Identifier les réussites pour relancer la politique ZEP… C’est le pari de la journée annuelle de l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires), association nationale soucieuse de promouvoir l’Education Prioritaire, qui se sent parfois un peu seule sur le pont…
«Nous (chercheurs) sommes plutôt centrés sur l’identification des difficultés et des malentendus que sur la valorisation des réussites», pondère Stéphane Bonnery, premier invité de la journée. «Nous regardons la difficulté en train de se construire, non pas pour stigmatiser les enseignants ou les élèves, mais pour comprendre comment toutes les «bonnes volontés» ne permettent pas de trouver des solutions« . A partir de la série «Ca se passe en classe» produite par Le Point du Jour, diffusée sur France 5 dans l’émission «Les Maternelles», il illustre : parce qu’on «ne naît pas décrocheur», comment cela se construit ? Avant d’être pénibles, que vivent ces élèves qui n’apprennent pas, parfois dès la grande section ?…
«Il fait des efforts, mais il ne suit pas» explique l’enseignante qui rencontre le père de Sofiane, «c’est comme s’il ne retenait pas ce qu’on fait en classe» bien qu’elle «le surveille de près pour le ramener sur ce qu’il y a à faire». Tente-t-elle de renvoyer sur la famille la responsabilité de la situation ? Mais «c’est à l’école qu’on apprend, et pas ailleurs» explique doctement le commentaire de la voix off du documentaire. Pas facile pour l’enseignante de se rendre compte que la moitié de la classe ne connaît pas «hippopotame», parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de le fréquenter, ni au zoo, ni au cinéma ou à travers les livres de jeunesse… « L’accumulation de ces «ratés» minuscules construit progressivement la difficulté, l’écart entre l’élève rêvé des programmes et les difficultés réelles d’apprentissage «dont l’origine n’est pas intrinsèque à l’élève». En étant «indiférente aux différences», l’Ecole fait comme si les élèves savaient tout ce qui est « pré-requis » (avoir les connaissances culturelles, connecter la consigne et la tâche, pouvoir prendre le langage comme objet d’étude, ne pas confondre ce qu’il y a à faire et ce qu’il y à apprendre, savoir qu’on n’apprend pas en faisant plaisir à la maîtresse…). « Demander d’entourer le son [i] n’est qu’un moyen, et rien ne nous prouve que tous les élèves comprennent l’objectif pédagogique caché derrière… ». Or, poursuit S. Bonnery, nos recherches montrent que cette connaissance est fortement reliée avec la catégorie sociale d’apparenance. Rappelons-nous que plus d’un enfant sur deux a un parent dont le niveau de qualification ne dépasse pas le BEP, ce qui aide pas forcément la famille à comprendre ce que demande l’Ecole. »
Mais en même temps, l’école peut parfois «trop faire attention aux différences» : lorsque la réponse pédagogique aux difficultés est une « adaptation », on peut se retrouver avec une augmentation des interactions individuelles, des consignes centrées sur les activités à faire, des morcellements de la tâche, « en faisant à la place de l’élève les sauts cognitifs les plus importants » qui ne vont pas aider les élèves à engager l’activité intellectuelle indispensable. Avec le passage au collège, où ce type d’aide n’est plus pratiqué et permet moins facilement la paix sociale, on va voir enfler rapidement les situations d’échec ou de perturbation.
Alors, comment construire les réussites ? «Les réussites quotidiennes proviennent de l’identification des ratés et d’un travail exigeant et long sur les pratiques». Encore faut-il avoir les regards extérieurs qui permettent de « se voir faire », de s’assurer que les dispositifs d’apprentissage mis en oeuvre dans les classes sont bien centrés sur ceux qui sont le moins familiers avec les implicites de l’école, pour réduire les malentendus dans les apprentissages… »
Marc Douaire réagit : « donner du sens aux apprentissages est fondamental, comme en témoigne le succès des IDD, malgré les corporatismes. La formule « un maître, une classe » me semble trop solitaire, et les cycles d’apprentissage devraient permettre depuis 1989 de mieux aborder l’hétérogénéité. Mais ils n’ont jamais été accompagnés. Faute de travail collectif et de recherche-action, faute de regard extérieur outillé, les enseignants restent isolés pour penser leur métier ».
« Sans doute, mais la question n’est pas que les élèves soient « actifs », mais actifs pour quoi faire, répond S. Bonnery. Je vois beaucoup d’enseignants convaincus qu’il faille mettre leurs élèves en activité, mais le libéralisme cognitif ne mène pas loin. L’essentiel est ce que les élèves apprennent. Ils ne suffit pas que nous soyons ici d’accord sur les principes : les meilleures intentions ne garantissent rien de ce que les élèves apprennent. Tout ne ce vaut pas dans la mise en activité. Il nous faut aider le métier à penser là-dessus, pour ne pas se contenter des bréviaires didactiques.
« Quel rôle peuvent y jouer les ZEP ? » demande la salle. L’élève de ZEP, c’est parfois celui qui arrive avec le moins de pré-requis, répond l’orateur. En ZEP, la tête de classe est parfois si peu présente que les maîtres sont moins tentés de se laisser abuser par les réponses des meilleurs élèves. les contraintes intelligentes aident les élèves à réfléchir : commencer un travail de groupe par une tâche individuelle silencieuse de dix minutes peut changer la nature de l’activité qui va se mettre en route dans le groupe. Obliger les élèves à comprendre que leur façon « spontanée » d’entrer dans l’activité n’est pas forcément la bonne, c’est leur rendre service à court et long terme. »
« J’ai le sentiment que ces dernières années, nous avons beaucoup avancé là-dessus, estime une coordinatrice de CAREP (structures académiques de l’éducation prioritaire), parce que nous centrons beaucoup plus nos actions sur le cognitif, les apprentissages, les malentendus scolaires. Les savoirs de la recherche se diffusent lorsque les équipes sont accompagnées… »
Et les projets ?
Mais ne valorisez-vous pas excessivement la classe par rapport à d’autres dispositifs, comme l’aide ou la réussite éducative ? interpelle la salle. « En quoi un partenariat sur le temps scolaire permet de changer la donne ? réagit Bonnery... A quelle condition ces organisations permettent de mieux maîtriser la culture savante, ou sont de l’occupation ? J’y vois les mêmes risques et les mêmes avantages que ce que j’ai dit sur la classe… »
Table-ronde : « Des réussites singulières ? »
Eric Bellot est principal Henri Barbusse Vaux en Velin.
Dans un établissement dont 80% des élèves viennent de milieu défavorisé, plusieurs classes à option on été mise en place (musique, sport, partenariats avec l’Ecole Normale Supérieure). « Nous avons pu organiser une classe de sixième à cheval entre l’école et le collège, avec une organisation spécifique. Chaque classe de sixième possède sa salle, l’évaluation par compétence est mise en place. Mais nous avons une vraie difficulté à mettre en place le socle commun ». Dans l’établissement, les heures en barrettes pour le soutien scolaire concernent tous les élèves, afin de ne pas stigmatiser. « Mais il ne faut pas se limiter à travailler sur les dispositifs, sans s’occuper de l’ordinaire du temps scolaire ». Les référents supplémentaires ont du « faire leur place » pour inventer concrètement ce qu’on pouvait gagner à l’existence de ces enseignants « pas comme les autres ». En travaillant à la fois dans les écoles et au collège, ils découvrent de nouvelles réalités pédagogiques qui leur permettent de tisser des liens… « Même les affichages dans les classes peuvent en être modifiés… »
Les efforts portent leurs fruits : le taux de réussite au Brevet a doublé en dix ans. Mais il veut aussi poser un bémol en précisant qu’on n’arrive que trop peu à augmenter le pourcentage d’élèves qui passent en seconde générale ou à y faire baisser le taux de redoublement en seconde. Il rend hommage au travail collectif : « Je veux souligner que l’équipe d’enseignants partage des valeurs, est très investie. Les jeunes qui arrivent trouvent un espace collectif qui fait que leur début de carrière n’est pas plus difficile qu’ailleurs, parce que l’équipe est là pour donner un coup de main quand il faut. »
Pour Gérard Guillot, du collège Utrillo (18e), le terme « missionnaire » n’est pas excessif pour désigner ce qu’ont à faire les enseignants, avec l’appui des cinq référents. « Ne restez pas isolé » est le premier message qu’il a fait passer dans l’établissement. La situation sociale très difficile a de fortes répercutions sur le travail des élèves. Le collège a priviligié la mise en place de projets, d’abord pour gagner une certaine « paix scolaire ». On a donc organisé plusieurs dispositifs destinés à favoriser, pour chaque niveau de classe, des parcours individualisés : en sixième, des « groupes de compétences » ont été créés en mathématiques, après évaluation, avec l’aide des assistants pédagogiques. « Nous avons clairement expliqué que la réussite aux devoirs permettrait de aux élèves de passer dans le groupe supérieur, valorisant ainsi le goût de l’effort ». En cinquième, les élèves perturbateurs ont été sortis de la classe avec une prise en charge spécifique, y compris ouverte sur des activités culturelles, qui a permis d’arriver à de réelles remotivations. En quatrième, les élèves ont aussi été invités à s’inscrire volontairement à des blocs de dix heures de soutien disciplinaire. En troisième, c’est la présentation orale d’un rapport de stage devant un jury qui a permis de mettre en œuvre des compétences transversales/
Mais il faut aussi savoir arrêter un dispositif lorsqu’il a des effets contre-productifs : « certains de nos élèves ont demandé à réintégrer les classes ordinaires et nous avons arrêté un dispositif de lutte contre le décrochage que nous avions mis en oeuvre. Et la classe de troisième d’insertion continue à poser de gros problèmes de comportement ». La salle acquiesce devant la posture modeste du chef d’établissement, qui ose dire ce qui ne fonctionne pas comme on l’avait prévu initialement…
Didier Broque, élu à la Courneuve et directeur d’école, s’intéresse aux parcours des élèves de sa commune, grâce à un Observatoire articulé sur les dispositifs de réussite éducative, sous la responsabiltié d’Oliver Mauffray. « Nous avons beaucoup de programmes sans que les évaluations nous permettent les coordinations nécessaires, au-delà des « publics » avec qui nous travaillons ». Comment ces jeunes peuvent-ils être amenés à se prendre en charge pour devenir citoyens ? Comment ne jamais oublier la famille dans les projets que nous montons avec eux ? La ville peut être à l’origine de projets, ou accompagner ceux des autres avec ses moyens financiers. Un partenariat avec la ville d’Echirolles (38) a permis de monter un « projet montagne » en construisant le budget, en favorisant les échanges, en structurant des groupes. Les éducateurs de la ville travaillent avec les adolescents sur leur parcours scolaire et leur orientation, informent des différentes structures disponibles (micro-lycée, stages…)
« Dans nos cités, la vie extérieure et ses hiérarchies sont très importantes. Il faut prendre en compte les interactions entre la cité et le collège, pour ne pas transformer le lieu d’éducation en « irréductibles gaulois ». C’est la connaissance de nos publics qui est déterminante, et trop souvent défaillante dans de nombreuses zones d’éducation prioritaires » concluent les deux franciliens.
« C’est la cohérence des projets de territoire, mais aussi la persistance des équipes d’enseignants et des pilotes qui est essentielle », rassemble un chef d’établissement depuis la salle. On opine… Après tout, différents rapports de l’inspection générale sur l’Education Prioritaire ont déjà dit ça plusieurs fois… Mais au-delà des inquiétudes et des risques de découragements, les journées de l’OZP ont le mérite de permettre de faire réseau, et de se sentir moins seul devant les difficultés. Et après tout, les lieux de ce type sont suffisamment rares pour ne pas être essentiels.