Par Pierre Frackowiak
Comment sortir de l’impasse de la semaine scolaire de 4 jours ? Voulue par X Darcos, elle a conduit , nous dit Pierre Frackowiak, à une impasse. Il n’y voit qu’une seule sortie possible : « Il manque une volonté politique partagée avec une grande exigence ».
En décrétant de réduire la semaine scolaire, le ministre de l’Education Nationale a, sans aucun doute, satisfait certaines exigences, électoralistes, politiciennes, budgétaires. Il a aussi pris l’énorme responsabilité de conduire l’école vers une catastrophe qui était parfaitement prévisible. Rappelons que cette mesure très médiatisée a été imposée sans concertation, sans réelle réflexion sur l’intérêt des enfants, sans la moindre vision globale prospective. Rappelons aussi que, contrairement à ce que le ministre a dit plus tard, les écoles n’ont pas eu la liberté de choix dans l’organisation de la semaine scolaire. Les instructions données aux inspecteurs étaient très fermes (1). La suppression du samedi matin était incontournable, la moindre exception aurait dénaturé la portée de la mesure dans l’opinion. Les écoles isolées ou les écoles d’une même commune qui ont réussi à faire accepter la semaine de quatre jours et demi ne l’ont fait qu’au prix d’un parcours héroïque. Elles ont du convaincre les enseignants, les parents, les services et associations utilisant le mercredi matin, la municipalité, et cela a été particulièrement difficile, chaque partie concernée trouvant des avantages à la situation.
La suppression de la scolarisation le samedi matin permettait à la fois de
• répondre à des souhaits du secteur économique : tourisme, restauration, commerce…
• satisfaire les exigences des familles les plus aisées, celles qui ont la possibilité de partir en week end dans une résidence secondaire ou ailleurs
• faire un coup fortement médiatisable, très bon pour les sondages d’opinion
• réduire le temps de travail en grand groupe classe des enseignants du premier degré, ce qui aurait d’ailleurs pu être une revendication légitime, sans dépenser un euro
• organiser du soutien scolaire gratuit sans dépenser un centime d’euro. Mesure phare qui a été un moyen très fort permettant de se donner bonne conscience au regard de toutes les autres mesures régressives qui s’accumulaient
• justifier la disparition de la formation continue des enseignants à l’IUFM en voie de suppression, en la remplaçant par de l’animation pédagogique réalisée, souvent formellement, par les collaborateurs des inspecteurs. Ce faisant, le ministère réalisait une économie considérable qu’il convient de mettre en relation avec celle obtenue par la suppression de la formation initiale et l’affectation directe des nouveaux enseignants sans réelle formation, dans les classes. Sous des aspects nobles, l’élévation du niveau de formation disciplinaire des futurs enseignants (mastérisation) dissimule des objectifs très éloignés d’une volonté de faire progresser le système éducatif.
Incontestablement, cette affaire aura été un beau coup politique. Elle l’aura été d’autant plus que les réactions ont été faibles ou nulles, le soutien de l’opinion publique étant un frein énorme pour une opposition même constructive. Même les communes dont les projets éducatifs globaux ont été annulés car ils étaient impossibles à mettre en œuvre sur quatre journées alourdies par l’aide individualisée, ont été discrètes. Exactement comme par rapport au service minimum d’accueil ou aux stages de remise à niveau pendant les vacances, les élus considérant qu’il était risqué de s’opposer à des mesures approuvées massivement par les parents dont le degré de sous-information sur la réalité des problèmes de l’éducation aujourd’hui est très inquiétant… mais utile pour favoriser certains desseins. Les syndicats d’enseignants ont été habilement mis en difficulté. Comment s’opposer à un allègement du temps de travail (2) (deux heures avec toute une classe est infiniment plus fatigant que des heures de réunion ou des heures avec des groupes de 4 ou 5) ? Comment s’opposer à l’aide individualisée qui est une supercherie telle qu’elle a été imposée mais qui paraît tellement généreuse ? Ce coin de « social apparent » a même conduit certains responsables non suspects de proximité avec le pouvoir, à lui apporter le soutien qu’il espérait. On peut se demander quelle était la nature des compromis probables pour en arriver là. Les partis d’opposition ont également été piégés, pour les mêmes raisons auxquelles il faut bien ajouter l’absence de projet éducatif alternatif qui décrédibilise toute contestation.
Incontestablement, cette affaire a rapidement montré ses limites et ses dangers que la plupart des pédagogues attentifs et désintéressés avaient annoncés (3). Xavier Darcos lui-même est venu dire à la presse que jamais il n’avait imposé la réduction de la semaine scolaire et que les écoles avaient eu la liberté de choix. Luc Chatel, probablement très ennuyé, a eu raison d’afficher une volonté d’assouplir les dispositifs et de rechercher des consensus, sachant qu’il est difficile d’engager des concertations après le constat des dégâts.
Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse quasiment dramatique
• Les avis de la Cour des Comptes, de l’Institut Montaigne, entre autres observateurs du système, convergent pour condamner les dispositifs mis en place depuis 2007. On peut même s’étonner que des personnes non suspectes d’être des opposantes idéologiques au pouvoir en viennent à proposer le retour à la loi Jospin (l’élève au centre du système, les cycles, etc) qui a été balayée d’un revers de main, sans la moindre larme, même pas celle de ses auteurs et de leurs amis.
• Les enseignants affirment qu’ils sont beaucoup plus fatigués sur 4 jours que sur 4 jours et demi. Ils disent qu’ils ne s’en sortent pas avec des programmes imposés et sans intérêt conçus pour 4 jours et demi et qu’ils sont démotivés par l’accumulation des mesures, le poids de l’évaluationnite aigue, la paperasse et le développement de l’autoritarisme, avec l’aberrant snobisme du pilotage par les résultats. Ils ne croient plus à l’aide individualisée telle qu’elle a été conçue et qui va rapidement tomber en désuétude.
• Les cadres qui avaient accepté, au nom d’une loyauté mal comprise, d’affirmer que leurs engagements précédents étaient nuls, que les programmes de 2002 qu’ils avaient promus étaient obsolètes, que l’aide individualisée est un moteur du changement et la solution miracle à laquelle personne n’avait pensé avant (4), même pas eux malgré leur expertise, etc, voient avec inquiétude arriver le jour où ils vont devoir à nouveau changer de discours.
• Les chronobiologistes et les pédagogues ont la preuve qu’ils avaient raison.
• Les enfants dont personne ne se soucie beaucoup, sont fatigués et ne comprennent toujours pas le sens des activités scolaires sauf s’ils ont été formatés par leur milieu. Leur capacité d’attention diminue et leurs réactions d’opposition se multiplient même chez les petits…
• Les élus sont terriblement embarrassés. Les communes qui veulent profiter de l’assouplissement des positions ministérielles se heurtent à l’opposition d’une forte proportion des enseignants qui considère que les 4 jours sont un avantage acquis… et on peut les comprendre quand on connaît la difficulté de leur tâche. Elles se heurtent aussi au coût d’un projet éducatif global sérieux. Le PEG territorial exige des moyens considérables en personnel et en crédits (animateurs sociaux, sportifs, artistiques, matériel, plus grande amplitude de l’ouverture des établissements, etc) alors que les perspectives budgétaires se réduisent.
Comment sortir de l’impasse ?
Par une marche arrière ? On a déjà donné considérant que pour résoudre les problèmes du futur, la meilleure solution était de reprendre les dispositions qui avaient fait la preuve de leur inefficacité trente ans auparavant, en y ajoutant un voile de modernité numérique (le b-a ba, la mécanique au détriment de l’intelligence, le rabâchage et le teaching for testing, la grammaire/conjugaison comme préalables à la maîtrise de la langue, le cours collectif frontal, etc). Ce serait une nouvelle erreur.
Par un virage à 180° ? Le paysage s’est tellement figé, certaines mesures semblant irréversibles, que le virage semble impossible. On voit bien dans les villes qui tentent de relancer leur PEG avec une réduction de la durée de la journée scolaire (qui est une des vraies questions) que l’essai est aujourd’hui quasiment impossible. Les tensions avec les élus tentés par le recours à l’autorité, les conflits entre parents et enseignants, les conflits entre les enseignants eux-mêmes divisés (leurs syndicats ne sont pas à la fête !), l’évidence du manque de moyens rendent les choses très compliquées et les possibilités de changement bien ténues.
Le pire des dangers serait de laisser pourrir la situation (5)– ce qui est, hélas, déjà en bonne voie -, de faire à nouveau le procès des enseignants, de fuir ses responsabilités à droite et à gauche. La droite qui a pris toutes les décisions régressives aujourd’hui contestées, qui invoque timidement le besoin de temps pour réussir et pour juger, alors qu’elle ne l’a pas laissé à la loi de 1989 qui a été effacée sans la moindre évaluation. La gauche qui en dehors des protestations faciles sur la quantitatif, les suppressions de postes, a, jusqu’à présent été incapable de porter un véritable projet alternatif, cohérent, mobilisateur, susceptible de durer en transcendant même les alternances politiques (6).
En fait, il manque peut-être un Jules Ferry et un Ferdinand Buisson des temps modernes. Mais si l’on ne croit pas aux hommes providentiels, on admettra qu’il manque un plan Langevin Wallon inscrit dans une perspective à 20 ou 30 ans, avec une vision de l’homme et de la société qui fasse l’objet d’une mobilisation de la Nation toute entière. Il manque une volonté politique partagée avec une grande exigence, sachant qu’un nouveau plan coûtera inévitablement très cher. Il manque au moins une loi Jospin revue, corrigée, régulée, avec de nouveaux programmes prenant en compte l’accroissement exponentiel des savoirs et de leur diffusion, avec de nouvelles structures et architectures, avec une nouvelle définition des missions des enseignants, avec un plan de formation de tous les enseignants, avec une reconnaissance renforcée de la pédagogie aujourd’hui déniée, avec une relance significative de l’éducation populaire…
Il faudrait d’urgence proposer du neuf et faire preuve de courage.
Pierre Frackowiak
Co-auteur avec Philippe Meirieu de « L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société? ». Editions de l’Aube. Mai 2008. Réédition en format de poche, octobre 2009
Auteur de « Pour une école du futur. Du neuf et du courage. » Préface de Philippe Meirieu. Editions La chronique sociale. Lyon. Septembre 2009
Auteur de « L’élève au cœur… » A paraître au 4ème trimestre 2010 aux éditions La chronique sociale
Notes
1 Recteurs et inspecteurs d’académie avaient été mobilisés et les consignes sont descendues en cascades de la pyramide, souvent alourdies à chaque palier
2 Le passage de 26 heures à 24 heures avec 25 ou 30 élèves est irréversible. Il vaut mieux le dire clairement.
3 Dés l’annonce des mesures successives, avec Philippe Meirieu, Eveline Charmeux, Jacques Fijalkow, Sylvain Grandserre, Gérard de Vecchi, André Ouzoulias, André Giordan, etc, nous avions tenté d’alerter le monde de l’éducation. Voir ma tribune « Une catastrophe annoncée »
4 Une universitaire séduite a même déclaré : « J’en avais rêvé. Le ministre l’a fait ! ». Quel enthousiasme !
5 La prémonition de Philippe Meirieu dans son livre écrit avec Marc Guiraud en 1997, « L’école ou la guerre civile » (chez Plon), se révèlerait malheureusement juste. Ce livre est lire ou relire.
6 Car un vrai projet neuf et courageux a besoin de la durée ll a fallu 80 ans pour que le système Jules Ferry se développe avant d’agoniser. Le plan Langevin Wallon n’a pas été appliqué. La loi Jospin n’a eu ni le temps ni les moyens ni l’accompagnement nécessaires pour réussir (moins de quinze ans). Un nouveau plan ne peut se concevoir qu’à l’échelle d’une ou deux générations…
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