Les zélateurs ordinaires des TICE les mettent en avant comme levier pour réaliser les modifications des pratiques pédagogiques qu’ils appellent de leurs vœux lors de leur intégration en classe. Et si au contraire la réussite des blogs était principalement due au fait que cet outil permet à chaque enseignant-e de prolonger ses pratiques de classe ? Et si cela en était une heureuse conséquence pour éviter l’épuisement des enseignants face aux TICE ? Retour et bilan d’une enquête sur l’utilisation des blogs par les enseignant-e-s.
En mai 2009, ma chronique faisait part du travail initié en 2008 et 2009 avec mes étudiant-e-s (enseignant-e-s en formation) et portant sur l’analyse de blogs d’enseignant-e-s. Si l’enquête de 2008 portait uniquement sur un nombre limité de blogs en histoire, l’enquête de 2009 analysait 21 blogs pédagogiques de collège choisis aléatoirement dans différentes disciplines (histoire-géo, français, maths-sciences, langues étrangères). Désormais les résultats de l’enquête de 2009 ont été publiés en ligne dans le dossier « Le Web 2.0 et l’Ecole » du dernier numéro des Cahiers pédagogiques [1].
Au-delà de l’aventure fort intéressante conçue et vécue avec mes étudiant-e-s, ces résultats permettent de porter une première évaluation sur les pratiques enseignantes développées depuis 2007 en France à l’aide de blogs. Il s’agissait ainsi pour les étudiant-e-s de répondre à la question suivante :
Des blogs au service de quelles pratiques pédagogiques ?
Si l’étude a permis d’observer que ces blogs sont difficilement réductibles à une seule pratique pédagogique, il n’en demeure pas moins, sur cet échantillon certes limité, que les blogs tenus par des enseignant-e-s en histoire-géo privilégient fortement le modèle magistro-centré.
En ce sens, contrairement aux discours généralement développés autour des blogs et par les chauds partisans de l’utilisation des technologies à l’école, on ne note pas que ceux-ci favoriseraient l’adoption par les enseignants de démarches constructivistes tant en histoire-géo que pour les autres disciplines, langues étrangères mises à part. Pour ma part, je fais l’hypothèse que la souplesse du blog permettrait prioritairement à l’enseignant de traduire et de prolonger sur celui-ci les démarches proposées au quotidien dans son enseignement. Je dispose déjà de premiers indices allant dans ce sens. En effet, étudiant-e-s ont régulièrement relevé que les éléments proposés par les enseignant-e-s sur leur blog étaient clairement présentés comme prolongeant le travail réalisé en classe.
Les premiers succès rencontrés depuis par les Tableaux Blancs Interactifs (TBI) s’expliqueraient, à mon avis, pour les mêmes raisons et ce succès serait d’autant plus grand que le mode d’enseignement de l’enseignant-e serait prioritairement magistro-centré. [2] Pour leur part, les résistances des enseignant-e-s dans l’emploi des réseaux sociaux (Twitter ou Facebook) ne seraient-elles pas notamment dues du fait que ceux-ci s’intègrent plus difficilement aux pratiques enseignantes établies ? Si oui, les partisans de l’utilisation des technologies —parce que celles-ci seraient des agents pour le développement de nouvelles pratiques pédagogiques— ont du souci à se faire pour réussir à les généraliser. [3]
Histoire de prolonger et stimuler la réflexion à l’approche de l’été, je terminerai avec des propos de Bruno Devauchelle. Celui-ci vient de publier un billet extrêmement important à la suite de signes inquiétants relativement aux nuages économiques planant sur les TICE. Sa réflexion porte notamment sur l’impression d’une innovation permanente concernant les TICE et l’épuisement qui guetterait alors les enseignant-e-s :
« Les zélateurs des TIC au sein même du système éducatif ont probablement réussi largement à épuiser les enseignants « ordinaires ». Cette impression d’innovation permanente pourrait même avoir causé une mise à l’écart, voire un rejet qu’il ne faudrait pas minimiser, voire mépriser. La réalité de la mise en oeuvre des TIC dans les classes par leurs promoteurs cache la difficulté réelle de ces activités. Il suffit de voir comment sont réellement utilisés (quand ils le sont) des outils dits « nouveaux » pour comprendre que la difficulté de mise en oeuvre pédagogique est souvent proportionnelle à la difficulté de mise en oeuvre technique, mais que l’inverse n’est pas vrai. Autrement dit la simplicité de mise en oeuvre technique ne suffit pas à simplifier la mise en oeuvre pédagogique. Or les promoteurs internes et externes des TIC ont beau faire, il y a une barre qu’ils ont beaucoup de mal à faire franchir, à moins qu’ils ne soient déjà dans un autre monde. » [4]
Dans ce contexte, même s’il ne modifie pas forcément les pratiques pédagogiques des enseignant-e-s, le succès rencontrés par les blogs depuis 2007 n’est pas à négliger. Ne serait-ce que parce sa pratique contente des enseignant-e-s aux pratiques pédagogiques différentes. Enfin, un récent sondage réalisé par le professeur Martin Bélanger dont l’école utilise les blogs depuis quelques années dans un contexte d’apprentissage scolaire tend à montrer son intérêt et son efficacité dans la production des écrits des élèves. En effet, ce petit sondage met en évidence les constats suivants :
• 93 % des élèves affirment que bloguer est une excellente façon de s’exercer à mieux écrire.
• 100 % des élèves admettent faire des efforts pour mieux écrire dans les billets qu’ils bloguent que dans leurs travaux scolaires.
• 64 % des élèves disent faire des efforts supplémentaires dans leurs travaux scolaires, car ils savent qu’ils pourront éventuellement les bloguer.
• 76 % des élèves soutiennent qu’un blog est un bon support à la métacognition, c’est-à-dire qu’il permet de garder des traces des apprentissages et qu’il aide les élèves à nommer leurs forces et leurs faiblesses afin de s’améliorer éventuellement.
• 93 % des élèves affirment que le blog est un outil technologique qui aide à apprendre. [5]
Bon été !
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
[1] «Blogs pédagogiques : du discours sur leurs usages à la réalité dans leurs pratiques» http://cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6861
[2] Concernant le TBI, on lira avec intérêt « L’interactivité/interaction en classe avec le TBI ? », 7 mai 2010 par Bruno Duvauchelle
http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=658%EF%BB%BF
[3] Il ne s’agit nullement me concernant d’un désaveu ou d’une critique à l’égard du 3e Forum des enseignants innovants. Bien au contraire. Heureusement que de telles initiatives existent et développent une philosophie de développement par des pratiques innovantes qui réussissent.
[4] «Les TIC sacrifiées… sur l’autel des économies ?», 16 juin 2010 http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=671
[5] Ce que mes élèves pensent des TIC, 13 février 2010 http://cogitoergoblogo.wordpress.com/2010/02/13/ce-que-mes-eleves-pensent-des-ticf/