Par Lyonel Kaufmann
En France, la mort du dernier poilu et la diffusion de «14-18: le bruit et la fureur» ont symbolisé et marquent la fin d’un cycle de commémoration de la Première Guerre mondiale. Depuis l’automne 2009, une commémoration chassant l’autre, un nouveau cycle s’est ouvert autour de la Deuxième Guerre mondiale ainsi que le montre l’actualité de ces mois de février-mars 2010.
Au niveau du tapage médiatique, La Rafle de Roselyne Bosch emporte la palme du mois de mars. D’autant plus qu’il s’accompagne de l’étiquette de film officiel puisque il a reçu, et c’est une première pour un film de fiction depuis le le film Germinal de Claude Berri, le plein et entier soutien de l’Education nationale (L’Éducation nationale, partenaire et prescripteur du film | Le Figaro : http://bit.ly/bjZjlm). Mais, comme le dit Culturopoing, «Traiter un grand sujet nécessaire et rappeler le crime indélébile de la France ne dispense pas de faire du cinéma…» (Les 400 coups de la Gestapo douce (débat autour du film « La Rafle » | Culturopoing : http://bit.ly/9eVcsC). De même, reconstituer minutieusement le Vel d’Hiv, fait certes oeuvre de mémoire, mais ne fait pas forcément oeuvre d’histoire. A ce propos, Zéro de conduite interroge cette volonté du film de vouloir reconstituer les images de l’événement et sa prétention de se hisser au rang de document d’époque en se donnant des gages d’historicité avec Serge Klarsfeld dans le rôle de superviseur. (La Rafle : au revoir les enfants | Zéro de conduite : http://bit.ly/dldmeS).
Pour ma part, je suis tenté de replacer cette production dans le droit fil d’autres productions télévisuelles récentes (L’Évasion de Louis XVI; 14-18: le bruit et la fureur; Apocalypse) et de les analyser dans la perspective de Nicolas Sarkozy de réécriture l’histoire à destination des élèves français ( La Rafle : au revoir les enfants, bonjour Monsieur le Président : http://bit.ly/aiyJur). Plus largement, ce film et les productions télévisuelles récentes sont à explorer dans leurs dimensions esthétiques, culturelles et historiques et à replacer dans tout le mouvement des fictions patrimoniales (films d’auteur, films populaires, téléfilms unitaires, mini-séries ou feuilletons) qui ont vu le jour depuis les années 1980 (Pierre Beylot & Raphaëlle Moine, Fictions patrimoniales sur grand et petit écran. Contours et enjeux d’un genre intermédiatique, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2009). Ce travail reste à faire.
Pour trouver un vrai travail documentaire permettant de «donner une place aux spectateurs d’aujourd’hui, à l’abri des opérateurs, dont les gestes de médiation sont ainsi revitalisés», l’exposition Filmer les camps de Hollywood à Nuremberg (du 10 mars au 31 août) du Mémorial de la Shoah mérite le détour. Dans cette exposition, pour la première fois, les images du camps de Dachau sont présentées dans l’ordre chronologique dans lequel elles ont été tournées par les Américains, accompagnées des fiches remplies par les opérateurs et des comptes-rendus rédigés par l’un des écrivains embauchées par George Stevens. (A consulter: Avant-propos – Exposition Filmer les camps – Mémorial de la Shoah : http://bit.ly/cmhvr7 et Filmer les camps : http://bit.ly/cxCvXK de Christian Delage, commissaire de l’exposition ainsi que l’article L’horreur plein cadre : http://bit.ly/cYz8gQ de Gérard Lefort dans Libération du 11 mars 2010)).
Relativement à cette actualité française autour de la Deuxième Guerre mondiale fortement centrée sur le génocide juif et le cas français, celle-ci revient également sur deux documentaires plus anciens et emblématiques. En premier lieu, c’est AgoraVox qui revient sur le Chagrin et la Pitié, réalisé par Marcel Ophuls en 1969, projeté deux ans plus tard dans une petite salle du Quartier latin, le Saint-Séverin, et montré pour la première fois sur les chaînes françaises en… 1981 ! et qui s’interroge : «pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps, pour voir ce film ?» (Le Chagrin et la Pitié : de la censure au procès des historiens (Marcel Ophuls, 1969) : http://bit.ly/6wzQcF). En second lieu, c’est la polémique autour du témoignage de Jan Karski dans Shoah (1985) de Lanzman qui fait une certaine actualité alors qu’Arte diffuse en ce mois de mars le Rapport Karski, la réponse de Claude Lanzman au roman Jean Karski (1914-2000) de Yannick Haenel. Pour le contexte et les différentes publications liées à cette polémique, je vous renvoie à Polémique actuelle: Les alliés ont-ils abandonné les juifs? (http://bit.ly/d3kCRh). A suivre aussi Cinémadoc lorsqu’il publiera le compte-rendu de l’intervention de Ziva Postec, monteuse de Shoah, dans le cadre du séminaire de Christian Delage Pratiques historiennes des images animées (EHESS). L’article «Master class avec Ziva Postec, 5 mars 2010» de Cinémadoc permet d’ores et déjà de contextualiser l’intervention de Ziva Postec (http://bit.ly/dp8XMs).
Pour conclure ce tour d’horizon, il est intéressant d’élargir la focale pour sortir du seul cadre franco-français relativement au génocide juif, voire de ne pas en rester au seul génocide juif dans l’étude des camps nazis. C’est ce à quoi nous invite à nouveau Cinémadoc avec sa présentation de «Representing the Holocaust”, The American Historical Review». (http://bit.ly/ayNhpD) Pour leur part, neuf historiens allemands, britanniques et américains proposent un panorama des travaux et des questionnements actuels concernant les camps de concentrations allemands de 1933 à 1945 (Jane Caplan & Nikolaus Wachsmann (éditeurs), Concentration Camps in Nazo Germany, Londres et New York, Routeledge, 2010). Je confluerai ma chronique avec ces propos de Calan et Wachsmann dans leur introduction:
«The Third Reich was dominated by camps. Camps were everywhere, in cities and countryside, inside Germany and in newly-conquerred territory. The Nazi leadership was irresistibly drawn of the camp as an instrument of discipline and control —and not just for opponents of the regime.»
Ces propos sont en mesure de nous aider construire avec les élèves un travail d’histoire plus que de mémoire. Une histoire à l’opposé du sarkozysme ambiant et délétère ?
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP Lausanne (Suisse)