Par Monique Royer
Le fil du Café Pédagogique se lit aussi au gré des rencontres et des portraits, portraits d’hommes et de femmes qui éclairent de leurs actions et de leurs réflexions une certaine idée de l’éducation. Martine Storti appartient à cette confrérie des personnes pour nous remarquables. Une conversation avec elle contient toutes les promesses d’une visite de notre histoire contemporaine avec les questions, les indignations qu’elle soulève et cette dose d’insolence nécessaire pour tordre le coup à la tentation de l’impuissance.
Passeuse d’histoire
Le parcours de Martine Storti est celui d’une enfant de l’école républicaine. Fille d’immigré italien, étudiante engagée à la Sorbonne, elle devient enseignante en philosophie dans un lycée du Nord de la France. Sa participation au combat pionnier des femmes l’amène à rejoindre l’aventure du journal Libération. Au fil de ses chroniques, elle raconte le développement du mouvement féministe et la manière dont la société reprend ou ne reprend pas les idées qu’il porte.
A l’occasion des 40 ans du MLF, Martine Storti publie une compilation de ses articles parus dans le quotidien entre 1974 et 1979. « Livre de circonstances », selon son auteur, « Je suis une femme, pourquoi pas vous? » rejoint les multiples initiatives orchestrées par Re-belles, « Festival Femmes Appellation d’Origine Incontrôlée ». A la lumière de cet anniversaire, l’objectif est de transmettre les subtilités d’une histoire mal connue, embrumée par les clichés et les caricatures.
Car l’histoire des femmes, de leurs combats est souvent l’oubliée de l’Histoire avec un H majuscule. Pour Martine Storti, les pionnières du MLF étaient aussi dans une certaine ignorance. « Nous étions toutes des filles de Simone de Beauvoir, mais nous ne savions pas grand-chose sur les mouvements féministes entre les années 20 et les années 40 et encore moins sur ceux du XIXe siècle. »
Le mouvement dans les années 70 était un mouvement plein d’humour avec de l’insolence et de la créativité. Les slogans gardent la trace de cette créativité, un état d’esprit qui fait aussi partie de l’histoire. « ll y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ! » « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette » « Ne me libère pas, je m’en charge » pouvait on lire. « Oserions-nous cela aujourd’hui ? » s’interroge Martine Storti. « La société des années 70 était à la fois une chape de plomb sur les mœurs et en même temps on était plus libre. Nous n’étions pas dans la communication, nous n’avions pas de plan média. Nous ne nous préoccupions pas de savoir si ça allait entrer dans le scénario tel qu’il doit être écrit. Nous faisions notre propre mise en scène. »
L’éducation à l’urgence, un engagement féministe
Après avoir été journaliste, Martine Storti a participé à différents cabinets ministériels puis a réintégré la sphère de l’éducation comme Inspectrice Générale. L’éducation en situation d’urgence, après une catastrophe naturelle ou suite à un conflit, est devenue son nouveau combat. Reconstruire l’école est un moyen de laisser la vie ordinaire reprendre son cours, en premier lieu pour les enfants. Elle souhaite que cette action devienne une véritable politique portée par l’Etat mais se heurte aux fluctuations d’intérêt pour le sujet au gré des changements de ministres.
« Une grande partie de cette action, je l’ai faite en tant que femme et féministe, en insistant sur certains enjeux auprès des ministres de tutelle». En Afghanistan ou au Kosovo, elle bataille pour que l’éducation soit un véritable pilier de la reconstruction. « En Afghanistan, je me suis bagarrée pour qu’on ait de l’argent pour reconstruire des écoles hors de Kaboul et pas seulement dans la capitale (c’était en 2002). Il fallait aller ailleurs, dans les montagnes et voir ce que l’on pouvait faire pour la scolarisation des filles.
A Narhin, par exemple, « l’école de filles existante était dans un état pire que celle des garçons, avec des difficultés d’accès freinant la scolarisation féminine. L’école des filles a été reconstruite pour être plus proche des habitations et a pu accueillir 600 élèves. » Elle assiste, émue au retour des filles à l’école après des années de voile sur l’instruction posé par les Talibans. « Les filles n’avaient pas le droit d’aller à l’école mais les femmes profs continuaient à faire l’école de façon clandestine. En 2002, lorsque les écoles rouvrent, les filles se précipitent à l’école. », nous raconte t-elle. Elle reste toutefois lucide sur les motivations d’une présence affirmée de femmes professeurs dans un pays en reconstruction. « La présence internationale fait que les ONG, les organismes internationaux tels que l’ONU et l’Unicef aspirent les compétences présentes dans le pays et plutôt les compétences masculines. » On constate, en Afghanistan, au Kosovo et ailleurs, que ce sont les femmes qui restent à l’école. Les hommes travaillent ailleurs, là où ils sont mieux payés, là où le salaire proposé peut être jusqu’à 20 fois supérieur au salaire d’enseignant.
La persistance des inégalités
En France aussi, dans une moindre mesure, les inégalités persistent. Les femmes sont majoritaires dans l’Education Nationale : 69% selon l’étude de la DEPP sur les personnels de l’éducation en 2009. Toutefois « la place des femmes dans la hiérarchie n’est pas très importante. A l’inspection générale elles sont très minoritaires alors qu’elles sont largement majoritaires chez les profs et les CPE. » Martine Storti constate aussi que les représentations persistent. « La deuxième chose qui frappe c’est qu’on est toujours hélas dans le même constat. Les filles réussissent mieux que les garçons mais en matière d’orientation, on reste sur des profils de genre extrêmement séparés. Elles ont du mal à s’orienter vers des études porteuses d’avenir, d’emploi. Les meilleures élèves réussissent moins bien que les garçons aux concours », nous dit elle.
En 74, Libération organisait un débat sur le sexisme à l’école. Deux ans plus tard, un numéro spécial des Temps Modernes paraît sur l’éducation des petites filles. Pour Martine Stoti « beaucoup de choses restent actuelles. Par exemple, la question des attentes qu’ont les enseignants de maternelle. Nous observons encore que les comportements attendus sont marqués par le genre. Le rangement de la classe se fera essentiellement par les filles sans que l’enseignante n’intervienne. Cela se fait de façon inconsciente. »
Martine Storti analyse les questions posées par les tenues vestimentaires : « il existe aussi un gros problème pour les filles dans certains établissements. Avant, porter un pantalon était un combat pour les femmes, aujourd’hui, les filles doivent se battre pour porter une jupe. C’est un paradoxe extraordinaire. Dans certains lycées et collèges, les filles ne peuvent mettre autre chose qu’un survêtement. Porter une jupe c’est être une pute au regard des autres. C’est quelque chose d’épouvantable qui renvoie à d’autres choses, notamment à la façon dont les religions veulent s’approprier les corps et les femmes. Les jeunes femmes qui se sont battues pour l’avortement se battaient contre l’église catholique. Aujourd’hui, c’est la religion musulmane. On voit aussi dans d’autres établissements des filles avec le nombril à l’air. Dans les deux sens, c’est choquant. C’est la cohabitation de deux extrêmes qui ni l’un ni l’autre ne renvoie ni à l’émancipation ni à la libération. »
Les combats menés par Martine Storti au cours de son parcours font écho aux questions vives de l’actualité. L’éducation et la place de la femme s’y rejoignent. Pour elle, le débat sur l’identité nationale ou sur le voile, la situation des femmes dans de nombreux pays font des femmes un enjeu de la scène géopolitique, un instrument sur l’échiquier des politiques. « C’est au nom des femmes que de nombre de débats, de querelles, de politiques se mènent », analyse t’elle. Dans cette perspective le féminisme du XXIe siècle pourra s’inspirer de la vigueur et de l’insolence des pionnières pour écrire une nouvelle page de son histoire.
Le site de Martine Storti
Re-belles
http://re-belles.over-blog.com/
Education en situation d’urgence, entretien avec François Jarraud
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/2010/se[…]
Etude de la depp
http://education.weka.fr/flash-education/etude_sur_le_p[…]
Les 40 ans du MLF : manifestations
En 1970, un groupe de femmes dépose une gerbe sous l’Arc de Triomphe en hommage à la femme du soldat inconnu. Cette intervention marque symboliquement la naissance du MLF, mouvement de Libération des Femmes. Le collectif « 40 ans de mouvement des femmes », présidé par Martine Storti, organise tout au long de l’année 2010 des manifestations pour revisiter 40 ans de combats féministes. Colloques, expositions, projections de films, spectacles, débats, de multiples initiatives seront développées à Paris et en province à partir du 8 mars.
L’année commencera par des projections et un colloque au Forum des Images à Paris du 11 au 14 mars sur le thème « Quand les femmes s’emparent de la caméra ». Une exposition photo retraçant l’histoire du féminisme se déroule dans plusieurs mairies. En avril aura lieu à Créteil le festival international de films de femmes. Nantes et Toulouse accueilleront des manifestations au cours du premier semestre. Et ce ne sont que quelques exemples.
Le programme disponible sur le site Re-belles n’est pas exhaustif. Le collectif propose également aux équipes pédagogiques d’organiser des expositions et des débats au sein des établissements.
Le blog du collectif Re-belles
http://re-belles.over-blog.com/
« Je suis une femme, pourquoi pas vous ? »
Les chroniques de Martine Storti, publiées dans Libération entre 1974 et 1979 et rassemblées dans un ouvrage sorti début mars aux éditions Michel de Maule, constituent un riche témoignage sur notre histoire proche.
De la nomination de Françoise Giroud au Secrétariat d’Etat à la Condition Féminine à la grande manifestation pour défendre la liberté de l’avortement, le lecteur visite ou revisite les évènements nationaux et internationaux, observe les progrès du féminisme et les débats qui le taraude. L’ouvrage se fait aussi l’écho des luttes sociales en France et des tensions géopolitiques, vues du côté des femmes.
Placé sous le signe de l’insolence, les chroniques se succèdent pour traiter de sujets aussi variés que le sexisme à l’école, le traitement judiciaire du viol, le journal « Détective », la lutte des femmes espagnoles ou encore d’ « une journée particulière » d’Ettore Scola.
Quels étaient les thèmes de débats, les questions d’actualité ? Sont-ils devenus désuets ou au contraire perdurent ils dans nos préoccupations ? Les avancées depuis les années 70 sont elles réelles ? Avec son ton alerte, le livre de Martine Storti nous permet de nous interroger et d’ouvrir le dialogue, y compris au sein de nos classes.
Martine Storti « Je suis une femme, pourquoi, pas vous ? » éditions Michel de Maule –Paris