« Veux-tu être mon Bel-Ami ? »
Quand Facebook aide à comprendre Maupassant !
Françoise Cohen est professeure de lettres modernes au lycée Maximilien Perret d’Alfortville. Dans le cadre d’une séquence consacrée au roman de Maupassant Bel-Ami, elle a conçu et mené avec ses élèves une utilisation pédagogique originale de Facebook : la réalisation de quizz interactifs pour mieux s’approprier les caractéristiques des personnages.
Pouvez-vous nous présenter globalement le travail mené autour du roman de Maupassant ?
Avec une classe de 2nde, j’ai travaillé sur les six personnages principaux du roman Bel-Ami. Nous nous sommes d’abord demandé : « Que faut-il savoir quand on décide d’étudier un personnage de roman ? », pour décider des grandes orientations de notre étude. Nous avons ensuite réalisé, par groupes, des cartes heuristiques qui résument toutes les facettes de ces personnages. Chaque groupe a également dessiné les personnages après cette étude. Nous avons mis en ligne nos travaux sur le site « clic-lettres », que nous partagions avec une classe de Chambéry et une classe de Lons-le-Saunier, qui étudiaient également ce roman.
L’étape ultime de ce travail a été la réalisation d’un quizz sur le réseau Facebook : comment l’avez-vous réalisé ? combien de temps cette phase de travail a-t-elle duré ?
Nous avons pris seulement une heure pour réaliser ce test, dont le titre était « Quel personnage de Bel-Ami es-tu ? ». Mais il était en vérité l’aboutissement de toute notre séquence de travail. Et j’ai pris toutes mes précautions pour qu’on ne puisse pas dire que j’incitais activement mes élèves à aller sur Facebook! Nous avons réalisé le test sur papier en classe, et je l’ai tapé moi-même en me connectant personnellement sur le réseau social, en dehors du cours, sur une des applications du site qui permet de réaliser des quizz interactifs. D’abord, les élèves ont écrit un portrait synthétique du personnage qu’ils avaient étudié, d’après leur carte heuristique, à la deuxième personne. « Tu es… Georges Duroy, etc… » Ces divers portraits constituent les résultats potentiels du test. Ensuite, la classe s’est mis d’accord sur les questions du test de personnalité que nous pouvions choisir. Chaque groupe a rédigé les réponses pour son personnage. Ainsi, en rassemblant leurs travaux, pour chaque question posée, nous avions un éventail de six réponses différentes possibles. Les élèves ont eu les cordonnées du test, je leur ai projeté pour leur montrer, mais je n’ai obligé personne à s’inscrire sur Facebook. Ceux qui ont voulu jouer à faire le test et le partager avec leurs amis l’ont fait de chez eux.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de questions proposées par les élèves dans le cadre de ce « test de personnalité » ?
Quels sont tes défauts ? Quels sont tes qualités ? Quelle est ta place dans la société ? Quels sont tes centres d’intérêt ? Physiquement, à qui ressembles-tu le plus ? Comment as-tu évolué dans la vie ?…
Comment les élèves se sont-ils investis dans ce travail : durant la réalisation du quizz ? après sa mise en ligne ?
Les élèves se sont montrés très motivés par ce travail, qu’ils ont visiblement trouvé aussi intéressant que drôle. A vrai dire, quand je leur ai annoncé ce projet, ils n’en revenaient pas ! Chaque étape leur a plu, car ils n’ont pas eu la sensation d’effectuer un travail scolaire. L’étude méthodique des personnages avait un but concret qui dépassait le cadre du lycée, et celui-ci était social, public, grâce à Facebook. Cela semblait donner du sens à la démarche d’étude, dans le fond très classique, du roman. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la familiarité qu’ils ont développée avec les personnages. Au fil de notre séquence, ils se sont mis à évoluer mentalement dans le roman avec de plus en plus d’aisance, si bien que le ton familier du quizz final, qui adopte le tutoiement, ne semblait qu’une conséquence logique de leur connivence croissante avec les héros de Maupassant. Ils m’ont aussi fait part de leurs impressions après avoir joué avec le quizz : ils commentaient leurs résultats personnels… Nous avons fait de petits sondages pour savoir sur quels personnages nous étions majoritairement tombés. Finalement, ce genre de test rejoint un peu les démarches pédagogiques concernant les « jeux sérieux » dont on parle beaucoup actuellement.
Ce quizz sur Facebook avait-il été immédiatement proposé aux élèves comme l’aboutissement de la séquence de travail ou a-t-il été la « cerise sur le gâteau » ?
J’ai pour habitude de présenter aux élèves les objectifs de l’ensemble de la séquence de travail dès le départ. Ce quizz était à la fois un aboutissement et une cerise sur le gâteau. En réalité, il matérialisait sous la forme d’un « objet public » très séduisant et ludique, le fruit de toute une étude collective très sérieuse du roman. Ce fut un moteur de la motivation des troupes, alors qu’à première vue, on pourrait penser qu’il s’agissait d’un gadget superficiel. J’ai travaillé la cohérence de l’exercice avec tout le reste de la séquence pour que ce ne soit pas un simple surf avec la mode adolescente.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans la mise en œuvre de ce projet ?
Pas vraiment. Mes élèves de seconde ont la chance de disposer d’ordinateurs en classe.
Bien sûr, j’étais un peu gênée par rapport à la critique qui aurait pu être faite de l’utilisation de Facebook, mais j’ai contourné le problème en ne connectant jamais les élèves directement avec le réseau social dans ma classe. J’aurais pu tout à fait choisir de connecter les élèves abonnés en cours, puisque dans mon lycée Facebook n’est pas bridé. Je dispose d’un logiciel qui permet de contrôler à distance les écrans de mes élèves, ce qui me permet aussi de surveiller l’utilisation purement pédagogique des sites qu’ils utilisent.
Quel bilan tirez-vous de cette expérience ? En particulier, qu’est-ce que l’utilisation de Facebook vous semble avoir spécifiquement apporté aux élèves ?
Je suis très contente de ce travail sur Bel-Ami, pas seulement à cause de l’utilisation de Facebook, qui finalement, n’en a été qu’une des facettes. La collaboration au site inter-académique « clic-lettres » a été tout aussi motivante. J’ai voulu approcher avec précaution ce réseau social si important dans la vie de nos élèves, parce qu’il me semble dangereux que la culture et la vie scolaire s’en excluent elles-mêmes. Le travail avec Facebook a non seulement dépoussiéré vigoureusement l’étude du roman, qui n’a pas toujours assez de sens concret pour les élèves, mais il a permis à Maupassant de s’immiscer modestement dans ce réseau trop souvent synonyme de sous-culture. J’ai un peu rusé en n’en faisant pas une utilisation pédagogique directe, mais j’ai utilisé une petite porte, celle des quizz, pour y faire une entrée. Il doit y avoir d’autres moyens d’arriver à se saisir de cet outil si populaire, j’en suis convaincue.
Avez-vous l’intention de prolonger cette expérience originale ?
Oui, l’expérience du quizz est extrêmement simple à réaliser, et donc je la renouvellerai. Mais j’aimerais découvrir les expériences d’autres enseignants pour entrevoir les possibilités pédagogiques sans doute énormes, de ces réseaux sociaux encore « maudits »…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Prolongements
Les travaux des élèves sur le site « clic-lettres » :
http://www.clic-lettres.net/spip.php?article37
http://www.clic-lettres.net/spip.php?article35
Le Quizz
www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/[…]
Le site du prix littéraire du lycée Maximilien Perret d’Alfortville :
http://web.mac.com/lazulilazuli/prixalfort/Prix_Alfort.html
Un exemple : le résultat « madame Walter »
Tu es… madame Walter
Tu as l’expérience de la vie, mais tu restes assez naïve. Tu es en apparence solide, mais facilement déstabilisée. Tu es parfois ridicule dans tes élans passionnés, mais aussi touchante et finalement assez seule malgré toutes les apparences de réussite sociale… Ton cœur souffre…
Pour obtenir ce résultat, il fallait cocher :
J’ai toujours été fidèle, j’ai des principes moraux, mais je me sens si fragile face à un jeune séducteur
Je ne contrôle pas des élans passionnés qui me font parfois apparaître ridicule et me rendent malheureuse.
Je suis une femme intègre et passionnée.
Je suis une grande bourgeoise, mon mari est le patron!
J’aime la religion, les valeurs familiales.
Je suis un peu grasse, brune, mûre.
Je suis de bonne famille et bien mariée, mais pas si heureuse que ça…