Par François Jarraud
Le rapport parlementaire sur « la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences au collège » présenté par le député Jacques Grosperrin veut donner au collège les moyens d’une réelle prise en compte du socle commun, c’est-à-dire tourner la page du « petit lycée ».
« Force est de constater qu’aujourd’hui le socle commun se fait encore attendre au collège » affirme d’emblée J Grosperrin. « En réalité, il suffirait de peu de choses pour que la réforme ambitieuse voulue par le législateur en 2005 ne « retombe » définitivement et replonge ainsi le collège dans ses difficultés », note-il encore. « C’est le principal constat établi par la mission : la position du socle commun au collège est fragile alors que cette nouvelle approche de l’instruction avait pour vocation de rénover ce niveau d’enseignement ».
Difficile d’évaluer le niveau de maitrise du socle, faute de statistiques fiables. Mais plusieurs études estiment qu’environ 15% des collégiens ne maitrisent pas la compréhension de l’écrit. Ce pourcentage tendrait à augmenter. A cela J Grosperrin voit plusieurs facteurs. Et d’abord, dans sa représentation même. Il reprend une formule du sociologue F Dubet : « le collège est un lieu improbable dont l’imaginaire est celui du lycée bourgeois alors qu’il accueille les classes du certificat d’études… Ainsi que le souligne M. Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, on fait constater à une partie des collégiens, ce qu’ils font d’ailleurs très vite, que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour eux ». De plus le collège manque de moyens. Il tend à éclater les élèves en des structures séparées (par exemple les classes DP 6). Quant aux « programmes personnalisés de réussite éducative », ils seraient « en perdition ». Pour J Grosperrin, la réforme a été « peu accompagnée par le ministère », ce qui est peu dire : le Café se souvient que le jour même de l’installation du Haut Conseil de l’Education, sensé veiller à l’application de la loi de 2005, le ministre Robien annonçait l’ouverture d’une structure scolaire dérogatoire au socle commun… Les programmes eux-mêmes intégreraient peu le socle commun.
Un diplôme national du brevet « baroque« . Analysant les conditions de délivrance du brevet, J Grosperrin trouve que la version est « bien béquillarde » tant le diplôme prend en compte des logiques différentes. « Ce nouveau « DNB » organise la « cohabitation » – plus qu’improbable – de deux formes d’évaluation a priori opposées et inconciliables : d’une part, l’évaluation traditionnelle, chiffrée, par le biais du contrôle continu et des épreuves du brevet, des savoirs disciplinaires et d’autre part, l’évaluation binaire, propre au socle commun, qui indique si chacune des sept compétences est validée ou non. Ce choix est à l’évidence absurde ». Pour lui, « on peut être dubitatif sur la conformité de ce « bricolage » avec la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. L’article L. 332-6 du code de l’éducation, modifié par cette loi, dispose en effet que le diplôme national du brevet « atteste la maîtrise des connaissances et des compétences » du socle commun. Attester, c’est certifier, témoigner d’une réalité, celle des acquis d’un élève. Or le compromis précité remet en cause la valeur de cette attestation, voulue par le législateur ».
L’incompréhension des enseignants. Se basant sur une étude de l’INRP, le rapport estime que les enseignants ne se sont pas appropriés le socle. Surtout, « le socle commun est souvent mal ou peu compris tant d’un point de vue « culturel » que disciplinaire, l’attestation qui doit le valider semblant cristalliser les réticences, voire la méfiance des enseignants… Pour de nombreux enseignants », continue J Grosperrin, » l’attestation de la maîtrise du socle commun conduirait à altérer le travail d’évaluation, ainsi que la relation élève-professeur. Pour reprendre une expression très imagée entendue au Collège Françoise Dolto de Paris, le cochage des cases de validation des sous-compétences transformerait les équipes enseignantes en « poinçonneurs des Lilas ». Ce document a été même qualifié dans cet établissement « d’attestation Mc Gyver », ce qui en dit long sur son image dans la communauté enseignante ».
Des propositions ambitieuses. Pour faire entrer le socle commun dans le collège, Jacques Grosperrin fait des propositions très ambitieuses qui visent à toucher à la fois les programmes, la gestion des établissements et les pratiques pédagogiques et les missions des enseignants.
Concernant les programmes, J Grosperrin demande à ce que « les programmes fassent plus clairement référence aux savoirs et savoir faire reconnus par le socle commun ». Pour lui cela passe par une approche interdisciplinaire des programmes. « Il serait souhaitable, qu’à l’image des programmes des disciplines scientifiques enseignées au collège (mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre et technologie), ceux de lettres, de langues vivantes étrangères et d’histoire-géographie-éducation civique mettent en avant quelques thèmes de convergence auxquels contribuerait chacune de ces matières. À terme, il faudrait encourager un enseignement « intégré » des disciplines scientifiques, d’une part, et des disciplines dites culturelles, d’autre part ». Evidemment cela conduirait à un nouveau brevet évaluant réellement le socle commun et rien d’autre.
Le pilotage des établissements doit devenir « plus incitatif ». Il préconise que 10 à 20% des dotations horaires ne soient plus affectées nationalement mais soient gérées localement. « En leur attribuant une souplesse de gestion sur un certain pourcentage de leur grille horaire, ces établissements pourraient ainsi dissocier l’horaire/professeur de l’horaire/élève et « ajuster » au mieux leur organisation pédagogique aux besoins de leurs élèves ». J GRosperrin se plait à imaginer également une réforme de l’inspection, pour qu’elle accompagne les équipes.
Une autre pédagogie. Mais la réponse essentielle est bien sur à chercher dans des évolutions pédagogiques. Pour cela, J Grosperrin demande que les enseignants soeint formés au socle commun. Les pratiques de l’enseignement devraient s’inspirer davantage du primaire. « Savoir gérer une classe hétérogène comme dans le primaire, cela s’apprend. C’est ce que M. Antoine Prost, historien, appelle « faire classe », une compétence qui ne dépend pas d’un niveau de recrutement à Bac + 5 ou à Bac + 50, car un professeur des écoles sait – lui – parfaitement travailler avec des élèves de niveaux différents en CM2. En effet, le savoir-faire de l’enseignant du primaire est organisé autour du travail de l’élève, c’est-à-dire de tâches à accomplir dans la classe, en petits groupes. À l’inverse, dans le secondaire, l’enseignement est centré sur le faire cours ». Le rapport demande donc logiquement d e »primariser » également le statut des enseignants des collèges. D’une part en encourageant la bivalence, d’autre part en allongeant le temps de présence des enseignants dans l’établissement quitte à diminuer le temps d’enseignement. C4est l’exemple du collège Clisthène qui est mis en avant : 12h de cours, 12h « d’éducation » (soit 4 h de tutorat, 2 de réunions etc.) , au total 24 heures hebdomadaires. J Grosperrin demande aussi « une autre évaluation », inspirée de l’évaluation basée sur la confiance développée par André Antibi.
Au final, le rapport retient 17 propositions qui dessinent un collège bien différent du collège actuel. Pour connaître un début de réalisations, ces recommandations demanderaient une autre situation budgétaire et politique. Depuis des années, les enseignants des collèges « encaissent » à la fois une situation difficile et une baisse constante de leurs moyens. Comment leur redonner confiance pour accompagner des changements significatifs ? Le rapport ne le dit pas…
Le rapport
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2446.asp
Sur le site du Café
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