Par Jeanne-Claire Fumet
Tandis que Luc Châtel expose son programme de sanctions scolaires et focalise l’opinion sur la question des rythmes scolaires – dossiers importants, mais convoqués à point nommé pour masquer d’urgentes difficultés – la rentrée s’annonce bouleversée par les restrictions de budget, de personnel, et de formation pour les nouveaux enseignants. Pour le Se-Unsa, après la question des retraites en septembre, la masterisation, le collège et la part persistante d’échecs scolaires (15 à 17%) seront les principaux objets de préoccupations de cette année scolaire.
Après avoir rappelé le climat délétère de ces dernières semaines, Christian Chevalier, secrétaire général, entouré des secrétaires nationaux Dominique Thoby (secteur revendicatif), Claire Krepper (secteur éducation), Guy Barbier (secteur administratif) et Joël Pehau (secteur formation), a indiqué, à l’occasion de la réunion de rentrée du Se-Unsa, qui se tenait ce jeudi 26 août dans les locaux du syndicat, les principaux traits de la crise majeure traversée par l’Éducation Nationale.
Cette première « rentrée Châtel » est placée sous le signe de la continuité : le style plus lisse du ministre, adroit communicateur, ne l’empêche pas de suivre le droit fil de son prédécesseur, X. Darcos, sous la tutelle élyséenne. Il ne faut donc pas se tromper d’urgence : si le Se-Unsa ne désapprouve pas les projets de sanctions scolaires du ministre et souhaite un réel débat de fond sur les rythmes scolaires, c’est d’abord l’état de délabrement de l’institution, affaiblie par près de 50 000 suppressions d’emplois en 4 ans qui doit retenir l’attention.
« Le mammouth est à bout de souffle », estime Christian Chevalier : moins d’enseignants malgré la poussée démographique (+17 000 élèves à la rentrée), des économies de moyens radicales (non scolarisation des 2 ans, rationalisation et appauvrissement territorial de l’offre de formation, augmentation des effectifs de classes), la saignée sans précédent subie par l’école publique la menace d’une profonde désorganisation.
Un bon point pour le ministre : la réforme des lycée, soutenue par le Se-Unsa et qu’il a su mener « en douceur », sans soulèvements lycéens et dans une « réelle concertation ». Encore faut-il qu’elle fasse l’objet d’un suivi et d’un soutien attentifs de la part de l’Inspection et du ministère, pour ne pas sombrer sous les difficultés qui accompagnent sa mise en place. Les arbitrages et les choix douloureux qu’elle impose (par exemple sur les enseignements facultatifs, souvent essentiels à l’identité des établissements et fortement investis par les équipes) dans un contexte déjà tendu, ne contribuent pas à la rendre populaire sur le terrain.
Mais le problème majeur de cette rentrée réside dans l’arrivée sur le terrain de nouveaux recrutés sans préparation professionnelle. La formation en alternance assurée par les IUFM a vécu ; le tutorat prévaudra désormais, avec (en primaire) ou sans (dans le secondaire) formation préparatoire à cette fonction. Aucun temps institutionnel de concertation n’est prévu pour les stagiaires et leurs tuteurs ; tout devra s’improviser en fonction des emplois du temps et des bonnes volontés. Le tuteur, seul évaluateur de la formation, se verra arroger un pouvoir de décision exorbitant sur la titularisation (ou le licenciement) du stagiaire. Dans le secondaire, les débutants se verront octroyer un service complet ou quasi-complet, selon les Académies, sous la triple pression des élèves dont ils ne connaissent encore rien, des parents réticents à leur voir confier leurs enfants, et des tuteurs et chefs d’établissement. On doit s’attendre à des chocs professionnels et personnels dramatiques, prévient Christian Chevalier. Pour cette raison, le Se-Unsa n’appelle pas au boycott du tutorat, estimant l’épreuve assez lourde pour les nouveaux venus – tout en sachant que les situations ubuesques ne manqueront pas : on signale déjà un néo-titulaire nommé tuteur d’un néo-recruté dans une discipline « rare ».
Les autres dossiers sensibles ne manquent pas : ainsi le dispositif CLAIR pour l’éducation prioritaire, présente deux défauts majeurs : plus sécuritaire qu’éducatif, il se focalise sur le secondaire au détriment du primaire, et il donne aux chefs d’établissement une liberté de recrutement qui demanderait à être clarifiée et régulée. Pour la voie professionnelle, touchée de plein fouet par les économies budgétaires, elle subit un regroupement et une forte réduction de l’offre de formation, notamment pour les CAP. Problèmes également dans le domaine de l’orientation, attaquée par les restrictions : elle doit être l’affaire de toute l’équipe éducative, estiment les représentants du Se-Unsa, mais ne peut se passer du réseau des CIO et de la présence des Co-P. dans les établissements. De même, la question épineuse du statut des établissements primaires et de leurs directeurs, peut-être par le passage en EPLE sur le modèle du secondaire, attend toujours une décision pressante.
Concernant les rythmes scolaires, le Se-Unsa en appelle à une réflexion en profondeur pour le secondaire autant que pour le primaire ; la mise en avant opportune de la question par le ministre, ainsi que la « solution » de l’après-midi consacrée au sport (et non à l’EPS, la nuance importe car l’encadrement n’est pas le même) relève, pour le syndicat, de l’effet d’annonce. La question est bien plus complexe, car elle met en cause de nombreux acteurs internes et externes à l’école, et ne peut pas être résolue si simplement.
Mais le dossier à privilégier cette année, pour le Se-Unsa, est celui du collège, délaissé de toutes les réformes alors qu’il est peut-être le point le plus sensible de l’édifice. Hors de question de remettre en cause le collège unique et son socle commun : la question a été débattue et tranchée, il faut avancer désormais dans le sens d’une intégration mieux réussie de tous les élèves. Il faut enfin passer de la massification à une réelle démocratisation. Même si cela nécessite de bousculer quelques tabous : la lourdeur de programmes scolaires inapplicables, le nombre d’heures de cours par discipline, le temps de service des enseignants, les attributions disciplinaires, etc. Le Se-Unsa organisera un colloque à Paris le 12 janvier 2011 pour élaborer des propositions concrètes dans ce domaine.
Dans l’immédiat, la mobilisation du 7 septembre « contre une réforme des retraites injuste », sera l’occasion pour le syndicat de mesurer la mobilisation des personnels. Christian Chevalier se dit optimiste : l’action réussie du 24 juin, à un moment de l’année pourtant peu propice (entre examens dans le secondaire et sorties scolaires ou actions culturelles de fin d’année pour le primaire) laisse espérer un sursaut des personnels – à l’heure où l’enjeu des élections professionnelles d’octobre 2011, avec l’application de la loi de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales, se dessine à l’horizon.