JP Gallerand – E Jourdan
Eruption en Islande
par Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue
Eruption sous le glacier Vatnajökull en Islande le 9 octobre 1996 (photo J.M. Bardintzeff).
Un volcan islandais au nom quasi imprononçable fait la une des médias. Il s’agit de l’Eyjafjöll, situé sous le glacier Eyjafjallajökull (ce qui signifie « le glacier de la montagne de l’île » et qui se prononce : aye-ya-fya-dla-yo-kutl). Ce stratovolcan, de 1666 m d’altitude, présente une forme légèrement elliptique, allongée selon un axe est-ouest. Son sommet est occupé par une caldeira de 2,5 km de diamètre. Sa dernière éruption a duré un peu plus d’un an, entre décembre 1821 et janvier 1823.
L’Eyjafjöll entre en éruption le 20 mars 2010 un peu avant minuit, comme le laissait présager l’enregistrement d’essaims sismiques de faibles magnitudes (1 à 3) depuis plusieurs jours. Un fissure s’ouvre au niveau de la fracture de Fimmvörduháls, sur le flanc est du volcan, à relativement basse altitude. La fracture s’allonge rapidement de 200 m à 2 km, libérant des fontaines et coulées de lave impressionnantes. 140 millions de m3 sont ainsi émis au cours des premières 72 heures. Une analyse de téphra du 22 mars, effectué par le Nordic Volcanological Institute de Reykjavik, révèle une composition typiquement basaltique (47,27 % SiO2, 3,07 % Na2O, 0,80 % K2O). Cette première phase éruptive est très classique mais spectaculaire : elle attire de nombreux touristes malgré des conditions météorologiques parfois difficiles (deux randonneurs égarés meurent de froid). Vers le 11 avril l’activité décline puis s’arrête et on pense que l’éruption est terminée.
Le 14 avril, une nouvelle phase, explosive cette fois, reprend. L’activité volcanique a migré vers l’ouest, sous le sommet du volcan, recouvert par le glacier. Le magma émis est différent (58 % de SiO2), plus acide donc plus visqueux. Les volcanologues islandais l’interprètent comme le résultat d’un mélange avec un poche résiduelle acide de la dernière éruption de 1821. En outre, une partie du glacier fond et se vaporise. Cette vapeur augmente encore l’explosivité de l’éruption : on parle d’hydrovolcanisme ou de phréatomagmatisme. Un dynamisme de ce type a été décrit à Surtsey en 1963 d’où le nom de « surtseyien ».
Un panache, constitué de vapeur d’eau, de gaz volcaniques (gaz carbonique, soufre, chlore, fluor, etc.), atteint 6 km d’altitude et même plus. Entraîné par des vents du nord-ouest, il dérive, en se diluant, vers le sud-est et donc vers l’Europe. Notons que ce panache reste dans la basse atmosphère (appelée troposphère) alors que, par exemple, le panache plinien du Pinatubo (Philippines) en 1991, haut de 40 km, avait largement atteint la stratosphère. La limite entre les deux couches, appelée tropopause se situe entre 7 km au pôle et 18 km à l’équateur (soit environ 10 km au-dessus de l’Islande et 12 km au-dessus de la France). Les cendres et aérosols envoyés dans la troposphère ont un temps de résidence court (quelques semaines). Au contraire, ceux injectés dans la stratosphère, entraînés par les puissants courants (les jet streams), se répartissent autour du globe pour y séjourner plusieurs années, entraînant des modifications climatiques (refroidissement de quelques dixièmes de degrés par diminution du rayonnement solaire).
Le 20 avril, après un mois d’éruption, le panache semble moins haut, moins épais et des projections de bombes incandescentes sont visibles. Ceci ne signifie pas la fin de l’éruption mais plutôt un retour progressif vers un dynamisme plus effusif (lavique), du à la diminution de la quantité d’eau disponible après la vaporisation d’une partie sommitale du glacier. Difficile de prévoir la durée de l’éruption quand on sait qu’en Islande celles-ci durent entre quelques jours et trois ans ! Il reste que l’éruption actuelle est moyenne vu le volume et l’énergie émis (quelques dixièmes de km3 à comparer aux 10 km3 du Pinatubo).
Les dégâts sont importants sur la côte sud de l’Islande. D’importantes coulées boueuses (jökulhlaup) ont coupé la route principale numéro 1 qui fait le tour de l’île. Lors de la phase explosive, l’obscurité règne dans la région, des cendres tombent en abondance. Il faut évacuer des centaines de personnes, distribuer des masques à poussières. Les troupeaux ne doivent plus consommer l’herbe polluée (du bétail devra même être abattu).
Le nuage, qui dérive vers l’Europe, bloque une grande partie du transport aérien européen du 15 au 21 avril, à l’origine de colossales pertes financières. En France, les aéroports sont fermés à l’exception de ceux de la région du sud-ouest. Les fines particules de cendres, très abrasives, sont en effet très dangereuses pour les réacteurs d’avions. Dans le passé, quelques avions ont vu leurs quatre réacteurs arrêtés en passant trop près d’un panache volcanique ; au total, une trentaine d’incidents ont été notés mais heureusement aucun crash n’a suivi grâce à l’habileté des pilotes. Bien que le risque présenté par les particules volcaniques pour l’aviation soit connu et étudié (VAAC = Volcanic Ash Advisory Center), il est apparu que l’on connaissait insuffisament les teneurs en particules, leur évolution, leur risque pour les aéronefs d’où le principe de précaution judicieusement retenu par les responsables. Ce sera le thème de futures études scientifiques, grâce à des échantillonages in situ.
La teneur en cendres est trop faible pour présenter un quelconque risque pour les populations européennes ; une pluie ne deviendrait pas acide mais au contraire « laverait » l’atmosphère de ses particules.
Le volcan voisin Katla, sous le glacier Myrdalsjökull, situé à 20 km à l’est de l’Eyjafjallajökull est surveillé de près car plusieurs fois par le passé son éruption a suivi celle de l’Eyjafjallajökull. Sa dernière éruption remonte à 1918. Il est considéré comme encore plus dangereux car menaçant une région plus peuplée. Mais le 21 avril aucun signe d’activité n’était noté. Notons aussi que la migration du magma de l’Eyjafjallajökull mi-avril s’est faite vers l’ouest, à l’opposé du Katla.
Contact : Nordic Volcanological Institute, Reykjavik,
www2.norvol.hi.is
Jacques-Marie Bardintzeff sur la fissure de Thingvellir en Islande: en quelque sorte un pied sur la plaque nord-américaine et l’autre sur la plaque eurasiatique! (photo Isabelle Bardintzeff).
http://44.svt.free.fr/jpg/bardintzeff.htm
Autres informations
Volcans européens susceptibles de présenter un risque pour plus de 10.000 personnes
Les volcans les plus actifs
C’est pas sorcier – L’islande, Terre de glace et de feux
http://video.google.com/videoplay?docid=3162362095154907052#
Webcam
http://eldgos.mila.is/eyjafjallajokull-fra-fimmvorduhalsi/
Un blog (en anglais)