Par François Jarraud
Plus qu’aucun autre secteur éducatif, l’enseignement professionnel est traversé, voir déstabilisé, par des dysfonctionnements, des réformes, des évolutions rapides. La publication du livre d’Aziz Jellab nous donne l’occasion de revenir sur cet enseignement à la fois exemplaire et en crise. Françoise Lantheaume présente les divisions qui fracturent un enseignement marqué par traditionnellement par une unité inscrite dans sa relégation.
Entre culture ouvrière et rescolarisation, quel avenir pour le lycée professionnel ? Entretien avec Aziz Jellab
L’enseignement professionnel apparaît dans le système éducatif français comme quelque chose de particulier par son histoire, sa culture. Les enseignants se plaignent souvent d’être méprisés par le système. Vous même vous parlez de « relégation ». Pourquoi ?
Plus de 700 000 élèves sont scolarisés dans les lycées professionnels, soit le tiers de l’ensemble des lycéens. L’enseignement professionnel a connu un âge d’or lorsqu’il formait une future élite ouvrière qualifiée et dont la carrière en usine lui assurait une promotion sociale certaine. Cela était possible quand les entreprises avaient de grands besoins en main d’œuvre qualifiée et en encadrement intermédiaire. On intégrait l’enseignement professionnel avec l’ambition de réaliser un projet professionnel et l’espoir de connaître une promotion sociale. Les Centres d’apprentissage, devenus les collèges d’enseignement technique en 1963, vont recruter des élèves sur concours. Les enseignants exerçant dans ces centres étaient formés par les ENNA (écoles normales nationales d’apprentissage) qui ont longtemps défendu une culture ne séparant pas la formation professionnelle de la socialisation à des valeurs humaines : former l’élève apprenti, c’est former l’homme, le travailleur et le citoyen ! De nombreux enseignants étaient issus de l’industrie, anciens ouvriers et parfois techniciens, pour lesquels le statut de professeur équivalait à une promotion sociale.
Par la suite, avec la massification scolaire et l’intégration de l’enseignement professionnel à l’Education nationale, les collèges d’enseignement techniques, devenus LEP puis LP, voient se transformer leur public et leurs enseignants : les élèves y sont orientés non selon leur projet professionnel mais selon leurs résultats scolaires. La suppression en 1967 du concours d’entrée dans les CET marque un tournant : ce sont les élèves le plus en difficulté scolaire qui intègrent massivement la voie professionnelle. Ce changement s’effectue à la veille du développement massif du chômage notamment chez les ouvriers et chez les jeunes. Les années 70 voient alors progressivement se modifier les missions du LP : celui-ci accueille les élèves qui ne peuvent pas poursuivre des études dans le lycée général et technologique ; le CAP qui a symbolisé la formation de l’élite ouvrière, décline au profit du BEP dont la valeur sur le marché du travail est des plus floues ; les enseignants de LP sont davantage issus de l’enseignement supérieur que de l’industrie et pour une part d’entre eux, enseigner en LP est moins le résultat d’un choix professionnel que la conséquence de projets professionnels contrariés.
Ainsi, la relégation de l’enseignement professionnel s’affirme à mesure que la voie générale apparaît comme une voie d’excellence et l’on observe désormais des réticences chez les parents de milieu populaire à envoyer leurs enfants au LP. La relégation est aussi renforcée par les politiques scolaires qui, en développant les filières technologiques, dès le milieu des années 80, vont concourir à la reconfiguration de la population scolaire : les élèves qui s’orientaient vers l’enseignement professionnel dans les années 60-70, vont aujourd’hui dans les filières technologiques, tandis que les élèves qui quittaient l’école à l’issue du collège, entrent aujourd’hui en LP. Du coup, le sentiment d’être relégué est encore plus vif chez des PLP qui sont confrontés à un décalage entre le niveau scolaire des élèves et les exigences des référentiels de formation devenus plus abstraits et plus théoriques.
Au 19ème siècle, le système éducatif était divisé en deux : les lycées de la bourgeoisie et les écoles primaires (primaire supérieur) des pauvres. Peut-on parler d’une école du pauvre pour l’enseignement professionnel, d’une école ouvrière ?
Les données statistiques montrent sans ambiguïté que les LP accueillent des élèves issus massivement de milieu populaire. En CAP, BEP et Baccalauréat professionnel, ils sont respectivement 72, 68 et 66% à provenir des milieux ouvrier et employé. On remarque cependant que la part des élèves issus de milieux plus favorisés est légèrement plus élevée dans les spécialités les plus convoitées (hôtellerie, sanitaire et social, coiffure et esthétique…). Ce constat n’est pas nouveau puisque les collèges d’enseignement technique accueillaient déjà des élèves issus pour la plupart de milieu ouvrier, à une époque où l’identité de l’enseignement professionnel était largement industrielle. Or aujourd’hui, si les élèves continuent à provenir pour la plupart de milieu populaire, ils se destinent moins au métier d’ouvrier qu’à celui d’employé (les LP accueillent près de 54% des élèves dans les spécialités tertiaires, contre 46% dans les spécialités industrielles). De ce fait, l’appui symbolique que la culture ouvrière apportait aux études en LP laisse place à une expérience plus éclatée, d’autant plus que les métiers du tertiaire semblent largement méconnus par les élèves et présentent une faible lisibilité. Le LP n’est plus l’école des ouvriers et le sens des études s’en trouve transformé : si l’on entrait en collège d’enseignement technique parce qu’on était enfant d’ouvrier appelé à le devenir, désormais, on entre au LP parce que l’on est en échec au collège. Au LP, l’objectif de former des futurs employés et ouvriers cohabite avec une autre mission : celle de réhabiliter des élèves et de les réconcilier avec les études.
En quoi cela influe sur les rapports entre profs et élèves ?
Ce qui frappe lorsqu’on se penche sur les LP, c’est l’existence d’une relative ressemblance entre l’expérience des enseignants et celle des élèves. Historiquement, La proximité entre élèves et enseignants de LP réfère à une homologie culturelle : quand les anciens PLP provenaient à la fois de milieu ouvrier et de l’industrie, ils étaient socialisés à la culture professionnelle ouvrière, celle qui valorise le métier, la solidarité et l’autonomie collective au travail. Même si cela était sous-tendu par des relents moralistes, cette proximité assurait un ordre scolaire et pédagogique soutenu par des conditions d’insertion professionnelle et de promotion sociale certaines. Cette homologie culturelle a progressivement laissé place à une homologie de conditions : comme les PLP tendent à provenir des classes moyennes, ils s’éloignent culturellement de leurs élèves, mais dans le même temps, ils partagent avec ces derniers une expérience commune, celle du sentiment d’être relégué dans l’institution scolaire, de ne pas être « un prof comme les autres ». Cela conduit à deux types de postures : l’une, plus répandue, consiste à voir le métier comme un défi permettant de « sauver » les élèves, le LP devenant en quelque sorte l’école de la deuxième chance, ce qui passe par des pratiques pédagogiques différentes et en tout cas, bien distinctes de celles du collège ; l’autre posture consiste à mépriser les élèves en refusant en quelque sorte la proximité pédagogique, comme si les PLP craignaient d’être assimilés à leur public. Mais bien souvent, cette attitude de mépris assure une survie professionnelle car elle permet de ne pas être envahi par les difficultés sociales des élèves.
Avec un public difficile, l’enseignement professionnel est inévitablement un laboratoire pédagogique. Quel regard jetez vous sur ses pratiques pédagogiques au regard de sa sociologie ?
Les élèves de LP constituent un public ayant souvent connu des difficultés scolaires au collège, voire dès l’école primaire, ce qui explique l’amertume et leur sentiment d’avoir « échoué » en LP. Bien que les LP connaissent plus de faits de violence que le collège et le lycée général, ils sont loin d’être le théâtre d’une violence ouverte et débouchant plus ou moins sur des drames. Il existe une violence plus institutionnelle, celle qui ignore les projets scolaires et professionnels des élèves, celle qui les met en difficultés jusqu’à les amener à intérioriser l’échec scolaire comme destin personnel. C’est cette réalité institutionnelle qui sous-tend les choix pédagogiques des enseignants, leur volonté de créer une rupture symbolique avec le collège (par exemple en insistant sur le fait que le LP est un nouveau départ, que l’on n’y enseigne et n’évalue pas de la même manière qu’en collège). Bien des élèves réalisent ainsi qu’ils sont capables de s’approprier des savoirs qui leur semblaient abstraits ou désincarnés au collège.
La spécificité des pratiques pédagogiques en LP vient de l’absence de « client idéal » chez les PLP : cela signifie que les enseignants souscrivent largement au fait qu’ils travaillent auprès d’élèves en échec scolaire, ce qui les amène à ne pas distinguer par exemple l’éducation de l’enseignement. Ils s’étonnent même lorsqu’ils ont des élèves d’un bon niveau qu’ils en viennent à se demander si leur place ne serait pas au lycée général ! Les pratiques pédagogiques se trouvent donc influencées par ce regard, mais aussi par la nature des savoirs technologiques et professionnels. Ceux-ci favorisent l’induction et permettent souvent de mettre en dialogue des savoirs théoriques et leurs applications. Ils rendent possible un dépassement relatif des règles d’évaluation comme la nuance introduite entre moyenne scolaire et moyenne professionnelle (par exemple, l’élève réalise progressivement que réussir à avoir une moyenne de 10 ou de 12/20 à un montage électrique ou à une activité de soins ne signifie pas que l’on maîtrise totalement des compétences professionnelles).
Les PLP visent surtout à expliciter les objectifs des différents enseignements. Finaliser les enseignements est une façon de légitimer leur contenu. Ce faisant, les PLP cherchent à affaiblir le poids de la forme scolaire dans laquelle les savoirs valent en eux-mêmes, avec leurs implicites culturels. C’est pourquoi le recours à des exemples concrets issus de la vie quotidienne et référant à des domaines d’expérience avec lesquels les élèves sont familiarisés, est un moyen d’expliciter les savoirs enseignés et de les désacraliser.
Une seule constante semble structurer le travail des PLP, toutes disciplines confondues : celle de l’action au plus proche des élèves identifiée à un « suivi individualisé ». Ce suivi s’effectue aussi bien à travers le travail de groupe (qui permet de repérer les difficultés de chacun) que via des entretiens avec l’élève à l’issue des cours ou à d’autres occasions. La massification scolaire et le projet de qualifier tous les élèves ont conduit à « confier » au LP la mission de « récupérer » les plus faibles d’entre eux. Ceci a transformé profondément les conditions de travail des enseignants. Cette évolution vers une sorte de « travail social » ne procède pas de la seule transformation des publics scolaires et des difficultés du marché du travail. Elle s’explique aussi par la position de l’enseignement professionnel dans l’ensemble du système éducatif. Recrutant des élèves sélectionnés par leurs échec, identifiés à ces élèves parce que leur carrière scolaire est moins académique que celle de leurs collègues de l’enseignement, désormais coupés des cultures ouvrières, les PLP construisent une clôture qui les distingue de leurs collègues qui enseignent dans les filières que l’on continue à considérer comme « normales ». Ainsi se forment une adaptation contrainte à des difficultés scolaires croissantes et, probablement, une identité de métier plus psychologique et sociale que strictement technique et professionnelle.
Toute la difficulté des PLP consiste à circonscrire des supports et des techniques permettant de rendre « parlants » des savoirs théoriques à des élèves manifestant aussi bien des réticences à l’égard de la théorie que des difficultés cognitives.
L’enseignement professionnel est aussi caractérisé par les « minorités visibles ». y a –t-il un risque de voir se développer une école communautaire, marginale ?
Tous les LP ne sont pas concernés par la concentration d’élèves issus de l’immigration ou étrangers. C’est souvent dans les LP situés dans les zones historiquement industrielles et plus ou moins défavorisées que l’on relève cette « ethnicisation » des LP. Cela doit aussi bien aux politiques urbaines de logement des familles qu’aux stratégies familiales d’évitement de l’établissement, bien connues des recherches sociologiques, qui conduisent à renforcer la « visibilité ethnique » dans certains établissements. C’est également dans les spécialités industrielles ou tertiaires les moins convoitées que ces élèves sont surreprésentés. Cela contribue comme l’ont montré le travail de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, à répandre chez les élèves le sentiment d’être victime d’un racisme institutionnel. Il faut souligner que certains élèves issus de l’immigration se retrouvent dans les LP les moins convoités ; ils ne sont donc pas forcément issus du quartier environnant le LP, bien que celui-ci soit le plus souvent populaire et concentre de nombreuses difficultés sociales. Mais ce qu’on relève aussi, c’est qu’à cette concentration ethnique des élèves fait écho, dans certains LP, la concentration ethnique des enseignants.
Ainsi se dessine une sorte de proximité ethnique entre élèves et enseignants, qui vient renforcer la proximité de condition évoquée plus haut. Cela amène à s’interroger sur les raisons d’une telle configuration et sur ses effets potentiels quant au rapport aux études et aux savoirs. Deux éléments peuvent expliquer cette proximité ethnique – au sens de l’existence de traits culturellement proches du point de vue de l’origine sociale et culturelle – entre une partie des PLP et une partie des élèves. Le premier est d’ordre « stratégique » : de nombreux enseignants choisissent d’exercer dans un établissement à forte concentration ethnique parce que portés par le projet d’aider leurs élèves à s’en sortir, à s’émanciper de leur vie sociale dominée. Le second élément expliquant l’importance de la part de PLP issus de l’immigration dans certains LP réfère aux politiques d’affectation rectorales, politiques dont nous supposons l’existence informelle. Or si le rectorat a peu de pouvoir sur l’affectation des enseignants titulaires (ceux-ci peuvent davantage choisir leur établissement et les règles du jeu sont relativement codifiées), il dispose d’une grande marge de manœuvre dans la nomination des contractuels. L’affectation de PLP issus de l’immigration à des LP accueillant de nombreux élèves, issus également de l’immigration, traduit un déplacement des enjeux éducatifs : ceux-ci ne s’appuient plus sur les seules considérations tenant à la qualification scolaire des enseignants, mais procèdent également d’appréciations « culturelles » et « ethniques ». Il s’agit de nommer des enseignants pouvant « parler le langage » de leurs élèves et être à même de les « comprendre ». Ainsi, tout se passe comme si l’institution scolaire cherchait à créer une proximité entre des élèves définis scolairement et culturellement, et des PLP ayant à assurer une « médiation » entre la culture scolaire et la culture socio-familiale de leur public.
La conséquence de ce jeu de miroir est le renforcement de la clôture symbolique du LP ; elle conduit à asseoir une logique communautaire qui fait que les enseignants sont assimilés à des « grands frères » susceptibles d’être instrumentalisés par les élèves face aux autres enseignants et à l’administration du LP. De fait, la proximité de condition qui définit l’expérience des PLP et celle de leurs élèves se double d’une proximité « ethnique », pouvant renforcer le sentiment d’une relégation, alors que paradoxalement les enseignants y voient le moyen d’une émancipation « en donnant l’exemple aux plus jeunes » (Homme, 35 ans, PLP de mécanique).
Avec la disparition des BEP et la montée des bacs pros, l’EP est tiré vers un alignement sur les autres lycées, à une forme de « rescolarisation ». Comment cela est il ressenti par les enseignants et les élèves ?
La réforme ramenant à trois ans la durée de préparation du baccalauréat professionnel en 3 ans après la classe de 3ème de collège est un élément positif. Elle répare en quelque sorte une injustice scolaire en faisant « gagner » une année aux élèves et elle aligne symboliquement le LP sur le lycée général et technologique. Incontestablement, le baccalauréat professionnel a valorisé l’image du LP et l’on doit réaliser que de nombreux BEP sont devenus une étape préparatoire au bac pro (c’est le cas des spécialités telles que l’électrotechnique, la productique, la bureautique et le secrétariat, pour n’en citer que quelques uns). Pourtant, cette réforme ne manque pas de susciter un certain nombre de questionnements. Le ministère de l’Education nationale n’a pas clarifié la question de l’avenir du BEP, on ne sait pas s’il sera maintenu ; c’est là une question cruciale car s’il venait à disparaître, on peut penser que l’élévation des niveaux de qualification se « paiera » par la diminution du nombre de diplômés. En 2007, les taux de réussite en BEP et en baccalauréat professionnel avoisinaient les 75%. Est-ce qu’on aura autant de diplômés en bac pro 3 ans qu’en BEP 2 ans ? Est-ce que l’abandon ou le « décrochage » en cours de formation, déjà très élevé en BEP, ne risque pas de se renforcer dans un parcours en 3 ans, ce qui impliquerait sans doute de ne pas réduire les moyens (le ratio enseignant/élèves) dont disposent les LP, et de ne pas aligner les effectifs par classe sur ceux du lycée général et technologique ? La question des moyens n’est pas la seule variable en jeu mais à l’heure des réductions budgétaires drastiques, il est légitime de penser que cette réforme se traduira par une baisse des effectifs enseignants, sur fond de forte scolarisation de la voie professionnelle.
Les élèves aspirent dans leur majorité à la poursuite des études à l’issue du BEP (seuls 40% des titulaires de BEP intégraient jusqu’ici une première professionnelle). Les enseignants vivent positivement l’élévation des niveaux de qualification en LP mais ils craignent non seulement que cela cache une volonté politique de réduire les postes, mais aussi de ne pas avoir les moyens pédagogiques et didactiques permettant de lutter contre les réticences des élèves à l’égard de savoirs devenus plus théoriques. Mais pour qu’une telle réforme soit plus ambitieuse, il faudrait permettre aux PLP d’enseigner dans les sections d’enseignement supérieur (les BTS en particulier) et pourquoi pas dans les licences professionnelles. Deux écueils cependant guettent cette réforme : la déprofessionnalisation de la voie professionnelle car elle est amenée à être plus théoriques avec une large place consacrée aux savoirs technologiques (et dans ce cas, quelle serait la spécificité des séries technologiques de lycée ?) ; une marginalisation plus forte des CAP qui, bien que confirmés dans leur rôle professionnalisant, seraient réduits à un simple titre sans valeur sur le marché du travail.
Une autre tendance c’est la mise en concurrence des CFA et des LP. Aujourd’hui qu’est ce qui sépare les deux systèmes ? Comment cela évolue-t-il ?
L’apprentissage en alternance connaît depuis le début des années 70 un essor et sous l’effet de politiques incitatives, il est amené à se développer davantage et à s’imposer comme un véritable concurrent des LP. Depuis plus de vingt ans, l’apprentissage en alternance a connu des évolutions importantes. La réforme Séguin (1987) a élargi les domaines et les niveaux de qualification pouvant être préparés en alternance : on peut selon cette réforme préparer un diplôme de niveau V (CAP, BEP), de niveau IV (baccalauréat professionnel, brevet de maîtrise et brevet professionnel) et de niveau III (DUT, BTS). Dans le cadre de la Loi quinquennale pour l’emploi (Décembre 1993), les maîtres d’apprentissage ne sont plus obligés d’avoir un agrément pour recruter un apprenti. Les aides financières pour les entreprises embauchant des apprentis sont augmentées (cela a été confirmé récemment avec la Loi sur l’Egalité des chances, votée en Avril 2006, dans son volet relatif aux jeunes sans qualification). Les niveaux CAP et BEP restent dominants (67% de l’effectif), mais ils déclinent néanmoins (en 1995, leur part était de 79%), au profit des niveaux IV (19%), III (10%) et II-I (4%). Comme en LP, la part des CAP dans l’apprentissage décline (même si le nombre d’apprentis en CAP est deux fois plus élevé qu’en LP) puisqu’elle représente 52% en 2003, après avoir constitué 63% en 1996. Dans les formations post-bac, entre 1995 et 2001, les apprentis sont passés de 20 000 à 50 000. Mais comme le montrent les travaux de Gilles Moreau, le fait que la plupart des apprentis du supérieur proviennent de la voie scolaire (plus de 80%) montre que l’on ne peut véritablement parler de « filière apprentissage », comme si les employeurs privilégiaient les « scolaires » plutôt que les « professionnels » dès qu’il s’agit d’un niveau supérieur au baccalauréat. La concurrence entre les CFA et les LP ne date pas d’aujourd’hui. Elle est relativement ancienne et se traduit par un contrôle par les CFA des formations aux débouchés plus favorables (c’est le cas de nombreux CAP convoités par les métiers de l’artisanat) et par une division du travail qui conduit le LP à qualifier des publics dont les meilleurs pourront bénéficier d’un contrat d’apprentissage (préparer un BTS en apprentissage à l’issue d’un bac pro obtenu en LP par exemple). Cette concurrence peut être d’autant plus préjudiciable au LP que les PLP ont tendance à être méfiants à l’égard des entreprises et à ne voir dans celles-ci que des organisations utilisatrices de main-d’œuvre (les stagiaires) à peu de frais. Cela conforte un patronat qui reste largement critique à l’égard du LP et plus porté sur l’apprentissage lequel reste plus perméable à ses attentes en matière de contenus de formation.
On vous sent parfois nostalgique des ENNA et d’un enseignement professionnel des années 1970. Est-ce vrai ?
Créées en 1945, et inspirées des ENSET (Ecoles normales supérieures de l’enseignement technique), les Ecoles normales nationales d’apprentissage avaient pour mission de former les futurs professeurs de l’enseignement professionnel, professeurs d’enseignement général et professeurs d’enseignement pratique et professionnel. Durant leur existence – pendant près de quarante cinq ans –, les ENNA ont valorisé une éducation populaire doublée d’un humanisme technique. En formant des futurs enseignants à un humanisme technique, en les socialisant à des démarches pédagogiques constructivistes, et en développant une réflexion sur le travail et ses valeurs, les ENNA ont promu une conception originale des objectifs de formation. La psychopédagogie enseignée dans les ENNA a accompagné ce projet culturel. Les ENNA ont contribué à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un ensemble de principes pédagogiques, dont le plus important était de ne pas séparer la dimension éducative de l’acte de formation. En d’autres termes, former les futurs ouvriers, c’est à la fois les amener à construire des savoirs professionnels non spécialisés, en phase avec les exigences opératoires du métier, à s’approprier des démarches méthodologiques larges (ou transversales) et à devenir des citoyens (en construisant leur personnalité). La création des IUFM en 1990 a affaibli cette culture enseignée par les ENNA, et ce, au moment même où les élèves arrivent au LP avec de nombreuses difficultés scolaires. Mes observations empiriques font état de la survivance de pratiques pédagogiques héritées des ENNA mais elles restent davantage le résultat d’un « bricolage » pédagogique que d’un collectif de travail. Or, et bien que mon propos puisse apparaître comme nostalgique, c’est surtout la pertinence pédagogique défendue par les promoteurs historiques des ENNA – et de manière plus large, par les défenseurs de l’éducation populaire – qui me paraît nécessaire à repenser, eu égard à l’évolution du LP, de son public et de ses missions.
Aziz Jellab
professeur de sociologie à l’université Lille 3 (IUT B, Tourcoing)
Entretien François Jarraud
Aziz Jellab est l’auteur de : « Sociologie du lycée professionnel. L’expérience des élèves et des enseignants dans une institution en mutation, Presses universitaires du Mirail, Toulouse , 2003, 334 pages.
Le Café francilien n° 12 : Valoriser la voie professionnelle
Pour offrir une qualification à chaque francilien le Conseil régional d’Ile de France investit lourdement dans les filières professionnelles De manière générale, un fort soutien est accordé aux formations professionnelles, dans les lycées, les CFA ou les centres de formation continue, avec un budget de 352,5 millions d’euros pour l’apprentissage et 281,2 millions d’euros pour la formation professionnelle.
Cette politique de valorisation se marque aussi dans les actions entreprises pour donner aux jeunes une image attractive de l’enseignement professionnel, en les faisant découvrir dans différents salons et carrefours et en investissant dans des opérations de prestige comme la préparation des Olympiades des métiers, une occasion exemplaire de partenariat entre les établissements de formation et les branches professionnelles. C’est tout cela que le Café francilien n°12 vous propose de découvrir.
Le sommaire
http://cafepedagogique.net/regionales/Francilien/Pages/idf12_Sommaire.aspx
Sur le site du Café
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