Par Jean-Louis Auduc
« Le ministre de l’éducation nationale va-t-il enfin « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » ? » interroge Jean-Louis Auduc, directeur adjoint d’IUFM. La suppression de tout cadrage national de la formation des enseignants, les flous dans les textes officiels, montrent que la question de la formation des enseignants est traitée de façon indigne. « Alors que des évolutions apparaissent nécessaires à tous les niveaux du système éducatif pour l’améliorer », souligne JL Auduc, « ce n’est pas une génération d’enseignants parée pour répondre aux enjeux qui s’annonce, mais une génération d’enseignants sacrifiée dans leur formation par souci d’économies à court terme »
Le ministre de l’éducation nationale va-t-il enfin « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » ?
Les épreuves orales d’admission des futurs concours de recrutement d’enseignants comportent une épreuve, d’ailleurs contestée, visant à vérifier que le futur enseignant possède bien la compétence n°1 des dix compétences professionnelles de décembre 2006 : « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable ».
Au vu de ses prises de décisions et de son comportement actuel, il est clair qu’il serait impossible de valider au ministre de l’éducation nationale cette compétence qui comprend notamment parmi ses connaissances, capacités, attitudes : « Connaître les grands principes du droit de la fonction publique et du code de l’éducation ; respecter et faire respecter la personne de chaque élève »…… En effet, ce qui se passe actuellement autour de la formation des enseignants tourne le dos à la plus élémentaire éthique et à la responsabilité dont on doit faire preuve vis-à-vis des étudiants et des élèves.
Un « flou » juridique totalement anormal et irresponsable
Les étudiants qui souhaitent se diriger vers l’exercice du métier enseignant sont aujourd’hui placés dans une situation totalement incompréhensible et où l’on peut se demander si la logique actuelle n’est pas plus proche du camion fou ayant perdu l’usage de ses freins que d’une conduite pensée et responsable. Qu’on en juge !
Les textes réglementaires actuellement publiés et les effets d’annonces du ministère à moins de quatre mois de la rentrée sont totalement contradictoires. Les seuls décrets publiés, ceux du 29 juillet 2009 indique que pourront s’inscrire aux concours de recrutement enseignant: « Les candidats justifiant, à la date de clôture des registres d’inscription, qu’ils sont inscrits en dernière année d’études en vue de l’obtention d’un master ou d’un titre ou diplôme reconnu équivalent par le ministre chargé de l’éducation » Cette formule implique une inscription aux concours après les inscriptions universitaires en M2, soit vers la fin septembre. Une telle rédaction est absolument contradictoire avec l’organisation d’épreuves du concours, par exemple pour les professeurs des écoles en septembre comme le ministère l’avait indiqué oralement.
Or, à la date du 9 mai, les étudiants et les formateurs n’ont toujours pas vu publier de textes modifiant les décrets de juillet 2009. Des projets de document avaient circulé avec des dates d’inscription aux concours du 10 mai au 18 juin….. Visiblement, ces dates ne seront pas tenues.
Un tel flou est inadmissible. Comment construire pour deux ans des masters lorsqu’on ignore les textes réglementaires d’application qui s’imposeront à tous.
Autre exemple de l’improvisation et de l’absence de considération des étudiants qui règnent : Pour le concours de professeur des écoles, le ministère avait indiqué à la rentrée 2009 qu’avait été « oublié » dans les décrets de juillet 2009 (ce qui montre le sérieux du suivi du dossier !) parmi les pré-requis indispensables pour l’obtention du concours, le certificat de compétences en informatique et internet (C2i), le certificat de compétences en langues (CLES). Un projet de texte communiqué aux directeurs d’IUFM indiquait en février 2010 que ces deux compétences seraient « obligatoires » pour être stagiairisé, donc devaient obligatoirement faire partie des contenus du master.
Un des deux textes soumis au CSE du 6 mai (reporté au 12 mai) indique à présent : « des formations débouchant sur l’obtention du certificat en langues (CLES) et du certificat de compétences en informatique et internet (C2i) seront organisées au bénéfice des stagiaires issus des concours pour lesquels ces pré-requis sont exigés à la date de titularisation. ».
Comment peut-on admettre qu’à quelques mois du démarrage des formations et des éventuelles épreuves d’admissibilité, les textes réglementaires indispensables pour les conditions d’inscriptions au concours ne soient pas sortis ! Une intervention, une annonce du ministre n’est pas un décret ou un arrêté.
La pratique actuelle semble d’ailleurs montrer que le ministère semble souhaiter le moins possible être « contraint » par les textes.
Une absence de cadrage national très préjudiciable
On aurait pu attendre d’un arrêté ministériel sur les compétences à acquérir par les futurs enseignants qu’ à l’image des textes précédents d’avril 2002 ou décembre 2006, il prévoit un cadrage précis des horaires et des contenus de formation valables dans toutes les académies ou départements.
Loin de cet objectif, le texte que va examiner le 12 mai le conseil supérieur de l’éducation le 12 mai se contente d’abroger l’arrêté du 19 décembre 2006 et ne prévoit aucun cahier des charges, aucun cadrage en terme de contenus de la formation.
Le CSE n’avait pu se tenir le 6 mai boycotté par la majorité des organisations syndicales et la FCPE, choqués par l’absence total de cadrage pour la future formation des enseignants, ce qui confirme que loin d’une quelconque amélioration de la formation initiale des enseignants, la refonte prévue vise à démolir toute formation professionnelle des enseignants.
La formation initiale des enseignants stagiaires s’appliquera, en effet, en fonction des moyens et des possibilités pouvant exister dans chaque académie ou chaque département. La seule formation professionnelle dont pourront bénéficier les stagiaires en 2010-2011 sera donc liée au potentiel de moyens susceptible d’exister dans chaque académie et chaque département. Aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour l’application de cette circulaire. La réforme de la formation des enseignants montre ici son vrai visage : faire à tout prix des économies budgétaires !
De lourdes conséquences pour certaines académies et certains départements
Cette adaptation aux possibilités locales sans moyens supplémentaires, cette injonction à chaque responsable de se débrouiller avec les moyens disponibles auront de lourdes conséquences.
Il y aura des disparités importantes entre les différentes parties du territoire et les choix effectués seront davantage pilotés par des impératifs de gestion plutôt que par l’intérêt des élèves. En effet, tous les observateurs attentifs du système éducatif le savent, les territoires avec les populations les plus défavorisées sont aussi les zones où il y a le plus de difficultés de remplacement, où dans le premier degré les personnels en ZIL ou en brigades de remplacement sont très insuffisants, où il y a le moins de maîtres formateurs ou de conseillers pédagogiques.
Ce sera donc dans ces départements, ces académies, où faute de moyens suffisants de remplacement adéquats, la formation professionnelle des enseignants risque d’être la plus chaotique, la plus faible, voire inexistante dans un certain nombre de cas, alors que dans ces territoires la réussite des jeunes nécessiterait des enseignants très bien formés.
On marche sur la tête !!! On tourne ainsi le dos à l’égalité de traitement de tous les élèves dans le service public de l’éducation nationale.
Les deux seuls domaines évoqués dans la circulaire d’accompagnement de l’arrêté sont :
– conduite de la classe, gestion des situations conflictuelles et des comportements violents ou discriminatoires ;
– individualisation de l’enseignement.
Ces deux approches sont loin de recouvrir les besoins indispensables à une formation sérieuse d’enseignants.
Enseigner est un métier qui s’apprend.
Cela signifie une vraie gestion de l’alternance. Il est anormal qu’il n’y ait pas de référence, comme dans les textes précédents, à la nécessité d’un travail d’analyses de pratiques. Les moments d’analyse de pratiques sont pourtant des moments décisifs pour que le stagiaire comprenne l’importance d’une posture réflexive, de mise à distance par rapport à ce qu’il a vécu dans sa classe.
L’analyse de pratiques doit permettre au stagiaire de :
– relier les apprentissages effectués en formation et de les éclairer par une mise en perspective ;
– se référer aux savoirs constitués pour mieux nommer et comprendre l’expérience de terrain ;
– faire des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques ;
– dégager le caractère multiple et hétérogène du métier enseignant.
Il est anormal de ne pas voir apparaître dans les formations obligatoires :
– la gestion de la diversité des publics scolaires et notamment de la mixité dans les classes
– le travail avec les parents d’élèves
– la psychologie de l’enfant et de l’adolescent.
Encore plus inquiétant et révélateur de la logique de la refonte de la formation initiale des enseignants, la formule dans la circulaire d’application qui indique que « des formations plus individualisées et optionnelles, adaptées au parcours professionnel du stagiaire se déroulant sauf exception hors du temps de service. »
Cela signifie clairement que tout ce qui peut permettre à l’enseignant de mieux s’adapter à sa classe, à ses élèves, de mieux diagnostiquer leurs forces te leurs faiblesses se fera hors du temps de service, comme si quelques recettes généralisantes pouvaient suppléer à une réflexion sur les pratiques pédagogiques les plus appropriées.
Apprendre les gestes professionnels, les gestes du métier, la gestion de la classe et des éventuels conflits, cela ne se résume pas à l’imitation des gestes d’un autre.
L’organisation de « conférences » comme proposée dans le texte pour modèle de formation peut être un danger si elle devient l’essentiel de la formation, car cela peut :
– conforter le stagiaire dans ses préjugés, dans ses idées préconçues sur le métier enseignant ;
– donner une seule vision des réponses à fournir par rapport à une situation sans les confronter avec d’autres réponses possibles ;
– en fait favoriser le conservatisme des démarches pédagogiques en ne permettant pas de réfléchir sur la pluralité des réponses pédagogiques possibles pour mettre en situation d’apprentissage les élèves.
Est-ce ainsi qu’on améliorera les performances de notre système éducatif ?
Alors que des évolutions apparaissent nécessaires à tous les niveaux du système éducatif pour l’améliorer, ce n’est pas une génération d’enseignants parée pour répondre aux enjeux qui s’annonce, mais une génération d’enseignants sacrifiée dans leur formation par souci d’économies à court terme et faute d’une véritable ambition pour une formation professionnelle de haut niveau.
Former des enseignants en alternance, c’est les confronter à la globalité, à la complexité du métier d’enseignant, donc cela nécessite obligatoirement une approche différenciée, diversifiée. Il s’agit de former et non de formater.
L’enseignant est un concepteur, il n’est pas qu’un simple exécutant, il prend lors de chaque séquence, lors de l’articulation entre les séquences, des dizaines, des centaines de microdécisions. Il n’est pas un simple exécutant d’où l’enjeu d’une véritable démarche réflexive en formation au travers notamment des analyses de pratiques.
Les enseignants débutants prennent aussi quotidiennement de multiples décisions dans d’autres buts que celui de l’enseignement disciplinaire : pour obtenir le calme en classe, pour capter leur attention, pour entretenir leur motivation ou préserver ses propres forces.
L’enseignant est aussi un aiguilleur. Dans le cas des élèves à besoins éducatifs spécifiques, il a à participer dans le cadre de son cœur de métier au diagnostic de la situation du jeune concerné, mais il n’a pas à donner au jeune et à sa famille l’impression qu’il est en capacité de traiter toutes les situations. Il doit les aiguiller vers les professionnels compétents dans les différents domaines concernés.
Etre enseignant, c’est bien connaître ceux qui peuvent compléter son action. Le partenariat, ce n’est pas se concurrencer, c’est agir en complémentarité, donc bien connaître son cœur de métier et le cœur de métier des professionnels qui peuvent agir pour accompagner le jeune.
La mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences à l’école et au collège, la réforme des lycées, la nécessaire lutte contre l’échec scolaire et l’absentéisme scolaire, tout cela nécessite des enseignants bien préparés à la diversité des pratiques de l’exercice du métier enseignant.
Jean-Louis Auduc
Directeur adjoint d’IUFM
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