2400 dessins, collages, photos accrochés sur 1200m de fil, les chiffres sont éloquents mais ne sauraient refléter fidèlement l’histoire tissée, le temps d’une journée ventée, entre les deux rives de la ville de Carcassonne.
Un pari historique
Le projet ambitieux est né en novembre dernier. Joëlle Gonthier, la créatrice de la Grande Lessive, avait investi le château de Malves en Minervois pour réaliser une installation. Elle y était invitée par le Graph, groupe de recherche et d’animation photographique, association culturelle, issue du mouvement de l’éducation populaire, très active à Carcassonne.
Le Maire fraichement élu, Jean-Claude Perez, touché par l’œuvre de l’artiste, lance un véritable défi à l’association : faire de l’art le lien qui réussira à unir les deux rives de l’Aude, la ville Haute et la ville Basse, la Cité et la Bastide. Eric Sinatora, directeur de la structure attrape la balle au bond et accepte de relever le défi artistique en organisant une Grande Lessive associant mouvements de l’éducation populaire, écoles, centres de loisirs et d’animation, associations culturelles, maisons de retraite, centres d’accueil pour handicapés, tout les relais que compte la ville pour associer tous les citoyens à l’évènement historique.
Car, relier les deux rives n’est pas une mince affaire depuis que la répression des Cathares par le roi de France a chassé les habitants de la Cité vers l’autre rive, où progressivement s’est bâtie la Bastide. Les rues sinueuses qui mènent au Pont Vieux portent encore les traces de ces deux mondes étrangers et les pas des touristes ne franchissent pas assez l’Aude pour rejoindre le cœur de la Bastide. Alors pourquoi pas tendre ce fil de la Grande Lessive comme une réconciliation ?
Les villes, la ville sur un fil
Eric Sinatora s’appuie alors sur les forces vives culturelles, éducatives et associatives de Carcassonne pour préparer pendant quatre mois la réalisation d’une œuvre éphémère inter-rives et intergénérationnelles. La Grande Lessive était déjà pratiquée dans plusieurs lieux de la ville, il s’agissait là de passer à la dimension supérieure en unissant les forces créatives pour une ambitieuse réalisation.
Et à visiter la ville, en suivant le fil, les fils, garnis d’interprétations personnelles, respectant toutes la consigne du format A4 glissé sous une pochette plastique accrochée par une épingle en bois, on mesure la réussite de l’opération, malgré le vent , qui pourrait être néfaste, mais qui donne à la réalisation un air de guirlande colorée.
Devant la Cité, là où l’histoire a commencé, les élèves de l’école Pech Mary pique niquent. Ils courent aussi pour se réchauffer et remettre à leur place les dessins qui s’envolent. Parmi les œuvres colorées, un poème triste se détache. Une élève dit adieu à son école, ses maitresses et sa cantinière. Pech Mary vit sa dernière année.
Un peu plus bas, ce sont les collégiens de Jules Verne qui exposent. Des peintures et des collages qui racontent l’adolescence à Carcassonne à l’ombre d’icônes désormais universelles, Ché Guevara et Marilyn Monroe.
Nos pas nous mènent à la rue Trivalle, la rue qu’empruntaient autrefois les lavandières pour aller laver les étoffes dans l’Aude, les fils sur les murs portent la trace d’un attachement à l’Occitanie. Le vent a laissé à la maison les conteuses lavandières qui devaient animer la rue et pourchasser de leurs battoirs les enfants des écoles. La rue bruisse toutefois de cet air festif que donnent des moments que l’on partage simplement.
Sur le pont Vieux, les fils sont bas pour se protéger des assauts du vent. Des dessins se sont envolés dans l’eau, peut-être iront ils jusqu’à la mer, qui sait ? Les fils nous mènent jusqu’à la Place Gambetta, longeant l’école d’esthétique dont les murs sont décorés aussi.
Sur la place, nous retrouvons les feuilles colorées des élèves de Pech Mary. Lasses de raccrocher sans cesse leurs œuvres sur des fils secoués par le vent, les classes ont rejoint la ville Basse. La grande place rectangulaire a perdu de sa rigueur, gagnée par la fantaisie de la vaste guirlande composée par les carcassonnais. Le matin, lors de l’accrochage, les générations se sont côtoyées, des enfants ont aidé des adultes handicapés à accrocher leurs dessins, les quartiers populaires et ceux plus aisés se sont mélangés, et les échanges sont spontanément nés de cette histoire collective.
A la fin de la matinée, un cortège plus sérieux s’est avancé, pour poser sur le fil ses contributions. Le conseil municipal accrochait à son tour ses propres dessins.
Et le soir, à l’heure du décrochage, Eric Sinatora pouvait sourire, le pari bien que venté était réussi. Alors à l’année prochaine ? « L’année prochaine, la Grande Lessive reliera la Cité et le Canal du Midi, les deux œuvres du Patrimoine de l’Unesco sur le sol de Carcassonne. » nous dit alors Eric. Un nouveau pari est lancé.
Monique Royer
Joelle Gonthier à Malves en Minervois
http://www.dailymotion.com/video/xb9fun_exposition-de-joelle-gonthier-a-mal_creation
Le Graph
La Grande Lessive
http://www.lagrandelessive.net/