Par François Jarraud
La première journée des Etats généraux de la sécurité à l’école, le 7 avril 2010, a été consacrée à un exercice devenu rare à l’éducation nationale : écouter les experts. Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, après le discours ministériel, les plus hauts cadres de l’éducation nationale, les grands acteurs de l’Ecole ont écouté durant deux heures trois experts faire le point des connaissances sur la violence scolaire.
Eric Debarbieux et le québécois Egide Royer ont vraiment pris point par point, et avec fougue, l’état des connaissances sur la violence scolaire; les facteurs qui la font se développer et les politiques qui permettent d’y faire face. Ils étaient suivis par Alain Bauer, président de la mission sur les violences en milieu scolaire, les sanctions et la place des familles. Il a transmis les recommandations de sa commission.
L’après-midi était principalement consacré à 10 ateliers mêlant acteurs et experts. Ce sont eux qui feront l’actualité jeudi.
Luc Chatel : Imaginer des solutions pragmatiques et innovantes
Luc Chatel a ouvert les Etats généraux en promettant qu’ils ne seraient pas un « point final » à la lutte contre la violence scolaire. Il a appelé à des solutions « innovantes ».
Debarbieux – Royer : Expertise
Ancien instituteur, président du conseil scientifique de ces Etats généraux et président de l’Observatoire international de la violence scolaire, Bordelais, Eric Debarbieux est un homme posé qui pratique plutôt l’humour froid. C’est Egide Royer, co-directeur de l’Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l’école, qui parle avec ses mains ! Il aime secouer son public, le faire rire, le mettre en suspens. Durant une bonne heure, l’un et l’autre ont transmis une foule d’informations sur la violence à l’Ecole tout en stimulant sans cesse l’intérêt du public.
Les recommandations de la mission sur les violences en milieu scolaire
Le criminologue Alain Bauer a rendu compte du rapport de la commission sur les violences en milieu scolaire, les sanctions et la place de la famille. Commandé à l’automne, ce rapport a été remis au ministre juste avant les Etats généraux. Il propose une trentaine de recommandations.
En attente des décisions ministérielles
Comment les enseignants vont-ils accueillir les Etats généraux ? Après les préconisations de la mission Bauer, une table ronde montrait la diversité de l’univers éducatif. En attendant les décisions ministérielles.
Après une pause, peut-être nécessaire pour « digérer » les préconisations de la mission Bauer, une dernière table ronde réunissait ou opposait JeanMarc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, et aussi porte-parole d’un collectif de mouvements pédagogiques, le philosophe Yves Michaud et Sébastien Clerc, le « monsieur autorité » de l’académie de Créteil.
JM Roirant devait insister sur les inégalités sociales à l’école et leur rôle dans la violence scolaire. Le développement de l’esprit de compétition et concurrence influe également. Il se montre favorable à une modification du statut des enseignants pour augmenter leur présence dans l’établissement. Il insiste aussi sur la nécessité de développer des liens avec la communauté qui entoure l’établissement, de revoir les modes d’évaluation, de miser sur la responsabilisation et la confiance envers les jeunes.
Sébastien Clerc et Yves Michaud présentaient ensemble des formations « pratiques » qu’ils proposent aux établissements. Quelques heures pour travailler « la tenue de classe », pour parler de la nation, dénoncer les communautarismes, travailler le vocabulaire de jeunes qui en manquent cruellement.
Après les envolées de la commission Debarbieux et de la mission Bauer, on retombait finalement dans le « practico-pratique » et l’exaltation du sens civique. Les Etats généraux sont encore loin de la nuit du 4 aoùt.
Jeudi 8 avril les ateliers rendront compte de leurs travaux. Dans quelle mesure suivront-ils les leçons d’E Debarbieux et les préconisations d’A Bauer ? Jusqu’où le ministre ira-t-il dans l’innovation ?
Etats généraux de la sécurité à l’école : à suivre
Selon Eric Debarbieux, il ne s’agissait pas de discours de clôture pour marquer la fin de la réunion des états généraux de la sécurité à l’école le 8 avril, mais plutôt d’énoncer des pistes de travail et des propositions qui seront, Luc Chatel s’y est engagé, discutées dans la concertation.
Chatel préfère Sarkozy aux experts
Déception. C’est le maître mot de la deuxième journée des Etats généraux de la sécurité à l’école, le 8 avril 2010. Ils débouchent sur des décisions en contradiction avec les recommandations du comité scientifique mais en accord avec les propos élyséens.
Rappelons que la première journée, le 7 avril, avait été consacrée à des exposés d’experts qui mettaient en avant la nécessité de nouer le dialogue avec les parents, d’ouvrir les établissements sur leur environnement, de stabiliser les équipes, de donner du sens aux enseignements, de la pédagogie et de la justice aux sanctions. Le ministre avait souligné sa volonté de sortir de l’idéologique et des oppositions inutiles, de dialoguer avec les experts et les acteurs, de chercher le consensus. Le 8 avril, les ateliers ont restitué leurs travaux tenus la veille. Ils ont largement mis en avant la nécessité d’améliorer la formation des enseignants, de créer des partenariats avec l’environnement des établissements, d’imaginer des pratiques pédagogiques innovantes.
Une conclusion qui nie les travaux des experts. Luc Chatel a présneté en clôture des Etats ses décisions. Certaines s’inspirent des travaux de la commission. C’est le cas par exemple pour la mise en place d’une enquête nationale de victimation et des améliorations apportées à Sivis ou de l’idée d’organiser les conseils de discipline en dehors des établissements. Mais les autres décisions plagient les propos du président de la république.
Singer Sarkozy. Le 24 mars,Nicolas Sarkozy avait déclaré : « L’absentéisme scolaire est un fléau. La responsabilité des parents doit être engagée, les sanctions en matière d’allocations familiales doivent être effectives, les jeunes qui ne peuvent pas suivre une scolarité normale seront placés dans des établissements adaptés où ils ne perturberont plus la vie des autres et où ils feront l’objet d’un accompagnement spécifique ». Luc CHatel le 8 avril : « certains élèves ne se plient pas aux règles. Je ne me déroberai pas. Ces élèves particulièrement perturbateurs pourront être sortis de la classe. Il ne s’agit pas de les exclure. Il s’agit de les placer dans des structures adaptées, aussi longtemps que nécessaire… Qui pourrait nier que certains parents n’assument pas leurs responsabilités au point de mettre leur propre enfant en danger ? Eh bien, dans les cas les plus flagrants, nous devons aller jusqu’à rendre effectives les sanctions en matière d’allocations familiales ».
Sur le mode conservateur et autoritaire, Luc CHatel va d’ailleurs encore plus loin. Ainsi quand il fait inscrire « le savoir-vivre » dans ses objectifs avec le vouvoiement… Quand il promet portiques de sécurité et caméras de surveillance, alors que les Etats généraux ont montré leur peu d’efficacité voire leurs effets pervers. Luc CHatel promet bien d ‘améliorer la formation des enseignants mais c’est sous la forme d’une formation à « la gestion des conflits », ce qui est très réducteur.
Des Etats généraux pour revoir l’éducation prioritaire ? Le ministre « profite de l’occasion historique » pour revoir les réseaux Ambition réussite et proposer à leur place les CLAIR (collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite). Une appellation pompeuse qui permet de s’affranchir des normes. Les chefs d’établissement pourront choisir leurs enseignants.. mais devront avoir un « préfet des études » pour chaque niveau. La montagne d’expertise a accouché des vieilles souris.