Par Françoise Solliec
Quels peuvent être le rôle et la place d’une collectivité locale dans la lutte contre l’échec scolaire et, plus particulièrement, dans la réduction des inégalités à l’entrée à l’école ? Telle était la problématique qui a traversé le débat de clôture du Printemps de l’éducation, une semaine de rencontres et d’échanges organisée par le conseil général du Val-de-Marne.
Egalité des chances, égalité des droits, égalité des acquis, ou le défi du « tous capables » lancé par le GFEN et repris par la conseil général du 94 peut-il être relevé ? Pour répondre à cette question, divers intervenants se sont exprimés samedi 29 mai à Créteil, dans l’Hôtel du département, à l’invitation d’Alain Desmarets, premier vice-président en charge de l’éducation et des collèges.
La notion d’égalité des chances des élèves en France est relativement récente, a rappelé un historien de l’éducation. Jusqu’au début des années 1950, l’école était profondément inégalitaire par organisation, avec des filières séparées selon les sexes et l’origine sociale, bien que le processus de démocratisation, ait débuté longtemps auparavant, dès le début du 20ème siècle et qu’on ait toujours eu des exemples, pour une faible proportion de la population, d’accession de la classe populaire à la classe moyenne grâce à l’école.
Pour Gérard Aschieri, ex responsable de la FSU, l’égalité des chances est en fait une notion qui s’oppose à celle de la réussite pour tous. « Il subsiste dans le système éducatif français un noyau dur d’échec scolaire qu’on n’arrive pas à résorber, largement corrélé à l’origine sociale et fortement territorialisé ». Il s’élève contre la tendance actuelle de libéralisation, qui va mettre les établissements en concurrence et faire perdre la mixité sociale et culturelle.
Selon Jean-Yves Rochex, professeur en sciences de l’éducation, les enjeux scolaires sont exacerbés. L’inégalité organisationnelle a cédé la place uax inégalités de parcours dans une même organisation générale. Il note l’accroissement de phénomènes d’inégalités territoriales, qui conduisent à un divorce entre les parcours scolaires et les acquisitions réelles. C’est un phénomène marginal, mais qui peut être important localement.
Le droit à la réussite prôné par le gouvernement est en fait un droit individuel et non plus collectif. Comment recréer une alliance entre classe populaire et classe moyenne pour la réussite des élèves ? Par exemple la libération du samedi matin profite largement aucx classes moyennes, mais peut s’avérer désastreuse pour les classes populaires. Il faut donc redéfinir le rapport à l’école des parents de milieu populaire et bien clarifier le rôle de l’école et de la maison.
Jeanne Dion, repsonsable du GFEN Ile-de-France, rappelle que le slogan « Tous capables » a souvent été reçu avec scepticisme et étonnement. Il faut bien comprendre que les enfants ont un long parcours à construire et qu’il est important d’adopter des pratiques pédagogiques susceptibles de s’attaquer à leurs problèmes, notamment celui du retard. Le rapport à l’avenir et au savoir peut être très différent selon les individus et dépend largement de leur condition sociale, alors que généralement, l’école impose à chacun d’attribuer sa réussite (ou son échec) à son mérite (ou son démérite) personnel. L’orientation est ainsi induite par une fausse application du principe d’égalité des chances.
Pour les élèves en difficulté, la restauration de l’image de soi est fondamentale, comme l’a montré une expérience dans un quartier défavorisé. Il faut leur « faire passer le mur du sens » et adopter des démarches qui les mettent en mesure de lire le monde en vrais citoyens.
Les collectivités ont acquis des compétences fortes en matière de bâti, de fonctionnement des établissements et , maintenant, de personnels, affirme Alain Desmarets. Doivent-elles maintenant s’engager aussi dans des problématiques de solidarité et de réussite scolaire, en passant des collèges aux collégiens ? Nombre des élèves arrivent avec un handicap sur lequel la collectivité peut peut-être agir, en termes au moins d’environnement social, mais il ne faudrait pas croire que cette action soit un gage d’acceptation d’un désengagement de l’Etat.
Par ailleurs, nombre d’élèves se sentent en échec et en frustration. L’école ne fait pas assez de place aux parents. Un travail collectif est à mener avec eux, l’école et les associations pour faire évoluer les représentations. Quinze collèges ont été repérés qui cumulent difficultés scolaires et sociales. Le conseil général se propose, en relation avec l’inspecteur d’académie, d’y concentrer l’expertise de divers acteurs et d’y créer des espaces parents.
Dans la salle, les participants abordent de nombreuses questions : réductions de postes, place et rôle des parents, importance de faire travailler ensemble tous les acteurs et de construire des complémentarités, le rôle des collectivités dans l’externalisation du traitement de la difficulté scolaire, …
Jean-Pierre Jouary, professeur au lycée Claude Monet, apporte au débat la vision du philosophe. Quel sens a le mot éduquer ? A quelle finalité profonde répond-il ? Le collège est un moment décisif. Alors que dans le primaire les enseignants réussissent à développer les apprentissages dans des directions très diversifiées (motricité, abstraction, activités artistiques, …) le collège est le temps de l’adolescence et du regard des autres. « Compenser la désespérance familiale , c’est complexe. Certains élèves font grève de l’avenir et l’école ne sait pas comment les traiter ». On ne peut pas penser l’école si on oublie que l’être humain est en perpétuel devenir. Il faut inviter les élèves à apprendre autant qu’à se construire, les mettre dans des situations où ils sont amenés à se poser des questions, dialoguer avec eux, leur indiquer des démarches, et, parfois, leur fournir des réponses.
« Le Printemps de l’éducation nous a fait vivre 5 jours d’une grande richesse » conclut Alain Desmarets. Un appel pour la jeunesse a été lancé, déjà signé par maints acteurs de l’éducation en Ile-de-France, pour sensibiliser le ministre aux préoccupations des collectivités locales qui voient aujourd’hui une partie de leur jeunesse marginalisée, en raison de difficultés, voire d’impossibilités d’accès au diplôme, au logement, au travail.
Il s’agit maintenant, pour le CG 94, de faire vivre son projet éducatif départemental, qui se fonde sur 3 priorités : renforcer les liens entre familles, territoires et collèges ; bien vivre le temps de l’adolescence au collège ; promouvoir la citoyenneté des jeunes.
Selon Alain Desmarets, la richesse des débats a validé nombre d’orientations, en particulier le soutien à la parentalité. Le projet départemental peut donc être un point d’appui pour lutter contre les inégalités, nourrir une réflexion partenariale rassemblant tous les acteurs de l’éducation et aboutir à un travail commun.
Le site du Printemps