Par Jeanne-Claire Fumet
La Ligue de l’enseignement et Solidarité Laïque lançaient officiellement, le 11 mars 2010, leur nouvelle campagne de solidarité dans l’accès à l’éducation, « Pas d’éducation, pas d’avenir ! ». Succédant à la traditionnelle Quinzaine de l’école publique (fondée en 1946), l’action gagne en ampleur et en ambition internationale : déjà forte de plus de 300 projets dans le monde, elle entend créer 70 à 80 nouvelles initiatives par an dans un secteur géographique plus vaste (Inde, Pays de l’Est…).
Quelques chiffres d’abord : 72 millions d’enfants encore non scolarisés (1 enfant sur 5), 759 millions d’adultes analphabètes, dont 2/3 de femmes. Les filles restent d’ailleurs majoritairement exclues de la scolarisation. Les mauvaise conditions sont fréquentes (classes surpeuplées, horaires faibles, manque d’enseignants) et surtout sans suivi au-delà des apprentissages élémentaires. Le projet UNESCO d’un accès universel à l’école primaire pour 2015 se heurte aux réticences des pays riches à verser la part de financement à laquelle ils se sont engagés.
Jean-Marc Roirant, Secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, Roland Biache et Dominique Thys, respectivement délégué général et président de Solidarité Laïque, ainsi que Jimmy Adjovi-Boco, footballeur et parrain de la campagne, ont rappelé les principes fondamentaux du mouvement, en particulier la référence aux textes des Droits de l’Homme, de la Charte Internationale des Droits de l’enfant et le Pacte international pour les Droits civiques.
En France, l’appel aux dons reste un élément clé de l’opération : en plus des ventes de vignettes en milieu scolaire, auront lieu cette année une journée nationale de collecte publique (dimanche 16 mai) et une campagne de participation beaucoup plus ouverte auprès des particuliers qui pourront participer activement au montage d’actions spécifiques sur le projet de leur choix
Sur le terrain, les initiatives originales fleurissent. Jimmy Adjovi-Boco évoque le projet Diambars, qu’il a fondé au Sénégal en 2003 avec Saer Seck, Bernard Lama et Patrick Vieira : les instituts Diambars (à Saly au Sénégal et à Johannesbourg en Afrique du Sud) relèvent le pari de former des footballeurs de haut niveau en consacrant 70 % du temps d’étude à la scolarité, et en accompagnant les joueurs même s’ils arrêtent le sport. Le stade y devient un lieu de rencontre avec des artistes, des scientifiques, et les valeurs du respect de l’arbitrage et des règles communes, des modèles éducatifs – à condition de garder un excellent niveau de résultats scolaires et sportifs, pour garder la confiance des jeunes.
Autre acteur de terrain, Michel Mendiboure, membre de la Ligue de l’enseignement des Yvelines, évoque son travail avec l’association ADEB (Aide pour le Développement par l’Ecole du Burkina Faso) : après la création sur 10 ans de 10 écoles en brousse, le constat du manque de formation des enseignants et de la déperdition des acquis scolaires a conduit à l’idée d’un centre de ressources et de formation. Construit sur un site de 10 ha accessible par la route à partir de Ouagadougou, doté d’un puits et de latrines, le Centre manquait d’un moyen de subsistance autonome. L’idée d’élever des aulacodes, gros rongeur à chair fine et très riche en protéine, protégé à l’état sauvage en raison d’un fort braconnage, a résolu le problème : source de revenus, occasion d’apprentissage de techniques d’élevage, transférable ensuite par les enseignants dans leurs écoles, mais aussi approvisionnement de la cantine, le rongeur s’est transformé en ressource exemplaire.
Le projet de la Ligue de l’enseignement et de Solidarité laïque s’inscrit ainsi pleinement dans la Campagne mondiale pour l’éducation, née en 1999 et prolongée par le Forum éducation pour tous de Dakar ; il participe du plaidoyer en faveur de l’Education pour tous soutenu dans ce cadre.
Entretien avec Dominique Thys, président de Solidarité Laïque.
Comment cette campagne s’inscrit-elle dans l’action de Solidarité Laïque ?
Solidarité laïque est une association reconnue d’utilité publique, qui regroupe 55 organisations principalement issues du milieu éducatif. Elle s’est constituée en 1956, à l’occasion de la crise hongroise de Budapest, sous l’action de militants syndicaux de la FEN qui ont accueilli des réfugiés hongrois. Elle a donc une tradition de solidarité et une identité éducative fortement ancrées.
Notre structure est forte, puissante par le nombre des organisations, mais surtout par la diversité des acteurs : nous nous caractérisons comme fédération de compétences. Nous sommes bien reconnus par les pouvoirs publics dans notre rôle d’assembleurs de programmes, et subventionnés à ce titre. Notre budget de 4 millions d’euros comprend 3 millions de subventions.
Notre rôle premier est de fédérer autour de l’éducation au développement partout dans le monde. L’universalité des droits à l’éducation – à une éducation de qualité – comme facteur d’autonomie est le principe fondamental de notre action.
L’expertise acquise dans ce domaine vous inspire-t-elle des réserves sur l’organisation de l’éducation en France ?
Notre rôle n’est pas de dire : il faut faire plus en France. Si des engagements sont pris dans le cadre international et ne sont pas tenus, il est de notre devoir de le souligner. Mais il y a tout de même des urgences et des priorités. Les problèmes de l’éducation dans les pays occidentaux ne sont pas comparables avec ce qui se passe ailleurs dans le monde, les difficultés ne sont pas de même nature. Notre travail consiste à nous inscrire dans une démarche associative, de coopération, dans l’axe des problèmes internationaux, en rassemblant les structures et les fédérations qui peuvent travailler mieux et plus efficacement ensemble. Nous avons ainsi intégré la Campagne mondiale de l’éducation, dont il n’y qu’un seul représentant par pays. C’est là que réside notre compétence et notre savoir-faire, ce qui justifie notre et notre subventionnement.
Peut-on valoriser des conceptions solidaires et collectives de l’éducation alors que les techniques de formation tendent vers l’individualisation et l’isolement progressif des apprenants ?
Dans le monde actuel où tout est compétition, il est assez satisfaisant de voir des gens capables de se rassembler pour travailler mieux dans une perspective solidaire. La relation entre les hommes comptent beaucoup plus que l’outil – je suis un humaniste convaincu. On n’apprend pas tout seul, on apprend avec les autres. Le développement des techniques donne des possibilités extraordinaires ; mais il faut savoir l’utiliser comme un outil préparatoire, qui ne pourra jamais remplacer l’échange et la présence. Quand on est enseignant dans une classe, on vit dans une collectivité éducative, et on sait bien le rôle que jouent les échanges directs entre les membres de cette collectivité. L’éducation pour l’avenir ne peut être qu’une affaire de relations humaines et de préoccupation solidaire.
Le site de la campagne :
http://www.pasdeducationpasdavenir.org/