parcours, des semestres, des
années est
encore un rendez-vous manqué de l’éducation en
France.
Plus que de « socle », elle rappelle son besoin d »Ecole fondamentale », et
pointe l’obstacle des cursus hachés par le manque de « cycles
d’apprentissage » qui dépassent l’année scolaire.
La forme
scolaire n’est pas que la classe, mais aussi la croyance que
l’âge est strictement corrélé avec la
zone
potentielle d’apprentissage. Cette réforme reste
à
construire.
Applaudissement nourris. L’écoute a
été saisissante.