Par Jean-Louis Auduc
La récente publication par la Commission européenne d’un rapport sur « les différences entre les genres en matière de réussite scolaire » rappelle la nécessité de s’intéresser aux difficultés scolaires des garçons. Une problématique prise en compte de façon très inégale en Europe…
Le rapport Eurydice « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : Etude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe » publié par la Commission Européenne a l’immense intérêt de mettre une nouvelle fois l’accent sur le fait que mettre des filles et des garçons ensemble ne suffit pas à gérer l’égalité, mais qu’il faut gérer réellement la mixité pour obtenir la réussite de tous.
La Commission Européenne souligne bien en conclusion que comme je l’avais fait remarquer dans plusieurs articles récents concernant la France « Le point faible des mesures actuelles résident dans le fait qu’elles se concentrent essentiellement sur les filles. Ainsi, alors que l’intérêt des filles pour la technologie suscite beaucoup d’attention, on s’intéresse moins aux garçons et à leur éventuel accès aux professions liées aux soins. (…) Les initiatives d’orientation sensibles à la dimension de genre ont tendance à cibler plus souvent les filles que les garçons.(…) La démarche visant à cibler des profils de résultats liés au genre relève d’une priorité politique spécifique. Cela est particulièrement lié à la sous-performance scolaire des garçons à l’école. Cependant, peu de stratégies nationales sont directement concernées par ce problème. »
Seule, la Norvège, d’après le rapport, semble avoir réalisé un document concernant spécifiquement les enjeux de l’orientation pour les garçons en présentant notamment les carrières non typiques. Elle indique également que, comme je l’avais indiqué pour la France : « Malgré le rôle important des parents, les projets et initiatives d’origine gouvernementale visant à les informer sur les questions d’égalité des sexes sont rares… »
Dans ce rapport, on ne peut qu’être étonné de la faiblesse et de la pauvreté de la contribution française. Les réponses françaises évoquées dans le texte sont peu développées ou mensongères ( on répond qu’il n’y a pas en France d’établissements publiques non mixtes alors qu’il existe, par exemple, le lycée public de la Légion d’Honneur non mixte) ou totalement absentes comme le taux de redoublement pourtant beaucoup plus fort pour les garçons que pour les filles dans les établissements français.
Ce traitement de la question par les services du ministère de l’éducation nationale est très significatif du refus de certains dans ce ministère de ne pas traiter l’échec scolaire dans toutes ses dimensions, alors que la question du genre comme la question sociale sont particulièrement importantes dans ce domaine.
Le rapport Eurydice a également le mérite de bien « remettre les pendules à l’heure » concernant les profils en matière de réussite scolaire par genre. Il souligne que les résultats sont dans la plupart des pays similaires pour les garçons et les filles en mathématiques et en sciences, mais qu’il y a une nette sous-performance des garçons concernant la réussite en lecture. « La différence la plus marquée entre les sexes au niveau des résultats scolaires réside dans l’avantage en lecture observée chez les filles. En moyenne, les filles lisent plus et prennent plus de plaisir à la lecture que les garçons. » Quand on sait l’importance du savoir lire pour l’ensemble de la scolarité, on comprend mieux l’importance du décrochage scolaire chez les garçons et leur présence dans toutes les filières accueillant des élèves jugés en difficulté. Un certain nombre de pays européens ne connaissent pas de telles différences filles-garçons en lecture : Communauté française de Belgique, Espagne, Luxembourg, Italie et Hongrie…
Le rapport essaie de sortir du débat piégé : classe ou école non mixte ; classe mixte en mettant bien en avant les expériences où dans une classe mixte, il y a des moments séparés non mixtes pour mieux favoriser les apprentissages et la réussite de tous. « Certaines écoles primaires (en Ecosse et dans les pays nordiques) séparent les filles des garçons pendant de courtes périodes durant la journée, sans organiser de classes non mixtes fixes. L’idée est d’offrir plus d’espace à la fois aux garçons et aux filles ». Le rapport Eurydice de l’Union européenne en présentant ces dispositifs indique qu’ils sont liés à des réflexions sur la façon de lutter contre l’échec scolaire et les problèmes comportementaux. « Elles permettent aux enseignants d’employer des stratégies éventuellement plus adaptées pour un genre ou l’autre. Les groupes non mixtes dans le cadre de classes mixtes permettent par exemple aux filles de se sentir plus libres de répondre aux questions et de participer davantage aux cours, et permettent aux garçons de travailler plus dur sans se soucier de leur image en tant qu’apprenant. »
Il rappelle également que « seuls quelques pays ont élaboré des programmes spéciaux en vue d’améliorer les compétences des garçons en lecture. »
Pour le rapport Eurydice, il n’y a que dans « la communauté flamande de Belgique, en Irlande et au Royaume-Uni, que sont identifiés des objectifs de réduire l’échec scolaire chez les garçons comme une priorité politique. »
A l’image de la situation française, le rapport Eurydice indique également que « parmi les jeunes en rupture scolaire, on observe une proportion de garçons plus forte que celle des filles tandis que les filles sont plus nombreuses à obtenir un diplôme d’enseignement secondaire supérieur. »
Au total, ce rapport fourmille de pistes de travail intéressantes qui pourrait permettre qu’en France soit enfin mené un vrai débat sur l’échec scolaire masculin et ses conséquences.
On peut cependant regretter que ce rapport n’ait pas suffisamment ciblé les causes de deux grands moments décisifs de rupture entre filles et garçons : l’entrée dans l’apprentissage de la lecture, et l’orientation en fin de collège :
• L’entrée dans l’apprentissage de la lecture : Parmi de multiples explications à prendre en compte, il y a notamment à ce moment-là :le rapport à la tâche scolaire :
Compte tenu des stéréotypes fonctionnant encore dans les familles et dans la société, les filles qui effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des jeunes garçons, savent mieux maîtriser les différentes composantes des tâches scolaires, composantes du métier d’élève :
– L’énoncé, l’ordre donné
– L’accomplissement
– La Validation
– La Correction
– La Finition.
On sait combien la non-maîtrise de ses composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont refuser les corrections, et ne pas tenir compte tout au long de leur scolarité, ce que signifie la finition en « bâclant » souvent leur travail scolaire.
• L’orientation en fin de collège : Les filles réalisent à l’école et au collège de meilleurs parcours scolaires que les garçons.
A 14 ans, les filles sont pour plus des deux-tiers en troisième contre la moitié des garçons qui, à cet âge, sont environ un tiers à être encore en quatrième contre un quart des filles.
Dans l’école française, le moment décisif concernant l’orientation des élèves se situe entre la classe de quatrième et la classe de troisième. Il touche donc les jeunes à l’âge de 14/15 ans.
Or, à cet âge où se joue une grande partie de ce qui va faire la réussite ou non du parcours scolaire des jeunes, où l’institution leur demande de construire un projet personnel , tous les spécialistes de la psychologie de l’adolescence le disent, c’est le moment du plus grand écart de maturité entre les jeunes garçons et les jeunes filles.
C’est l’importance de ce moment qui explique le poids des garçons dans le décrochage scolaire ou dans les structures accueillant des jeunes en difficulté. Il faut aussi voir que pèsent également sur les garçons la disparition de tous rituels d’intégration sociaux à un moment donné de leur vie et le flou régnant entre 16 et 25 ans autour de l’entrée dans l’âge adulte.
Dans la construction de sa personnalité, le jeune, spécifiquement le garçon, parce qu’il vit moins dans son corps le passage à l’âge adulte, a toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques (les « trois jours » ; le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laissent le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.
Le rapport Eurydice « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : Etude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe » malgré ses manques, démontre donc de manière irréfutable combien est indispensable pour un pays qui veut lutter contre l’échec et le décrochage scolaire et diminuer la violence dans les établissements d’enseignement de prendre à bras le corps les difficultés et les échecs à l’école des garçons.
Jean-Louis AUDUC
Auteur, notamment de :
« Réfléchir sur l’échec scolaire massif des garçons : une nécessité » ( Le nouvel Educateur, octobre 2009)
« Sauvons les garçons » Editions Descartes. Paris 2009
Liens :
Sur l’étude de la Commission européenne
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/06/15062010Accueil.aspx
Le dossier SOS garçons !
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2009/107_SOSGarcons.aspx