Par François Jarraud
- Enseignement et évaluation par compétences. Une pratique pédagogique différente au lycée R. Doisneau. 91 Corbeil Essonne.
- L’aide aux devoirs à distance- Stéphanie Vinel
Dans ce numéro 114 du Café mensuel vous trouverez dans de nombreuses rubriques disciplinaires d’autres projets présentés à Dax et récompensé s par un prix ou non. C’est le cas par exemple en physique-chimie, en SES ou encore en EPS. Les deux projets présentés ici engagent leur établissement. Il s’agit de l’évaluation par compétences au lycée Doisneau (91) et de l’aide aux devoir mise en place au collège Rouault de Paris.
Enseignement et évaluation par compétences. Une pratique pédagogique différente au lycée R. Doisneau. 91 Corbeil Essonne.
L’enseignement et l’évaluation par compétences (EEC) est un projet qui a débuté en septembre 2006. Aujourd’hui, dix enseignants de l’équipe de sciences physiques et 12 classes de seconde sont engagés dans cette démarche. Le lycée R. Doisneau de Corbeil-Essonne est classé ZEP et accueille un public très hétérogène.
Notre changement de pratique est né d’un constat et d’un sentiment partagé d’échec.
Trop peu d’élèves s’impliquaient réellement en cours et l’évaluation ne servait pas vraiment à aider l’élève à prendre conscience de ses difficultés et à y remédier. Nous avions également la sensation que notre enseignement, basé sur la transmission et l’accumulation de connaissances, ne profitait pleinement qu’aux 35% élèves maîtrisant déjà des compétences comme le raisonnement, l’esprit critique, la rédaction… Pour les autres, lorsqu’ils ne décrochaient pas, l’enseignement des sciences physiques se résumait à essayer d’engranger des points pour ne pas avoir une moyenne détestable. Sans compter ceux, qui, malgré des efforts et du travail, ne parvenant pas à progresser et ne comprenant pas pourquoi se dévalorisaient et/ou décrochaient.
Pour tenter de remédier à cette situation, nous avons changé nos pratiques afin de mettre en avant la mobilisation et le développement de compétences.
Les compétences que nous avons retenues sont très proches de celles que l’on retrouve dans la compétence 3 du socle commun version 2009 : raisonner, réaliser (TP), mobiliser et réinvestir des connaissances, communiquer.
Au cours des quatre années écoulées, nous avons procédé à trois changements majeurs : la structure classe, la méthode d’enseignement et les méthodes d’évaluations.
La structure classe
En partant d’un ensemble de trois classes (soit 90 élèves), nous avons constitué 5 groupes de 18 élèves pris en charge par 5 enseignants sur la même plage horaire. Cette modification de la structure classe n’est pas indispensable pour pratiquer l’enseignement et l’évaluation par compétences mais elle le facilite. Elle permet de mieux prendre en compte la diversité des élèves et d’adapter notre enseignement en conséquence. Le travail en équipe est enrichissant mais en contre partie, l’organisation est lourde et les réunions de concertation très fréquentes.
L’alignement des emplois du temps permet aux élèves de changer de groupes et de différencier les trimestres : 1° trimestre : diagnostic, 2° trimestre : remédiation. Le troisième trimestre sert à la consolidation et à l’orientation.
La disparition du groupe classe est globalement bien vécue par les élèves.
La pratique pédagogique
Dans une activité ou un protocole de TP, l’élève doit répondre à une série de questions qu’il ne se pose pas pour un problème qui n’est pas le sien et dont il ne comprend pas toujours la nature. Ce sont des supports pédagogiques qui ne nous paraissent pas adaptés à un enseignement par compétences. Pour que l’élève soit acteur de son apprentissage et mobilise des compétences pour acquérir des connaissances, nous utilisons la démarche d’investigation introduite en France par « La main à la pâte » et qui se développe maintenant en collège.
Présenter une situation nouvelle complexe à laquelle il faut apporter une réponse, permet à l’élève de se prendre au jeu et l’amène à construire son propre raisonnement et son argumentation. De part sa construction et son évaluation, la démarche d’investigation met en évidence les compétences mobilisées et les élèves prennent conscience que la discipline leur permet d’apprendre à réfléchir. Nous n’avons donc plus à répondre à cette question récurrente « A quoi cela sert que je fasse de la physique puisque je n’en ferai plus l’année prochaine ».
Enseigner par compétences en se servant de la démarche d’investigation représente une réelle amélioration par rapport à ce que nous faisions précédemment. Pour l’enseignant, il y a une redécouverte du plaisir d’enseigner et pour une part non négligeable d’élèves celui de comprendre et d’apprendre.
Globalement, nous constatons que les connaissances sont plus solidement acquises et surtout réinvesties à bon escient. Les élèves étant dans des situations ou ils doivent être actifs, ils n’invoquent plus l’incompréhension pour justifier leur manque de travail. Ils sont plus motivés, impliqués, le travail en groupe de 3 ou 4 permet de mieux gérer l’hétérogénéité et il y a moins d’élèves en difficulté qui décrochent en cours d’année.
Dans un premier temps, il est déroutant pour l’élève d’être obligé de construire son propre questionnement, d’avoir le droit de se tromper, de ne plus avoir systématiquement une réponse de l’enseignant. C’est aussi une difficulté pour nous. Il nous faut réapprendre en partie notre métier et ne plus se comporter en transmetteur de connaissances mais en passeur qui crée des situations permettant aux élèves de développer leurs compétences.
Pour laisser le temps aux élèves de s’approprier le problème soulevé et d’élaborer leur démarche de résolution, il faut savoir se cantonner aux connaissances exigibles du programme afin de construire des démarches d’investigation faisables en 2h. Il faut rester modeste dans le nombre de connaissances à acquérir mais ambitieux dans la façon d’y parvenir.
L’évaluation
Enseignant par compétences, nous évaluons …des compétences. Elles sont très proches de celles définies au collège. Nous évaluons et collectons quatre grandes compétences : Réaliser, raisonner, mobiliser et réinvestir des connaissances. Communiquer. Bien que cela ne soit absolument pas une obligation nous pratiquons une évaluation sans note. Une partie de l’évaluation se fait à partir des démarches d’investigations, le reste à partir des évaluations sommatives, diagnostiques, formatives et des mini démarches d’investigation sommative .
La diversité des formes d’évaluations est importante. Elle permet aux élèves de ne pas voir l’évaluation comme un enjeu lié au bulletin et à l’orientation mais comme une aide pour progresser et remédier à leurs difficultés. Il nous semble nécessaire de conserver des temps spécifiques d’évaluation individuelle. Pour ne pas faire de contrôles qui évaluent principalement des connaissances, nous développons des démarches d’investigation sommative courtes mais fréquentes.
Certains élèves ne travaillent que parce qu’il y a une note. Pour ceux-là, un effort particulier d’explication des enjeux est nécessaire. Ils finissent par les comprendre après la première évaluation DI sommative et le bilan de compétence du 1er trimestre remis à leurs parents.
L’un des pièges de l’évaluation par compétences est de vouloir tout évaluer. C’est illusoire et inutile : quelle que soit la méthode utilisée, l’évaluation garde une part de subjectivité et d’imprécision. Une évaluation trop « pointue » ou trop fine perd de son sens car l’élève et nous mêmes nous retrouvons noyés dans une masse d’informations inexploitable. A terme le risque est grand d’abandonner ce mode d’évaluation. C’est pourquoi il nous parait très important de différencier les deux usages de l’évaluation.
Sur la durée, l’élève, les parents, l’équipe pédagogique, doivent pouvoir suivre l’évolution de la maîtrise des compétences et avoir un bilan en fin de trimestre. C’est l’évaluation qui sert au conseil de classe, à l’orientation et au dialogue avec la famille.
Ce sont les quatre grandes compétences que nous collectons tout au long du trimestre et qui permettent de constituer un histogramme récapitulatif qui est joint au bulletin.
Les micro-compétences et connaissances disciplinaires sont d’un usage ponctuel. Nous les utilisons pour construire les situations de recherche, les évaluations, définir les compétences mobilisées dans la DI, les objectifs… Elles sont utiles pour cerner finement ce que l’élève doit travailler afin de maîtriser les 4 grandes compétences et sont une aide pour l’autoévaluation et la remédiation que nous essayons de faire au moment du rendu des travaux évalués.
De l’avis de l’ensemble des enseignants participant à ce projet, l’enseignement par compétences basé sur la démarche d’investigation est une réussite. Ce n’est plus pour nous une expérimentation mais une pratique quotidienne et nous ne reviendrons plus en arrière.
Il reste bien évidemment des élèves en difficultés ou qui ne s’impliquent pas. Mais en plus petit nombre que ce que nous observions auparavant. Toutefois, les changements pratiqués ne nous ont pas permis d’observer une augmentation du nombre d’élèves poursuivant leurs études dans la filière scientifique. L’évaluation des compétences donne des résultats satisfaisants mais la remédiation reste une difficulté. Il nous manque du temps et des outils adaptés à l’enseignement par compétences. Remédier à une compétence comme le raisonnement ou l’esprit critique ne peut pas se faire avec des exercices classiques qu’ils soient interactifs ou non. L’utilisation des heures d’accompagnement personnalisé est l’une des pistes que nous comptons explorer.
Au fur et à mesure que nous avançons, nous construisons notre réflexion et nos outils pédagogiques et sans la confiance et la totale liberté que nous accordent notre administration et les inspecteurs de sciences physiques de l’académie de Versailles nous n’aurions pas pu aller aussi loin.
Des démarches d’investigation pour le lycée sont consultables sur le site disciplinaire de l’académie de Versailles et sur le site des enseignants du lycée R Doisneau : www.phylyco.fr
Pascal Cherbuin
Et le Groupe EEC des enseignants du lycée R. Doisneau de Corbeil Essonne (91) :
Abdel Azza, Aïna Rakotoslama, Christine Gautier, Corentin Garrault, Florent Brun, Lucile Boulay, Martine Jacques, Pascal Cherbuin, Prune Bluwol, Samuel Dodane.
Le site de l’expérimentation
http://www.phylyco.fr/
L’équipe des enseignants de Doisneau a obtenu le Prix de l’évaluation innovante au 3ème Forum des enseignants innovants à Dax le 5 juin 2010.
L’aide aux devoirs à distance- Stéphanie Vinel
Professeur référent de mathématiques en collège Ambition réussite à Paris, Stéphanie Vinel a présenté au Forum des enseignants innovants un dispositif qui lui a valu le Prix de l’espoir pédagogique. Elle est en effet chargée de la mise en œuvre et du suivi du projet d’aide aux devoirs à distance. Un dispositif qui a de grandes ambitions : limiter l’échec scolaire et lutter efficacement contre le décrochage, une plaie dans son collège RAR, le collège Rouault (19ème), situé à quelque smètres du périphérique dans les quartiers populaires de Paris.
Stéphanie tient ce qu’on sache qu’elle représente une équipe : sont impliquéés deux autres professeures référentes du RAR, Mmes Durier et Jorant; trois collègues exceptionnellement impliqués dans la vie de l’établissement, Mme Boclet, M. Pelé et M. Deschamps et la direction de l’établissement Mme Soin et M. Benguigui. Mais ce projet serait impossible sans des aides externes : M. Müller de la MAIE, la Maep avec MM. Jeunon et Boonen, la Dasco, les inspecteurs pédagogiques, L’inspecteur d’Académie M. Fatras, Le recteur de l’académie de Paris, Monsieur Saïd Iamarène de l’université de Paris XII pour l’initiation et le suivi de l’expérimentation et M. Cédric Dérycke, dirigeant de la société Profexpress qui a mis grâcieusement la plate-forme web à la disposition du collège.
Votre projet consiste à faire de l’aide aux devoirs à distance en utilisant une plate-forme web. Comment ça marche ?
Quatre soirs par semaine, de 18h30 à 19h30, tous les élèves du collège (y compris les anciens élèves) ont la possibilité d’entrer en contact avec un professeur de l’établissement via une plate-forme web dédiée afin d’être aidés ponctuellement dans la réalisation de leurs devoirs . La plate-forme comprend une zone de « tchat » et un tableau blanc interactif. L’enseignant dispose d’une tablette graphique qui facilite l’écriture sur le tableau interactif. Les utilisateurs peuvent également utiliser une webcam et un casque micro. Les séances peuvent être enregistrées en vue d’une étude didactique ultérieure. En-dehors des permanences prévues, l’élève peut déposer une requête par mél pour une réponse en différé.
Tous les élèves y ont ils accès malgré la fracture numérique ?
L’accès à l’aide aux devoirs est proposé à tous les élèves du collège de la sixième à la troisième, 95 % d’entre eux sont raccordés à l’internet, une charte d’utilisation a été signée par les parents et les enfants. Les collégiens ont été formés à l’utilisation du logiciel et peuvent être rapidement dépannés en cas de problème technique. Une salle informatisée est en libre accès dans l’établissement pour les quelques élèves non équipés.
Quelles disciplines sont engagées ?
Six professeurs volontaires de français, de mathématiques, d’histoire et géographie, d’anglais et de sciences et vie de la terre répondent aux questions des élèves et les conseillent.
Que demandent les élèves exactement ?
En mathématiques, les élèves demandent majoritairement de l’aide dans la réalisation des devoirs en temps libre. Certains élèves se connectent toutes les semaines, travail à réaliser ou pas, et ils demandent des exercices supplémentaires lorsqu’ils ont déjà réalisé tous les devoirs exigés par ailleurs.
Les élèves sont-ils assidus ?
Voici quelques statistiques relevées en semaine calendaire 18 pour 120 élèves utilisateurs (sur 450 élèves du collège) :
Le relais continu des professeurs impliqués dans le projet est déterminant quant à l’utilisation du dispositif par les élèves.
On voit l’utilisation décroître de la 6ème à la 3ème. C’est propre a cette semaine ou c’est une constante ?
Cette décroissance est une tendance qui a pu être constatée au cours de cette première année de généralisation à tout l’établissement. De mon point de vue, cela vient d’un cadrage moins important des parents dans la réalisation du travail personnel. Les élèves de 6ème et de 5ème ont encore des horaires structurés : aux heures de permanence ils se trouvent à domicile et ils se mettent d’autant plus volontiers au travail que les parents exercent encore un contrôle. Les élèves de 3ème en revanche ont des horaires de travail moins structurés et ils ont davantage le sentiment de pouvoir s’en sortir seuls même si cela n’est pas confirmé par les résultats ensuite. Quant aux niveaux 4èmes et 2ndes, ils sont sous-représentés dans l’utilisation du dispositif par manque cette année de relais importants et fondamentaux dans l’équipe enseignante (professeurs principaux non impliqués dans le dispositif voire réfractaires à cette innovation ; crainte notamment que les heures à distance viennent remplacer à terme les heures en présentiel).
Votre projet se fixe comme objectif de lutter contre le découragement face au travail à la maison. Est ce efficace ?
Etre dans une relation seul à seul avec le professeur est un facteur positif, il n’y a pas le regard du groupe, au fur et à mesure une relation privilégiée s’installe, relation dont les effets positifs se ressentent ensuite en classe et qui change le rapport entre professeur et élève. Le dispositif permet de surmonter les blocages éventuels et d’encourager les élèves à poursuivre leurs efforts. Les professeurs comme les élèves travaillent chez eux.
Avez vous quelques données sur l’efficacité ?
A l’heure actuelle, ces données restent subjectives. Chaque enseignant impliqué dans le dispositif peut témoigner de changements de comportements élèves remarquables. Voici déjà ma contribution personnelle : en 6e2, classe qui utilise le plus le dispositif et qui par ailleurs est la classe de 6ème la plus en difficulté, les élèves les plus décrocheurs (Abdel et Hatouma) ont adhéré de manière inattendue et exceptionnelle au dispositif. Ils se connectent toutes les semaines, en parlent en classe et à leurs autres professeurs en mettant en avant cette méthode d’aide par rapport aux cours traditionnels. Côté enseignant, je les ai littéralement découverts à travers la plate-forme : quant en classe je n’obtenais rien d’eux excepté du chahut et de la perturbation (car l’un comme l’autre joue constamment un rôle à destination du groupe classe), à distance ils m’ont tout simplement stupéfaite par leur capacité à travailler sérieusement.
Engager tout un etablissement dans un projet est rarissime. Comment fait on pour monter un projet pareil ?
La généralisation du projet a été souhaitée par la direction de l’établissement dans le contexte de la grippe H1-N1 et d’une possible fermeture de l’établissement. Pour la formation des 18 classes de l’établissement, j’ai utilisé mon temps de professeur référent et j’ai sollicité l’aide des assistants pédagogiques et de quelques professeurs principaux volontaires.
Quelles aides avez vous trouvé ?
Le dispositif a vu le jour grâce au partenariat établi entre l’établissement, la Ville de Paris qui finance l’achat des ordinateurs portables (prêtés aux élèves) et du matériel informatique, le Rectorat de Paris (MAEP et MAIE) qui finance les heures supplémentaires des professeurs, la société ProfExpress qui s’occupe de la plateforme internet, et l’université Paris XII.
Comment le projet est-il accueilli par familles et élèves ?
Très bien : les familles sont rassurées par ce dispositif ; elles se sentent moins démunies face aux difficultés de leurs enfants. Les élèves quant à eux ont une appétence certaine pour l’outil informatique (enquête DIESE) et apprécient de pouvoir prolonger les échanges avec leurs professeurs hors temps scolaire. D’après le questionnaire bilan qui leur a été distribué en fin d’année, ils souhaiteraient que davantage de disciplines soient représentées et que les horaires de permanence soient étendus. Cela devrait bientôt être possible car un projet de travail en réseau avec un second établissement RAR parisien est en cours.
Stéphanie Vinel
Entretien François Jarraud
L’aide aux devoirs
http://www.ac-paris.fr/serail/jcms/s2_120616/teleassistance-aux-devoirs?cid=s2_120612
Sur le site du Café
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