Par Jean-Louis Auduc
« Un ersatz de formation » c’est ainsi que Jean-Luis Auduc, directeur adjoint d’IUFM, juge la formation des futurs enseignants définie par la dernière circulaire de cadrage du 25 février. » Le stagiaire va le plus souvent, en fait, se retrouver seul face aux difficultés de gestion de la classe », une situation qui pénalisera les enseignants mais aussi les jeunes qui recevront ces débutants. Ce sera particulièrement le cas dans les départements déjà défavorisés, introduisant ainsi plus d’inégalité dans le système éducatif.
La circulaire du 25 février 2010 sur les enseignants-stagiaires signée par le directeur général de l’enseignement scolaire et le secrétaire général du ministère de l’éducation nationale est un texte qui tourne le dos aux besoins du système éducatif
Le ministère de l’éducation nationale a publié le 25 février 2010 une circulaire relative au « dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premier et second degrés et des personnels d’éducation stagiaires » qui concerne les reçus aux concours de recrutement d’enseignants de la session de juillet 2010. Cette circulaire qui insiste sur « l’importance de l’année de prise de fonction » et sur la nécessité de « mieux former les enseignants », tourne le dos à ces principes.
Les reçus aux concours de juillet 2010 ont préparé pendant un an un concours basé pour l’essentiel sur les connaissances disciplinaires sans avoir eu souvent la moindre approche de ce qu’est l’acte d’enseigner. Or, c’est à eux qu’on propose un ersatz de formation qui risque de les laisser bien démunis devant les réalités de l’exercice du métier enseignant. Le stagiaire va le plus souvent, en fait, se retrouver seul face aux difficultés de gestion de la classe. On est bien loin d’un enseignement en alternance !
On retrouve souvent dans ce texte l’essentiel de ce qui était auparavant prévu ( et qui devrait disparaître) pour les titulaires lors de leur première année d’exercice après leur année de formation professionnelle en alternance en IUFM et dans une classe. La grande différence, c’est que dans ce qui est proposé ici, le stagiaire n’aura jamais eu auparavant de formation professionnelle.
La programmation de disparités considérables entre les territoires
On aurait pu attendre d’une circulaire ministérielle qu’à l’image des circulaires précédentes d’avril 2002 ou décembre 2006, elle prévoit un cadrage précis des horaires et des contenus de formation valables dans toutes les académies ou départements. Loin de cet objectif, cette circulaire revêt pour reprendre un terme y figurant, un caractère « souple » et s’appliquera en fonction des moyens et des possibilités pouvant exister dans chaque académie ou chaque département.
Chaque responsable s’adaptera comme il le peut.
La circulaire fourmille d’ailleurs d’expressions non contraignantes :
« déclinés selon les académies et les départements »
« en tenant compte de vos spécificités »
« d’autres formes d’accompagnement que vous jugerez utiles pourront être mises en œuvre »
« sauf situations particulières que vous apprécierez »
« en fonction des personnels ressources dont vous disposerez »
« dans toute la mesure du possible » ( à trois reprises dans le texte !)
« autant que faire se peut… »
« formes adaptées aux spécificités de votre académie ou de vos départements »
La seule formation professionnelle dont pourront bénéficier les stagiaires en 2010-2011 sera donc liée au potentiel de moyens susceptible d’exister dans chaque académie et chaque département. Aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour l’application de cette circulaire.
La réforme de la formation des enseignants montre ici son vrai visage : faire à tout prix des économies budgétaires !
De lourdes conséquences pour certaines académies et certains départements
Cette adaptation aux possibilités locales sans moyens supplémentaires aura de lourdes conséquences. Il y aura des disparités importantes entre les différentes parties du territoire et les choix effectués seront davantage pilotés par des impératifs de gestion plutôt que par l’intérêt des élèves.
En effet, tous les observateurs attentifs du système éducatif le savent, les territoires avec les populations les plus défavorisées sont aussi les zones où il y a le plus de difficultés de remplacement, où dans le premier degré les personnels en ZIL ou en brigades de remplacement sont très insuffisants, où il y a le moins de maîtres formateurs ou de conseillers pédagogiques.
Ce sera donc dans ces départements, ces académies, où faute de moyens suffisants de remplacement adéquats, la formation professionnelle des enseignants risque d’être la plus chaotique, la plus faible, voire inexistante dans un certain nombre de cas, alors que dans ces territoires la réussite des jeunes nécessiterait des enseignants très bien formés. On marche sur la tête !!! On tourne ainsi le dos à l’égalité de traitement de tous les élèves dans le service public de l’éducation nationale.
Le déni de la fonction de formateur d’enseignant
La circulaire évoque une fois l’expression « analyse de pratique », mais il n’y a aucune précision sur les contenus possibles de cette démarche et sur la manière dont ces analyses de pratiques pourraient se réaliser.
Les moments d’analyses de pratiques sont pourtant des moments décisifs pour que le stagiaire comprenne l’importance d’une posture réflexive , de mise à distance par rapport à ce qu’il a vécu dans sa classe.
L’analyse de pratiques doit permettre au stagiaire de :
– relier les apprentissages effectués en formation et de les éclairer par une mise en perspective ;
– se référer aux savoirs constitués pour mieux nommer et comprendre l’expérience de terrain ;
– faire des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques ;
– dégager le caractère multiple et hétérogène du métier enseignant.
A part avec l’évocation des maîtres formateurs pour le premier degré, la circulaire semble pas reconnaître qu’être formateur d’enseignant, c’est une qualification spécifique qui ne s’improvise pas et qu’il ne suffit pas d’être « chevronné » ou « expérimenté » pour reprendre deux expressions figurant dans le texte ministériel pour être apte à professionnaliser le jeune enseignant.
Apprendre les gestes professionnels, les gestes du métier, la gestion de la classe et des éventuels conflits, cela ne se résume pas à l’imitation des gestes d’un autre.
Une formation axée quasi-exclusivement sur l’établissement peut être un danger si elle devient l’essentiel de la formation, car elle peut :
– conforter le stagiaire dans ses préjugés, dans ses idées préconçues sur le métier enseignant ;
– donner une seule vision des réponses à fournir par rapport à une situation sans les confronter avec d’autres réponses possibles ;
– privilégier l’approche territorial aux dépends d’un cadrage national ;
– en fait favoriser le conservatisme des démarches pédagogiques en ne permettant pas de réfléchir sur la pluralité des réponses pédagogiques possibles pour mettre en situation d’apprentissage les élèves ;
– conformer et formater le stagiaire sur des profils précis.
Enseigner est un métier qui s’apprend
Symbole de ce refus de considérer qu’enseigner est un métier qui s’apprend et qu’il peut exister des formateurs d’enseignant, le terme IUFM ne figure à aucun moment dans la circulaire.
Veut-on ainsi laisser les structures de l’enseignement catholique être les seules à reconnaître la qualification de formateur d’enseignant permettant ainsi à ce secteur et à ses « organismes en charge de la formation continue » reconnues par la circulaire, d’être en pointe par rapport à l’approche par compétences dans le cadre du socle commun ou concernant l’accompagnement personnalisé des collégiens et lycéens ?
Pour montrer le peu d’importance attachée dans la circulaire aux contenus de la formation, il faut relever les formulations concernant la première prise de contact des stagiaires avec leur affectation et leur changement de statut : « basée sur le volontariat », « au plus tard le 30 août 2010 »……
Quand on sait pour des jeunes reçus aux concours de recrutement d’enseignants ce que signifie leur première rentrée en tant qu’enseignant avec la découverte de leur nouveau statut de fonctionnaire du service public d’éducation avec ses droits et ses obligations, mais aussi pour beaucoup d’entre eux la découverte d’une nouvelle organisation de la vie ( rupture avec la famille, recherche de logements,…), de nouveaux territoires et de nouveaux publics, on voit combien le contenu de cet accueil peut être décisif pour l’entrée dans le métier et combien il est stupéfiant de voir ce moment important ainsi traité dans une circulaire ministérielle.
Il est pourtant extrêmement de prendre en compte dès la prise de fonction la dimension éthique du métier enseignant.
Toute personne qui assume une responsabilité éducative doit se référer à un système de valeurs. Il s’agit de former des professionnels autonomes et également des fonctionnaires, de les former à leur positionnement dans leur institution, sans pour autant les formater.
La réception du stagiaire dans les académies, départements et établissements scolaires est très cadrée dans la circulaire. Elle apparaît particulièrement institutionnelle avec présence des corps d’inspection et des personnels de direction.
La présence de formateurs du terrain ou des IUFM n’est pas prévue alors qu’elle serait importante pour travailler sur le recensement des besoins des stagiaires.
Une surcharge de travail pour le stagiaire !
Le volume de la formation qui « peut » être proposée aux stagiaires doit selon la circulaire être « équivalent à un tiers de l’obligation réglementaire de service du corps auquel appartient le stagiaire ».
Le texte ne précise à aucun moment que cet équivalent « tiers de service » soit partie prenante du service effectif du stagiaire.
La circulaire semble même dire l’inverse puisqu’est compté dans ce temps :
– la formation avant la prise de fonction, même si celle-ci est caractérisée dans le texte comme « basée sur le volontariat » !
– les heures de visite, de présence dans la classe du « tuteur », les discussions avec celui-ci ;
– des formations filées ( pourquoi pas le mercredi ?)
Il est d’ailleurs clairement indiqué dans le texte qu’ « il est indispensable de veiller à concilier les temps de formation et d’accompagnement avec la nécessaire continuité du service à rendre à l’élève. »
En clair, cela signifie que la formation éventuelle risque d’être en supplément du service réglementaire effectué sans rémunération bien entendu d’heures supplémentaires….
Ainsi, à l’inverse de toutes les recherches menées qui montrent que l’enseignant débutant passe un temps considérable à préparer ses séquences, ses progressions, se vit comme débordé, soumis à la pression de l’urgence, on propose dans cette circulaire d’ouvrir la possibilité non pas d’une véritable alternance formation/exercice réel du métier, mais de faire effectuer par le stagiaire quatre ( !!!) tiers de service, dont un de formation……
Des conditions d’exercice particulièrement difficiles
L’enseignant stagiaire risque avec cette circulaire de se trouver dans des conditions d’exercice du métier enseignant très difficiles.
Ainsi pour le premier degré, il risque d’exercer avec des obligations de service supérieures à celles des autres enseignants et il sera « affecté en brigade de remplacement », « stabilisé dans une école jusqu’aux vacances de la Toussaint », après, « il est souhaitable de proposer des remplacements longs ».
L’enseignant stagiaire découvrira donc dans le premier degré l’exercice du métier en étant affecté deux mois à un niveau dans une école, puis après effectuera dans différents niveaux et différentes écoles des remplacements sans avoir de réels moments de réflexions sur ses pratiques, sans pouvoir réellement construire des progressions ou son autorité éducative dans la durée.
Il y a antinomie à oser parler de « formation » avec la prévision de telles conditions d’exercice !
Un bricolage destructeur pour la réussite des élèves
Durant les éventuels stages « groupés » que le stagiaire pourrait suivre, il est prévu dans la circulaire que leur remplacement serait effectué « par des contractuels ou des étudiants de master 2 ayant déjà effectué des stages et des remplacements ».
Ce bricolage montre que le souci d’économie de moyens est bien loin du souci de réussite des élèves.
Faire remplacer des stagiaires par des étudiants de M2, c’est faire du stage de master, une simple utilisation comptable de moyens horaires et ne pas le reconnaître comme un moment de formation dans un cadre professionnel, c’est-à-dire avec un tuteur et dans une classe où l’enseignant a déjà une certaine expérience.
Il est d’ailleurs curieux pour le moins de constater que l’éducation nationale et l’enseignement supérieur ne s’appliquent pas à eux-mêmes les recommandations qu’ils donnent pour les périodes de formation en entreprise dans le cadre des formations professionnelles du supérieur. Il est en effet indiqué pour ces diplômes que le stagiaire ne doit pas suppléer un emploi vacant, mais doit avec un tuteur professionnel au côté d’un tuteur universitaire découvrir avec une part de responsabilité l’exercice concret du métier concerné.
Conséquence du bricolage prévu par la circulaire du 25 février 2010 : un élève dans certaines classes pourra d’abord avoir un enseignant titulaire, puis un enseignant stagiaire venant le remplacer, puis un étudiant de M2 venant remplacer ce dernier…..
Où est dans ce cas l’intérêt des élèves, notamment ceux des catégories sociales défavorisées qui ne trouveront pas d’appui, de compléments dans leurs familles ou dans des officines commerciales ?
Oui, vraiment la circulaire du 25 février 2010 tourne le dos aux besoins du système éducatif et aux défis que nécessite la réussite de tous les élèves.
Alors que des évolutions apparaissent nécessaires à tous les niveaux du système éducatif pour l’améliorer, ce n’est pas une génération d’enseignants parée pour répondre aux enjeux qui s’annonce, mais une génération d’enseignants sacrifiée dans leur formation par souci d’économies à court terme et faute d’une véritable ambition pour une formation professionnelle de haut niveau.
Jean-Louis Auduc
Jean-Louis Auduc sur le Café :
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Sur la circulaire du 25 février : faits et analyses