Par Marjorie Lévêque et Robert Delord
Le Café Pédagogique Langues Anciennes a eu l’immense plaisir d’interviewer pour vous ce mois-ci, Elizabeth Antébi, créatrice du FELG, Festival Européen du Latin et du Grec. Ce rendez-vous incontournable des passionnés d’humanités, professionnels ou amateurs, de 7 à 77 ans, aura lieu cette année à Luxembourg du vendredi 28 au dimanche 30 mai. Elizabeth Antébi nous en dit un peu plus.
CP : Elizabeth Antébi, en quelques lignes, pourriez-vous retracer votre parcours pour que nos lecteurs vous connaissent un peu mieux ?
E.A. : Le lycée Molière à Paris, hypokhâgne et khâgne, en suivant parallèlement des cours de théâtre chez Dullin. Passe deux licences (Histoire de l’Art et Licence ès Lettres classiques) et joue Angélique de Georges Dandin (Molière) au théâtre de Saint-Brieuc, dans une troupe animée par l’écrivain du Sang Noir, Louis Guilloux. Journaliste free-lance à l’Express, à Lui et quelques autres journaux. Présente le magazine de Polac à la télévision, réalise des films au Service de la Recherche, comme « Alan Watts » ou « Les Evadés du Futur » avec six écrivains de Science-Fiction dont Philip K. Dick. Publie, entre autres livres, Ave Lucifer (1970), Les Filles de Madame Claude (1976), Droit d’Asiles en Union Soviétique (1978, préface de Ionesco), La Grande Epopée de l’Electronique (1981), L’Homme du Sérail (1996). Grand Reporter TV avec Chauvel. Fonde deux maisons d’édition de beaux livres. Passe à l’EPHE, en 1999, le doctorat de sciences religieuses, sous la direction de Gérard Nahon et Henry Laurens (Inalco, Collège de France). Libraire à Bécherel, lance en 2004 le Festival Européen Latin Grec (FELG) avec l’aide de Jacqueline de Romilly, Jacques Lacarrière, Patrick Poivre d’Arvor. Journaliste radio à Canal Académie, interviewe nombre d’Académiciens, historiens, écrivains, dont Jacqueline de Romilly ou Philippe Brunet, directeur de Demodocos.
CP : Qu’est-ce qui vous a poussée à organiser un tel festival ?
E.A. : L’inconscience ! Plus sérieusement, j’avais été alertée par de jeunes professeurs et des élèves, désolés de voir disparaître peu à peu l’enseignement du grec et du latin. Il se trouve qu’à Bécherel, nous pouvions disposer d’un théâtre de 200 places, de 13 librairies pour 700 habitants – puisqu’il s’agit d’une « cité du livre ». Le festival s’est monté en trois mois avec le soutien immédiat de la presse, dont le journaliste d’Ouest-France François Simon qui en a fait une page entière, et bientôt la presse étrangère, surtout anglaise. Je voulais communiquer ma passion, m’insurger contre la disparition de tout ce qui, à mon avis, est en mesure de structurer l’esprit, le choix, la liberté des enfants, de proposer des raisonnements face au bain d’émotions quotidien imposé par l’image télévisée ou du buzz internet. Et revenir au sens des mots et des concepts, car si vous ne les comprenez pas, comment pouvez-vous voter ? Enfin je voulais restituer au rire sa place dans notre manière d’aborder la culture – pas la dérision, le sourire de l’ironie socratique qui fait réfléchir sur les êtres et les événements, l’humour, qui est un état d’esprit, la satire qui provoque la réponse.
CP : Pour la première fois depuis sa création le FELG 2010 sera une édition co-pilotée, pourquoi ?
E.A. : D’abord, il se passe au Luxembourg, et moi-même je vis à Düsseldorf avec quelques sauts à Paris ; je sais que l’on m’appelle parfois ironiquement la Dea ex Machina, mais je n’ai ni le don d’ubiquité, ni celui d’universalité – il serait plus sain que d’autres prennent la relève et accommodent le Festival à leur approche et à leur tempérament, en fonction de leur expérience. Pour le Luxembourg, Franck Colotte, professeur au lycée Aline Mayrisch, était venu en spectateur au FELG 2008 et avait mobilisé les troupes pour le FELG 2009 ; grâce à la collaboration et au travail de la compagnie du lycée, « Thealine », animée par Claire Flammang et Daniel Weyler, une soixantaine d’élèves étaient venus interpréter à Nantes Les Oiseaux d’Aristophane. Mme la Ministre de la Culture du Grand Duché, Octavie Modert nous avait aidés et c’est elle qui nous a offert pour 2010 de venir à l’abbaye de Neumünster, dirigée par Claude Frisoni. Il fallait évidemment que quelqu’un pilote le Festival sur place et soit responsable de la presse et du public. Ce n’est qu’un début : en 2011, nous serons sans doute à Paris ; il est question de la Sorbonne. Or j’aimerais désormais confier la direction du festival à un duumvirat ou triumvirat, moi-même restant dans les coulisses comme Conseil. Il est temps que le Festival prenne son envol, avec d’autres, qui pourront le nourrir différemment. La directrice déléguée en sera sans doute une jeune fille fort talentueuse de 21 ans, Normalienne, Julia Wang. Mais elle ne sera pas seule : Marc-Olivier Girard, du Cercle latin de Paris et qui s’est révélé avec les pièces de théâtre qu’il a montées, que ce soit Le Chaperon Rouge en latin ou Poenulus de Plaute en français avec masques (qu’il a créés), ou encore la « Catabase » qu’il nous prépare d’après Virgile, risque bien de rejoindre le pilotage de ce 7ème festival. Avec peut-être même en collaboration étroite … vous-même cher Robert Delord, si vous acceptez d’en être !
CP : A qui s’adresse ce festival ?
E.A. : D’abord aux enfants et jeunes gens dont je voudrais qu’ils partagent cet éblouissement qui m’a frappée moi-même, la découverte de ces textes dont chacun d’entre eux peut nous frapper au cœur, à l’esprit et à l’âme par tout ce qu’ils contiennent d’universel. Les plus petits peuvent jouer ou participer aux ateliers avec la marionnette Sacapus. Ensuite, il s’adresse aux parents qui voudraient que leurs enfants fassent « un bon métier », c’est-à-dire qu’ils « fassent de l’argent ». C’est en grande partie pour leur répondre que nous avons créé le Point Métier, où l’un des plus célèbres patrons d’une agence de communication, Marcel Botton, fondateur de « Nomen » (qui a trouvé les noms de marques Vivendi, Vinci, Thalès, Iliad, Vélib …) va venir nous lire le dialogue du Cratyle de Platon, avec l’un de ses cadres, helléniste : car ce patron embauche des diplômés de Lettres Classiques. Où le Maire de Luxembourg, après le maire de Londres, témoigne de l’importance des Humanités dans un cursus d’homme politique.
Enfin, le FELG s’adresse à tous ceux qui s’intéressent au théâtre, aux rencontres insolites, à la rhétorique ou à notre héritage judiciaire. Bref à tous ou presque, de 13 à 93 ans.
CP : L’éclectisme du festival est-il une volonté de l’organisatrice que vous êtes, ou une caractéristique intrinsèque de l’étude des humanités ?
E.A. : C’est d’abord une caractéristique intrinsèque des Humanités, qui sont matrice et carrefour de la politique, de l’économie, de la philosophie, de la science, de la poésie, de la tragédie, de la comédie, de l’histoire, du journalisme, de l’architecture, de la sculpture, des mythes, du Droit, de la rhétorique, des langues européennes, même des traités agricoles ! Mais ce doit être aussi une caractéristique intrinsèque de l’organisatrice et son péché mignon. Quand je pense à l’Iran, je songe à Eschyle ou Xénophon, quand on parle paix, à Aristophane ; quand j’étais journaliste, je relisais Hérodote ; quand j’écoute Vassilis Alexakis, qui nous fait l’honneur de venir cette année à notre festival, c’est toute la Grèce que j’entends et sa « Langue maternelle » toujours vivante ! Et mon côté « meneuse de revue » se satisfait de présenter danses et chansons.
CP : En quoi peut-on dire que ce festival est vraiment européen ?
E.A. : Dès le départ, nous avons invité Karl-Heinz de Rothenburg qui venait d’Aix-la-Chapelle, nous présenter ses Asterix en latin. Et nous avons eu dans la salle une Finlandaise et des Grecs, plus tard bien d’autres nationalités et même des espérantistes. Car j’avais bien pressenti que si nous jouions franco-français, nous étions perdus ! Le mot « impossible », je regrette de le dire, est souvent français. Par expérience je savais qu’il fallait gagner le pari sur la scène européenne. Angelica Karolyi a immédiatement accepté d’envoyer une troupe d’un lycée hongrois au FELG 2006 jouer « Les fantômes » de Plaute, et, dans la salle, un lycée de Sarcelles a relevé le défi : une dizaine de jeunes filles sont parties jouer en Hongrie, sur le site archéologique de Gorsium, « Le Procès d’Hélène » pièce montée à partir de textes de l’Antiquité avec leurs professeurs, Camille Hémard et Nicolas Oltramare qui a écrit avec un grand talent les textes de liaison ; la Finlande nous a envoyé au FELG 2006 le Dr Ammondt, professeur de philosophie qui a interprété les chansons d’Elvis Presley en latin – un tabac ; le groupe allemand ISTA est venu nous faire du hip hop latin au FELG 2008 ; la compagnie Thiasos, formée de professeurs et d’étudiants de l’université de Coimbra, nous a joué Aristophane à Nantes et a reçu l’année suivante la troupe montée par Chantal Collion qui interprétait une pièce qu’elle a composée sur la paix, en suivant, si j’ose dire, le fil d’Erasme ; les Grecs nous ont envoyé à Bécherel puis à Nantes l’actrice Anastassia Politi qui dirige la Compagnie Erinna, et ont participé au spectacle 2009 avec des enfants qui disaient Homère et lisaient Asterix en grec ancien et en grec moderne ; en 2006, la ville de Rimini, qui produit un magnifique Festival del Mondo Antico, m’a invitée à venir présenter le FELG en Italie. Ces parcours croisés européens font d’ailleurs découvrir une autre manière d’aborder les langues anciennes et de discuter par exemple entre peuples qui disent « je t’aime » (qui vient de amo) et peuples qui disent « ich liebe dich » ou « I love you » (qui viennent de libet) :/). J’ai même eu une assistante lettone qui désormais vient comme spectatrice – Ilze Murniece – et dont j’ai quelque peu dirigé le mémoire de DEA sur l’importance des langues anciennes pour l’Europe, qu’elle a soutenu en allemand et en français à Görlitz, ville limitrophe de la Pologne ! J’étais vraiment fière ce jour-là !
CP : Nous invitons bien sûr tous nos lecteurs à se rendre au festival du 28 au 30 mai à Luxembourg, mais pour ceux qui ne pourraient faire le déplacement il est apparemment possible de participer à distance. Pouvez-vous nous expliquer comment ?
E.A. : Je travaille avec Olivier Coen, directeur d’Anarès Multimedia, qui est en train de mettre au point un procédé virtuel permettant de suivre en ligne et en direct le Festival, avec toutes les interventions filmées. On pourrait même concevoir une certaine interactivité, puis des DVD-souvenir. Pour l’instant, nous sommes en train de préparer un ou plusieurs DVD reprenant tout le contenu des festivals passés, mais cherchons producteur – qui pourrait être un CRDP. Nous voudrions lier tout cela à un site qui organiserait un Festival en ligne, auquel on accèderait non pas avec un billet, mais avec un mot de passe. Mais pour l’instant, on peut tout bonnement me contacter et j’envoie un « Cahier du FELG » passé, ou je mets en ligne au fur et à mesure l’évolution du Festival, de ses préparatifs d’abord, de sa réalisation ensuite. Sur le site actuel on trouve aussi les dossiers de presse et les archives qui permettent de revivre les festivals passés.
CP : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un professeur qui viendrait au festival avec ses élèves ?
E.A. : Cela dépend un peu de l’âge des élèves. Les ateliers et expositions sont parfois d’un accès plus facile pour les plus jeunes. Mais je suis étonnée de voir combien les élèves s’adaptent lorsqu’on leur parle un langage exigeant. A vrai dire, je ne me permettrais pas de donner des conseils, sinon celui de préparer peut-être l’écoute de certaines conférences ou discussions. Surtout, qu’ils s’amusent et se détendent.
CP : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un professeur qui viendrait au festival seul ?
E.A. : De retrouver son âme d’enfant et sa passion de la découverte.
CP : Comment réussissez-vous à financer un tel projet chaque année ?
E.A. : Je n’y réussis hélas plus beaucoup. Au départ nous pouvions bénéficier de subventions (Conseil régional, Conseil général, DRAC) ou de frais payés par des éditeurs (Fallois, Calmann-Lévy, Belles Lettres, Le Rocher) et des ambassades, ministères étrangers, fondations ou associations. Maintenant, beaucoup (pas tous) nous aident en payant leur voyage et leur séjour et en nous offrant leur intervention, car ils partagent nos convictions, et nous les en remercions, ou bien des parents d’élèves nous font profiter de possibilités de transport. Mais, sans subventions – même si l’on nous offre les lieux qui sont superbes et la régie cette fois-ci !-, nous n’avons que le prix des billets pour payer tous les frais. Or nous devons les maintenir assez bas, car nos spectateurs viennent souvent d’un peu partout et doivent aussi payer leur voyage et hébergement. Si nous ne trouvons pas d’autre solution, nous devrons sans doute abandonner. Car c’est un événement à fonds totalement privés et les mécènes ne se bousculent pas, la débrouille est à l’œuvre. Quousque tandem, comme disait notre ami Marcus Tullius ? Comme toujours beaucoup nous soutiennent et nous encouragent… de loin, et sans concevoir que nous ne pouvons survivre sans qu’ils se déplacent, avec des classes pour les professeurs – dont certains, je dois le dire, nous accompagnent malgré tous les obstacles ! Merci en particulier au lycée de Bernay si valeureux en la matière !
CP : Pour les prochaines éditions, quels lieux sont envisagés ?
E.A. : Paris. La Sorbonne, si Dieu et le Recteur le veulent – comme il en semble -, mais dans la mesure où les travaux envisagés le permettront. Et la ville de Paris, car nous rêvons d’un grand défilé de mode antique et d’une pièce jouée … dans les Arènes.
CP : Recherchez-vous toujours des collaborateurs pour les prochaines éditions et le journal du festival, Ganymède ?
E.A. : Et comment donc ! Notre jeune rédacteur en chef, Antoine Thiollier – dont la ressemblance avec Catulle est frappante – fait appel à tous les collégiens, lycéens, étudiants qui voudraient écrire dans ce journal pour les collégiens, lycéens et étudiants, qu’ils aillent consulter les premiers numéros sur notre site et inventent leur journal ! D’ailleurs Julia Wang, Normalienne, Antoine Thiollier, étudiant en histoire et acteur de la troupe du Hérisson Bleu, et Kevin Lognoné, étudiant en Droit, sont en train de fonder l’association « Fortuna Juvat Junior » qui va vivre sa vie propre, en liaison avec notre association « Fortuna Juvat », qui désire devenir désormais un « Portail » et facteur de liaison entre associations qui poursuivent les mêmes buts dans les domaines du latin, du grec, des Lettres, de l’histoire, des langues, voire de la science et des mathématiques, ouvrant sur la vie intellectuelle et les échanges non dénués d’humour – Pierre Dac n’a-t-il pas écrit l’immortelle « Phèdre à repasser » ? Qui aime tout cela nous rejoigne ! Nous projetons une fête tous les deux mois pour présenter les uns aux autres. Qu’on n’hésite pas une fois de plus à nous contacter, car je répéterai ce mot qui devient notre devise : interactivité.
CP : Comment envisagez-vous un système scolaire où ne seraient plus enseignés le latin et le grec ?
E.A. : Je ne l’envisage pas. Ce qui risque d’arriver, c’est que le latin et le grec ne soient plus enseignés qu’en petits cercles et que la démocratisation, voire « l’égalité des chances » que représente leur enseignement (cf. le merveilleux « Homère et Shakespeare en banlieue » de notre Robin des Bois des Lettres Augustin d’Humières) soient enterrées par les fanas du F.M. (« Fric Maintenant ») dont l’hybris risque bien d’être punie. Ils feraient mieux de relire Ploutos d’Aristophane. « E bove ante, ab asino retro, a stulto ubique cave ! » Méfions-nous du bœuf par-devant, de l’âne par derrière, du sot de tous les côtés. L’obsession de la modernité et de la post-modernité est devenue celle des nouveaux Trissotin. Le latin et le grec ne sont pas les clés de la culture, elles en sont un des paramètres non négligeables et je m’étonne toujours d’entendre parler de classes européennes sans étude des Humanités.
CP : Merci chère Elizabeth Antébi, d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Les rédacteurs du Café Pédagogique Langues Anciennes seront présents au 6ème Festival Européen du Latin et du Grec et proposeront un compte-rendu à leurs lecteurs. Souhaitons donc longue vie au FELG !
Programme du 6ème FELG :
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Concours SMS et poésie :
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Concours de création de jeux :
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