Par François Jarraud
Les L.P. vont-ils éclater entre voie d’excellence,marquée par les lycées des métiers et les formations supérieures, et voies de relégation ? Cette opposition sera-t-elle aussi un clivage ethnique ? Spécialiste de ce secteur d’enseignement, Françoise Lantheaume en éclaire les enjeux.
Plus que d’autres filières, l’enseignement professionnel a connu et connaît une mutation accélérée. Comment ont réagi les enseignants à cette succession de réformes qui ont abouti à effacer petit à petit le BEP au profit du bac pro ?
Les enseignants ont réagi de deux façons qui, contrairement aux apparences, sont concomitantes. D’un côté, inquiets des conséquences des réformes sur leurs conditions d’enseignement, et sur le sens même de leur travail en LP, ils ont pu protester et remettre en cause ces réformes, critiquer leurs orientations sélectives, trop centrées sur l’état du marché de l’emploi et mettant en cause le poids de certaines disciplines, etc. Cependant, dans le même temps, avoir des bac pros a rapidement été perçu comme valorisant, les PPCP ont été mis en place malgré les nombreux obstacles rencontrés, etc. Donc, d’un côté une mobilisation pour protester et faire évoluer la situation dans un sens plus favorable au métier ; d’un autre côté, un engagement très important dans le travail pour traduire les injonctions institutionnelles en fonction des conditions locales de travail et agir en faveur de la réussite des élèves.
Comment expliquer ces réactions ?
Les deux rôles de l’enseignement professionnel en France – accueillir des élèves orientés souvent par défaut, dans une formation professionnelle courte et assurer des qualifications adaptées à l’évolution du marché de l’emploi- semblent être devenues contradictoires depuis la fin du XXè siècle. Du fait des évolutions économiques et de choix politiques, la deuxième fonction tend désormais à l’emporter, d’où le développement de formations de plus haut niveau et plus liées aux besoins économiques.
Ces réformes ont aussi contribué à ajouter à la hiérarchie des filières (certaines plus « nobles » que d’autres) déjà existante, une diversification des statuts et des positions des enseignants. L’unité du corps enseignant a été remise en cause du fait, également, de l’évolution des parcours professionnels et de formation. De moins en moins d’enseignants viennent des entreprises, le parcours universitaire est dominant chez les nouveaux recrutés. Cette situation est à la fois source de tensions et de dynamique dans le métier.
L’enseignement professionnel se sent souvent méprisé. Quel est votre sentiment là-dessus ?
Il me semble que l’enseignement professionnel, depuis la mise en place des bacs pros, a gagné en termes d’image pourrait-on dire. Ils sont reconnus comme formant à un bon niveau de qualification un public scolaire au départ souvent peu motivé. D’un autre côté, du fait de la crise économique et sociale durable, ils sont perçus comme des établissements accueillant les élèves les plus « perdus », voire les plus violents. Face au défi quotidien que représente la formation de ces élèves, les enseignants font l’expérience d’une faible reconnaissance de leur travail, particulièrement dans les sections de plus bas niveau de qualification et donnant difficilement accès à l’emploi. De plus, le décalage reste grand entre la réalité du travail fait dans et par les LP et leur image tant chez les parents, chez les enseignants de collèges et de lycées d’enseignement général que chez les élèves eux-mêmes.
L’arrivée des PLP, le développement de filières d’excellence (bac pro, lycée des métiers, CPGE maintenant) sont-ils de nature à changer cet état de choses ?
On peut faire l’hypothèse que le clivage entre filières et niveaux de formation et même entre établissements, peut s’aggraver. En effet, faire le pari que ces filières d’excellence tirent l’ensemble des LP vers le haut risque de se heurter aux effets de la crise actuelle. Le rejet d’une part accrue de la population dans la relégation sociale avec les effets délétères qu’on connaît sur les familles, les enfants et leur scolarité, va peser. Le risque de LP à deux vitesses est réel. La question est aussi : y a-t-il deux métiers ? C’est aux enseignants d’en débattre et d’affirmer leur vision des choses à ce propos.
Entre bac pro et CAP, l’enseignement professionnel ne risque t’il pas de se diviser ? Sur quels critères ?
Si une telle division s’effectue, les critères de fait risquent bien d’être à la fois scolaires et socio-ethniques. La séparation de la double mission, évoquée plus haut, pourrait alors traverser les lycées professionnels et aboutir à une répartition des tâches clivante : des LP d’élite et des LP traitant les effets de l’exclusion sociale. En revanche, si un continuum est construit entre les différents niveaux de formation, cela peut être une formidable voie de promotion pour les élèves et des possibilités de mobilité et de développement professionnel pour les professeurs.
Françoise Lantheaume,
Maître de conférences, Université de Lyon, UMR Éducation & politiques (Lyon 2- Inrp)
Entretien : François Jarraud
Dernier ouvrage de Françoise Lantheaume : Lantheaume (dir), Bessette-Hollande F. et Coste S., Les enseignants de lycée professionnel face aux réformes. Tensions et ajustements dans le travail, Lyon, INRP, 2008.
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