« le dictionnaire des pareils » entretien avec David Hébert – Du pareil au même, sur les chemins de l’abstraction…
La maternelle s’est retrouvée récompensée à Dax, et c’est un magnifique projet qu’il nous est donné de connaître. David Hébert, maître E travaille depuis plus de 10 ans autour de la grande difficulté scolaire et il nous décrit ici la dynamique dans laquelle il travaille.
Un projet enthousiasmant, motivant, que l’on a d’ores et déjà envie de suivre de très près…
Afin de compléter cet entretien, nous vous invitons à vous reporter à la présentation du « dictionnaire des pareils ».
LG : D’abord j’aimerais connaître un peu mieux la genèse du projet et que vous me parliez un peu de votre démarche :
DH : Pour ce qu’il en est de la genèse de ce projet, il faut remonter à plus de dix ans, quand faisant fonction de maître E sur des écoles maternelle de la ZEP de Mulhouse j’ai été confronté à des élèves déjà en grande difficulté scolaire, et plus particulièrement une élève mutique. C’est l’origine du « sac à choses », permettant d’entrer alors en communication avec cette élève et de « montrer » de la pensée pour pouvoir la partager. Ce sera, quelques années plus tard le sujet de mon travail en spécialisation CAPSAIS, et le début de ma recherche-action sur l’apprentissage de l’abstraction, et le « Apprendre à Apprendre ».
Les années suivantes en école élémentaire dans un RASED de grande qualité m’ont permis d’affiner l’analyse des troubles des apprentissages pour lesquels les élèves étaient signalés, du CP au CM2. Si l’époque des PPAP pour les CE2 nous avait montré que nous étions tout a fait capable de faire évoluer les résultats des élèves sur des items précis et précédemment échoués, cela nous a aussi montré combien ce travail était peu pertinent puisque les résultats n’étaient pas meilleurs dans une situation un tant soi peu différente. Il fallait donc trouver plus profondément à aider ces élèves en échec. Les problématiques d’abstraction et d’images mentales me sont alors apparues de plus en plus précisément dans la genèse de l’échec de ces élèves. Un travail et une recherche plus appuyée sur la question de la numération m’a amené à me rendre compte que ces élèves qui ne comprenaient rien aux nombres tout comme ceux qui avaient de grandes difficultés à entrer dans la lecture, bien que ces champs sembles éloignés, avaient les mêmes difficultés à catégoriser et à concevoir qu’un seul objet puisse avoir plusieurs caractéristiques. Une seule caractéristique de l’objet leur suffit à en avoir la sensation de maîtrise et à définir l’objet. J’ai donc tenté d’articuler l’ensemble de ces observations, résultats pour trouver des outils qui permettent de toucher à ce qui me semblait dans beaucoup de situations d’échec comme le nœud du problème. Cette démarche ayant été validée par un certain nombre de résultats d’actions et d’interventions dans les classes élémentaires, et plus particulièrement CP CE1, j’ai voulu revenir au départ de cette recherche (en maternelle) dans un souci de prévention la plus efficace, et pour pouvoir confronter ces recherches et nouvelles hypothèses. C’est pourquoi à la rentrée 2009 j’ai postulé sur un poste RASED E sur les écoles maternelles de la ZEP de COLMAR.
LG : La maternelle est donc un moment-clé ? :
DH : C’est ce travail et cette démarche qui m’ont amenés à poser certaines hypothèses, dont celle de l’importance du travail et des bases à étayer chez les enfants de moyenne section de maternelle pour ce qui est du domaine cognitif : une démarche en quelque sens à contrepieds de ceux qui pensent que la délinquance future pourrait déjà se détecter à cet âge, en disant au contraire que c’est à cet âge que les enfants sont peut-être encore le plus près à être aidés et soutenus dans la construction de leurs processus de base de la pensée (le travail avec les MS est beaucoup plus facile et efficace qu’avec les GS qui sont pour certains déjà très cristallisés sur des stratégies non performantes qu’ils ne veulent pas lâcher malgré cela).
LG : pourquoi parler de « recherche-action » ?
DH : parce qu’il me semble que c’est la démarche la plus pertinente pour avancer, réfléchir, penser, essayer, analyser, transformer, évoluer, optimiser, innover, pour remplir cette mission du maître E de remettre les élèves sur le chemin de la pensée et de l’Apprendre, de la réussite, pour trouver quels outils, et comment les mettre en œuvre, pour que ces élèves puissent très vite profiter pleinement de toutes les situations d’apprentissage qui leurs sont proposées dans leurs classes, mais aussi tout autour d’eux, dans le monde qui les entoure.
LG : On sait aujourd’hui l’importance d’apprendre à nommer, catégoriser en maternelle. Au-delà de simples collectes ou collections de mots, vous avancez que c’est par l’argumentation que l’enfant progresse en vocabulaire et syntaxe. Sans doute pour l’ensemble des enfants est-ce une façon d’accéder au « méta » et de construire des compétences sur le fonctionnement de la langue. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus?
DH : Le projet de petit dictionnaire des pareils s’étant construit durant cette année, j’avais choisi de travailler avec certains groupe d’élèves de GS en difficulté de langage à partir d’album, en utilisant les TICE, mais finalement de façon relativement classique (à un problème de langage on répond par un travail en langage) et cela malgré déjà certains résultats plus probants en élémentaire avec des élèves avec lesquels je remédiais pourtant à des difficultés en mathématiques. Or il se trouve en cette fin d’année, moment de bilan, que les résultats sont très différents selon que j’ai travaillé dans le cadre du petit dictionnaire des pareils ou non, et les élèves du groupe « ordinaire » de GS ont du être intégrés à des groupes de MS ayant travaillé dans le cadre du travail sur le PDDP tant les résultats ne me satisfaisaient pas ! Une élève de GS ayant travaillé dans le cadre de ce projet et signalée en difficulté cette année a même été remarquée lors de la visite des écoles élémentaires par sa future enseignante pour sa pertinence et l’intelligence dont elle a fait preuve durant ce moment de découverte du futur CP !!
Il ne s’agit pas seulement d’une façon d’accéder au méta, mais bien à la pensée, laquelle est articulée au langage, et cette langue, quelle soit première ou seconde, fait alors sens. Je me souviens de cette anecdote avec une élève d’origine turque à laquelle je demandais comment elle exprimait dans sa langue maternelle ce qu’elle venait de trouver, pour pouvoir le transmettre dans cette langue, et qui m’a répondu : « …mais maître, maintenant je Pense en français, et ça en turc, je ne sais même pas le penser, alors je ne sais pas comment le dire… »
LG : Vous liez dans votre démarche travail sur la langue et numération avec la compréhension du concept du nombre. Votre projet, plus qu’un simple « dictionnaire » est vraiment pluri-disciplinaire. Est-ce que les enfants perçoivent bien qu’ils travaillent ces deux champs pendant les activités et comment appréhendent-ils cela ?
DH : La perception que semblent avoir les enfants du travail n’est pas tant dans un champ ou dans l’autre mais plutôt dans le « réfléchir », et dans une tentative d’explicitation de ce réfléchir. On en revient à ce méta, mais métacognition : «réfléchir dans sa tête » comme ils savent déjà bien le dire, oui mais comment !? Les progrès découlent ensuite de ce travail dans le cadre de la classe puisque le travail du RASED, en tout cas c’est bien comme cela que je l’entends, est de permettre à l’élève de profiter au mieux des apprentissages au sein de sa classe. Arrivé en confiance et en pensée dans sa classe, dans sa famille, lui permet de mettre en œuvre cette pensée et cela peut donc toucher tous les champs disciplinaires. Ces deux champs (langage et numération) sont plus intimement liés qu’on ne le pense (je parle bien de la question du nombre, et non du calcul ou de technique opératoire) et lorsque qu’un élève arrive à concevoir et à élaborer un regroupement d’objet selon une caractéristique abstraite, il a fait le plus gros du chemin vers le nombre, puisque la question de l’unité (qu’est-ce que je compte) est présente dans l’unité de sa collection. C’est justement le problème le plus souvent constaté en mathématiques à l’école élémentaire dans le type d’erreur « la fille de 6 ans achète 3 bonbons –> elle a 9 bonbons ».
LG : Est-ce que c’est la spécificité du contexte de travail avec un maître E qui le permet, ou pensez-vous que cette dynamique est tout à fait transposable en classe « ordinaire »?
DH : La spécificité du contexte de travail de maître E en RASED est certes très importante ne serait-ce que par ce positionnement tiers entre l’enseignant et la famille, donc un autre lieu d’articulation et la spécificité de ce cadre que l’on cherche pourtant à faire disparaître sous prétexte d’économies. Mais certains des enseignants du secteur sur lequel j’interviens ne s’y sont pas trompés et ont mis en place dans leur classe des dynamiques et démarches similaires à celle du dictionnaire des pareils dans le cadre de leur travail de classe. Une classe a même prévu d’avoir un « objet de la semaine » dans le journal de classe pour pouvoir travailler sur la multiplicité des caractéristiques et l’articulation aux objets du quotidiens des enfants.
LG : Du point de vue de l’estime de soi, on voit bien toute la portée de votre travail pour des enfants au départ en difficulté. Avez-vous pu « évaluer » la portée de ce dispositif sur les ambiances de classes dans lesquels ces élèves évoluent? Comment les collègues se sont appropriés le projet ?
DH : Oui et le fait de pouvoir intervenir dans les classes respectives des élèves avec le tableau interactif portable de SmartBoard, et de rendre par là même ces élèves «experts » aux yeux des autres est irremplaçable. Encore hier, une élève en très grande difficulté, se projetait déjà au moment où elle serait vue dans le dictionnaire présenté à la classe avec son groupe d’objets « qui roulent » et sa démonstration argumentaire. Certaines classes sont déjà intervenues dans le dictionnaire pour la description d’un des objets de regroupements pareils. Pour l’instant les collègues travaillent sur l’objet qui est laissé en classe, et je me charge de passer filmer ou enregistrer les descriptions élaborées suite au travail. Une classe a projeter de faire une page de dictionnaire des pareils avec des mots « pareils » pour lesquels “on entend [in]”…
LG : Comment avez-vous envisager de reconduire le dispositif, lui apportez-vous des modifications ou évolutions?
DH : Le dispositif n’est en fait qu’a ses débuts puisque l’objectif est aussi qu’il devienne un outil collaboratif entre les différentes écoles maternelles et de liaison avec les classes de CP. Un projet de serveur dédié pour y installer les dictionnaires Didapage est en cours avec la municipalité qui vient de doter les écoles de nouveaux ordinateurs qui devraient donc être reliés au serveur des dictionnaires des pareils pour partager, découvrir et jouer avec les travaux des élèves. Ainsi les élèves suivis par le RASED ne sont plus du tout stigmatisés mais valorisés puisque porteur d’un projet fédérateur et collaboratif. J’ai l’espoir qu’en proposant aux enseignants un outil aussi simple et convivial que Didapage avec des modèles de dictionnaires vierges, ceux-ci tente l’expérience des TICE liées à ce projet.
Un certain nombre de jeux à partir du sac à choses, des étiquettes, des cartes des objets, sont en cours d’élaboration pour permettre aux enseignants de s’approprier la démarche et l’esprit du travail. J’en suis aussi arrivé à une réflexion sur le travail possible avec les familles, les parents, que cette démarche peut engager, et un des prochain axes de réflexion s’articulera certainement à cette question de « l’aide à la
parentalité ».
LG : Pour conclure, ce prix vous trouvez qu’il récompense quoi ?
DH : En ces temps où les RASED sont on ne peut plus menacés par des politiques aveugles pour de soi-disant économies de bouts de chandelles, ce prix reçu à Dax est un encouragement fort à défendre ces postes et ce travail. C’est aussi pour cela qu’il faut défendre notre système d’école maternelle : elle est une chance incroyable, chance qu’il ne faut absolument pas gâcher, au risque d’avoir à payer beaucoup plus cher à long terme que ce qui serait économisé en la désossant…
Enfin la première chose que j’ai gagné lors du forum, c’est la joie de voir combien cette démarche « parlait » à tout le monde, combien ce qui se jouait dans cette question du pareil était à la fois transdisciplinaire, transgénérationnel, transculturel, et combien cette approche devenait évidente, transposable, illustrant à mon goût très bien le sous-titre : Du pareil au même, sur les chemins de l’abstraction…
Le point de vue d’Alain Moritz (PEMF), collègue de David Hébert, en classe de MS-GS, à Colmar :
LG : Depuis plusieurs années, vous travaillez à construire avec vos élèves des « premiers dictionnaires », quels sont vos objectifs et qu’est-ce que vous apporte le travail de votre collègue David Hébert ?
AM : Je décline différents objectifs de savoirs et de savoirs-faire autour des versions numériques du « Tout premier dictionnaire ». Selon l’année du cycle organiser ces collections de mots autour du dictionnaire permet par exemple et sans exhaustivité de distinguer la lettre du dessin (PS), de retrouver des mots (par exemple des prénoms) dans le dictionnaire, de se servir du dictionnaire pour reproduire de l’écrit (MS), de se servir du dictionnaire pour produire de l’écrit ou de classer des mots qui commencent par la même lettre (GS)…
Les résultats dans le domaine de l’encodage ont été améliorés cette année en GS car le « Tout premier dictionnaire » est devenu un outil qui garantit un sens (les enfants utilisent spontanément le petit classeur) à une approche pédagogique qui comporte des aspects formels pour des élèves de GS….
L’apport de David c’est avant tout la découverte des logiciels Didapages. L’an prochain un projet d’installation d’un TNI me permettra de me rapprocher de sa démarche en travaillant davantage sur des compétences transversales (mettre l’élève en situation de réflexion sur ce qu’il va faire pour résoudre un problème à l’aide du dictionnaire , mais le TNI sera sollicité dans d’autres domaine aussi…