Climat délétère, rentrée difficile marquée par des manifestations les 6 et 7 septembre mais aussi par la mise en place de réformes, tout pousse à faire le point sur l’Ecole. Le Café l’a fait en publiant le 30 septembre « L’état de l’Ecole », un guide de rentrée qui fait le point et accompagne les enseignants. A l’occasion de la rentrée des enseignants, nous interrogeons Luc Chatel sur ces tensions et les défis de cette rentrée.
Cet entretien a eu lieu le 31 août 2010. Luc Chatel est le premier ministre de l’éducation nationale à accorder ainsi du temps au Café pédagogique. Les choses bougeraient-elles rue de Grenelle ?
C’est votre seconde rentrée scolaire comme ministre de l’éducation nationale, mais peut-être la première que vous ayez intégralement préparée. Elle se fait dans un cadre budgétaire strict, avec moins d’emplois et un climat social chargé, avec l’annonce de grèves et manifestations les 6 et 7 septembre. Au moment où les enseignants prennent leur poste, quel message voulez-vous leur adresser ?
J’ai envoyé par Internet ce matin un message aux enseignants accessible sur le site education.gouv.fr . Je sais qu’ils ne font pas ce métier par hasard mais par passion. Mais c’est un métier difficile. Nous devons être à leur côté. Ma conviction, c’est que ce ministère ne s’est pas appuyé sur sa principale ressource, les enseignants. Le devoir du ministre c’est de mieux les accompagner tout au long de leur carrière.
C’est pour cela que je mets en place un pacte de carrière. Il y a d’abord un côté concret qui touche aux rémunérations : 190 000 enseignants sont revalorisés ce 1er septembre et ceux qui débutent sont payés 10% de plus. Ainsi pour les futurs professeurs des écoles et professeurs certifiés, le gain mensuel sera de 157 euros nets par mois et il s’élèvera à 259 euros nets par mois pour les futurs professeurs agrégés. Les enseignants en début de carrière ayant jusqu’à 7 années d’ancienneté sont également concernés : en moyenne 660 euros de gain annuel. C’est un signal fort. Et il y a aussi l’accompagnement en matière de ressources humaines, les entretiens que l’on va mettre en place, le droit individuel à la formation systématisé à la rentrée, le travail sur la prévention des risques et la santé. Je souhaite vraiment valoriser le travail des enseignants et être à la hauteur du gestionnaire des ressources humaines que je dois être.
Aujourd’hui les enseignants ont surtout un sentiment d’isolement
Parce que l’Education nationale les laisse seuls. Elle doit mieux les écouter, mieux les accompagner, leur permettre de se former tout au long de leur carrière. Et offrir des perspectives.
Mais qui va les écouter ?
Dans chaque académie on met en place un système d’entretiens une première fois après 2 ans de carrière et une deuxième entre 40 et 50 ans. Les services des ressources humaines de chaque académie recevront les enseignants et feront avec eux un bilan. Et ensuite apporteront des réponses. Par exemple aider un enseignant à 45 ans à se renforcer ou à évoluer vers un autre métier.
Ils sont assez nombreux pour faire cela ? Jusque là ils n’ont pas réussi à mettre en place les secondes carrières…
J’ai donné des instructions aux recteurs. J’ai visité des DRH ces derniers jours. Ils sont mobilisés pour être à la hauteur de cet enjeu.
Un décret vient de modifier l’évaluation des agents de l’Etat. Quelle va être sa traduction dans l’Education nationale ?
C’est un chantier que j’ai ouvert avec Josette Théophile, la DRH que j’ai recrutée l’an passé. On veut qu’il y ait une part plus grande dans l’évaluation à l’engagement de chaque professeur. Je suis prêt à discuter l’évolution du dispositif. On ouvre ce chantier avec les organisations syndicales. Ce qui est important c’est qu’il y ait un entretien professionnel avec des critères objectifs, connus de tous et donc respectés par tous. Qu’on puisse avoir une évaluation comme dans les grandes entreprises et comme on la met en place dans les administrations.
Ce serait une évaluation faite par le chef d’établissement ?
Tout cela reste ouvert. De plus en plus il faut que les chefs d’établissement s’impliquent dans la gestion des ressources humaines. Si on veut moins d’isolement pour les enseignants, il faut bien qu’il y ait dans l’encadrement des personnels qui s’impliquent. Mais le chef d’établissement ne peut pas non plus être le seul évaluateur du système. On a besoin de l’inspection et de son regard pédagogique.
C’est un peu ce qui existe aujourd’hui
Oui, mais le chef d’établissement doit être l’interlocuteur en matière de relations humaines.
Vos prédécesseurs avaient combattu le « pédagogisme » et récompensé ses ennemis. Vous ne l’avez pas fait. Mais en juillet dernier, vous avez tout d’un coup décidé de diminuer le soutien du ministère à trois mouvements (Icem, Gfen et Crap) dont la notoriété est grande chez les enseignants . Où en est ce dossier ?
La politique de gestion budgétaire de l’éducation nationale est déclinée avec celle de l’ensemble du Gouvernement. Il y a un effort budgétaire qui est demandé par exemple en crédits d’engagement. Je rappelle qu’il y a 60 millions d’euros consacrés aux associations. C’est considérable. Je rappelle aussi que quand je suis arrivé, j’ai voulu donner de la visibilité à ces partenariats avec un accord pluri-annuel avec 8 grandes associations. Considérant les mouvements que vous évoquez, ils ont été reçus par mes collaborateurs. A partir du moment où on réduit les crédits de 10% ça les touche aussi.
Ils parlent d’une réduction de moitié…
On a adapté en fonction des projets des uns et des autres. Je gère les ressources qui me sont affectées, j’essaie de le faire avec discernement et en concertation avec les intéressés.
Une autre différence sensible avec vos prédécesseurs, c’est le fait que vous ayez obtenu des majorités au CSE pour soutenir votre projet de réforme du lycée. Si de nombreux enseignants en partagent la philosophie générale (par exemple le soutien aux élèves, la volonté de mettre davantage de souplesse dans les parcours), l’application concrète dans les établissements suscite aussi des déceptions. Elle se traduit souvent par des conditions de travail aggravées. Suffit-il d’instituer le tutorat ou l’accompagnement pour avoir des tuteurs et des accompagnateurs ? Quels efforts seront faits pour accompagner les enseignants dans cette réforme et pour qu’elle se traduise aussi positivement pour eux ?
Je sais qu’il ne suffit pas de décréter pour que soit mise en œuvre une réforme. Il faut un accompagnement. C’est la raison pour laquelle j’ai mobilisé tous nos corps intermédiaires. J’ai vu tous les chefs d’établissement en novembre dernier. Et ils ont un rôle fondamental pour cette réforme dans la mise en place du conseil pédagogique, l’accompagnement personnalisé, l’affectation des heures dédoublées. Il y a une large initiative qui est locale et mon rôle c’était de leur expliquer la réforme. J’ai réuni les corps d’inspection et chaque recteur l’a fait aussi. Il y a une volonté de ma part d’aller le plus loin possible dans l’accompagnement local de la réforme.
Il y aura un effort de formation des enseignants ?
Dans les réponses académiques de formation on a prévu que l’accompagnement personnalisé soit traité car certains enseignants sont perdus. On a demandé aux recteurs de prévoir des modules de formation pour eux.
Cette année c’est le collège qui devrait faire l’objet des analyses du HCE et peut-être dans la foulée d’une réforme. Avez-vous des éclairages sur les travaux du HCE ? Un calendrier pour une réforme du collège ?
Je n’ai pas encore d’éléments sur ce rapport. J’entends dire qu’il ne se passe rien au collège. Mais ce n’est pas vrai. Il y a des dispositions transversales qui concernent le collège. Par exemple les dispositifs « cours le matin sport l’après-midi », Clair, les internats d’excellence. On a le livret de compétences au collège à cette rentrée. C’est une vraie avancée qui permet de mettre en valeur l’engagement des élèves. L’accompagnement éducatif monte en puissance. Il touche 850 000 élèves. Mais je suis très preneur des propositions du HCE.
S’il est un thème qui domine chaque rentrée c’est celui de la lutte contre l’échec scolaire. Quelles politiques allez vous impulser pour diminuer le nombre de sorties sans qualification ?
La réponse c’est la personnalisation de l’enseignement. Nous avons réussi le défi de la massification. L’école a ouvert ses portes, le pourcentage d’accès au bac a triplé en une génération. Le défi actuel c’est la réussite de chacun. La vérité c’est que ce n’est pas le cas. L’école ne joue pas pleinement son rôle d’égalité des chances. Pour lutter contre l’échec scolaire il faut qu’elle s’adapte à la diversité des élèves. La grande difficulté pour les enseignants c’est l’hétérogénéité. Il faut détecter ceux qui réussissent le mieux et les porter à un niveau d’excellence. C’est la mission de l’école républicaine de permettre l’ascension sociale par l’école. En même temps il ne faut pas laisser ceux qui sont au bord du chemin. Donc il faut s’adapter à la situation de chaque élève. C’est l’aide individualisée au primaire, l’accompagnement dans le secondaire, les stages de remise à niveau (270 000 élèves en ont profité). Pour lutter encore plus en amont il faut très tôt lutter contre l’illettrisme. On va conforter le plan lancé l’année dernière notamment en maternelle. Car quand on arrive en CP, le déterminisme familial est déjà visible. C’est aussi une orientation plus progressive, éviter les couperets. On va à partir de cette année avoir des passerelles, de la réversibilité.
Vous ne croyez pas qu’en ce domaine l’assouplissement de la carte scolaire a aggravé les choses ?
Non. Car selon les chiffres que l’on a, dans un quart des établissements il y a une croissance de la demande. Le système de la carte scolaire produisait des inégalités, il créait des ghettos, aggravés par le contournement. L’assouplissement va se faire progressivement. On va travailler sur ce sujet avec l’enseignement prioritaire. Il faut travailler politique de la ville et politique scolaire en même temps.
Il semble qu’il y ait plusieurs études qui soient bloquées sur ce sujet. Vont-elles sortir ?
Elles ne sont pas bloquées. Mais le sujet est complexe et les clichés sont grands. On a eu des retours positifs sur l’assouplissement avec notamment des taux de satisfaction élevés des élèves boursiers. Il faudra aller plus loin et en articulation avec la politique de la ville.
La Cour des Comptes a plaidé pour un nouveau management de l’Ecole. Quelles suites pensez-vous donner à ces suggestions ?
Quand je différencie la répartition des moyens en fonction des priorités, quand je donne davantage d’autonomie aux établissements dans le cadre du dispositif Clair ou de la réforme du lycée, je suis exactement dans les préconisations de la Cour des Comptes. Le rapport montre qu’il n’y a pas de problème de moyens mais de répartition des moyens. Le problème c’est de mettre les moyens là où on en a besoin. On cite souvent des indicateurs, des moyennes, ça ne veut rien dire. Par exemple la moyenne de 24 élèves par classe ne veut rien dire. Je reçois des lettres de parents qui veulent que leur enfant soit 29ème dans un bon établissement. Inversement dans certains collèges en zone prioritaire 22 élèves c’est un peu trop. Ce qui compte c’est notre capacité à différencier, prioriser, adapter au plus près de la réalité locale.
Des études comme celle de Thomas Pikety ont montré qu’en diminuant le nombre d’élèves on améliore les résultats.
Oui, mais il y a aussi des études qui montrent qu’on ne peut pas faire un lien entre les résultats, le climat scolaire et le nombre d’élèves.
On vous attendait beaucoup sur le terrain des TICE où vous aviez promis un plan d’action. Les conditions semblent réunies après le succès du plan Ecole numérique rurale, le rapport Fourgous, les demandes du HCE. Où en est votre projet ?
Le chantier n’est pas en panne. A cette rentrée il y a des nouveautés. Tous les manuels de 2de sont numériques. Il y a les 6 700 écoles numériques rurales. Il y a la création du site « Ciné lycée » qui est une grande innovation en matière culturelle. Je prépare d’autres mesures audacieuses mais j’ai besoin de les articuler avec les collectivités locales. Or il n’y a pas assez de concertation avec elles. Il y a du matériel acheté qui n’est pas utilisé et des ressources pédagogiques qui cherchent leur matériel. Je suis prêt à faire des propositions ambitieuses sur les ressources pédagogiques et la formation des enseignants. Je les présenterai dans quelques semaines. Mais s’il n’y a pas le troisième volet, celui de l’équipement, financé par les collectivités, ça ne peut pas marcher. Il faut une concertation et je vais recevoir les présidents des 3 associations de collectivités territoriales.
Actuellement les relations avec elles sont mauvaises. Par exemple il y a conflit sur les manuels scolaires, des diagnostics de sécurité faits en les ignorant, du partage des rôles pour la maintenance informatique…
Il y a des sujets sur lesquels une collaboration renforcée est bienvenue. Il y a aussi des postures. Par exemple sur les manuels scolaires, les régions étaient informées des projets gouvernementaux puisque l’ARF est représentée au Conseil supérieur de l’éducation qui a validé la réforme du lycée en décembre 2009… D’ailleurs j’observe que plusieurs régions annoncent qu’elles vont financer la totalité des manuels de seconde. Je souhaite qu’on travaille mieux ensemble, parce qu’au fond, les Régions et l’Etat ont les mêmes ambitions de réussite pour les lycées et les lycéens.
L’été a été marqué par des déclarations gouvernementales sur les Roms ou l’immigration qui ne sont pas bien accueillies par les enseignants. D’autant que le système éducatif connaît déjà bien des discriminations. Ces déclarations vont-elles se traduire en actes dans l’éducation nationale ? Concrètement allez vous renforcer ou diminuer les crédits pour la scolarisation des enfants Roms, qui est bien imparfaite ? Allez-vous revenir sur le droit à la scolarisation des enfants sans papiers et sur la sanctuarisation des établissements scolaires en ce qui concerne les arrestations par la police des sans papiers ?
Il y a un principe républicain intangible qui est que l’Ecole accueille tous les enfants quelle que soit la situation de leurs parents. Même si cet accueil n’a pas d’incidence sur le statut de leur parent. On relève ce défi tous les jours. On accueille tous les enfants.
Des moyens importants sont mis en œuvre. Il y a 36 000 enfants non francophones scolarisés, c’est 2 000 de plus qu’il y a deux ans. Les classes d’accueil des gens du voyage ont augmenté. Il se trouve que j’ai accueilli comme maire cet été le grand rassemblement des tziganes et on a beaucoup parlé de cela. Je vais les recevoir officiellement dans la seconde quinzaine de septembre pour travailler avec eux sur la scolarisation des enfants du voyage. Car il y a les principes mais dans les faits on peut améliorer leur solarisation.
Entretien : François Jarraud
Sur la rentrée :
Le message vidéo de Luc Chatel
http://www.education.gouv.fr/cid53001/rentree-scolai[…]
Le dossier de presse de rentrée
http://www.education.gouv.fr/cid52942/rentree-scol[…]
L’état de l’école – Guide de la rentrée 2010