Par François Jarraud
La démission de François Dubet du groupe d’experts chargé de rédiger le programme de SES de seconde a libéré l’expression sur la mise en place de la réforme du lycée en SES. Nous avons interrogé François Dubet et Sylvain David, président de l’Apses, sur ce nouveau programme de seconde.
François Dubet : Entre le marteau et l’enclume
Sociologue, spécialiste de l’Ecole, François Dubet a fait partie du groupe d’experts qui a planché sur le programme de SES de seconde avant de claquer a porte. Il explique ici ses raisons.
Dans votre communiqué vous mettez en cause la faiblesse de la sociologie dans le programme de seconde. Cela vous parait inacceptable ?
C’est vrai que la part de la sociologie est trop faible à mes yeux. On était parti d’une bonne idée, initier aux SES en proposant aux élèves des objets et en leur montrant comment les analyser dans le langage des sciences économiques et des sciences sociales.
Mais très vite on s’est retrouvé dans quelque chose de rituel à l’éducation nationale. Je me suis trouvé pris entre les critiques de l’association professionnelle, très excessives, et le ministère qui nous demandait de réagir très vite et qui coupait nos propositions. Je n’avais pas envie de rester entre le marteau et l’enclume. Toute cette procédure ne fonctionne pas.
C’est lié à l’extrême rapidité de ce travail. On s’est réuni 2 ou 3 fois. On a échangé des mails pendant 3 semaines. On a travaillé sur le programme de seconde sans s’occuper de la première et de la terminale, ce qui n’a pas de sens. Tout ça me semble mal embarqué.
L’Apses critique les programmes sous l’angle pédagogique en expliquant qu’il ne sera plus possible de faire travailler les élèves de façon formatrice. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que ce soit fondé. Finalement il y a 45 heures pour faire 8 à 10 thèmes, c’est-à-dire 5 heures par thème. C’est suffisant pour une initiation. Dans ce programme on a une contrainte horaire mais ce n’est pas un obstacle. Je crois qu’on retrouve là le discours habituel des disciplines qui veulent toujours plus d’heures. On est face à un blocage comme l’éducation nationale a l’art d’en produire.
La concertation a été insuffisante ?
Tout est allé trop vite, avec des réactions défensives et craintives trop fortes. Je résume : une sociologie un peu réduite, un mode de discussion très mal embouché. Il ne m’a pas paru utile de continuer. Sur le fond, je trouve le projet de Descoing sage et de bon sens. Mais je ne vois pas la nécessité de faire les programmes en 3 semaines. Cela ressemble fâcheusement à la précipitation, au pas de charge, qu’on voit en politique. Dans cette affaire tout le monde est responsable de mon départ.
Que va-t-il se passer maintenant ?
J’imagine que l’on aura une concertation. On ne peut pas imposer aux enseignants un programme dont ils ne veulent pas. Et les éditeurs s’adapteront.
Dans le Café :
Lycée : « Le crime est collectif »
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/Refo[…]
Le thème de la culture commune procède d’une volonté d’égalité relative
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages[…]
S. David : Un contre-programme pour mettre les élèves en activités
La démission de François Dubet du groupe d’experts chargé de réaliser les nouveaux programmes de SES appuie les critiques lancées par la principale association de professeurs de SES, l’Apses. Son président analyse la situation et annonce de nouvelles actions.
Après la publication des nouveaux programmes de Ses et la démission du groupe d’experts de François Dubet, où en est-on ?
C’est le blocage. Le ministère nous a obligé, au groupe d’experts, à travailler dans des conditions intenables et sous la pression d’interventions répétées. Aujourd’hui il nous invite à consulter les programmes. On espère qu’il tiendra compte de nos avis. Dans les prochains jours nous allons proposer un programme alternatif pour la classe de seconde.
Que reprochez-vous à ces nouveaux programmes ?
Trois points principalement. Le premier c’est qu’il n’y a pas de réflexion pédagogique au ministère. On croyait que l’opportunité de changer le programme se traduirait par une réflexion sur ce qu’il faut enseigner. En fait le nouveau programme est un empilement de notions. Il ne fait pas de place aux activités des élèves. Les lycéens de seconde ont 15 ans. Ils ont besoin de temps pour lire les documents, se tromper, réfléchir. Le programme imposé est infaisable si on a un minimum de souci pédagogique.
Le second point c’est l’image totalement désincarnée qu’il donne de l’économie. C’est une économie sans histoire, aseptisée, qui ne permet pas de faire de liens avec les autres disciplines.
Enfin, le programme marginalise les sciences sociales. La sociologie devient supplétive. On ne la retrouve qu’à la fin du programme de manière quasi optionnelle si l’on suit les injonctions du programme. Il reste à peu près un tiers de sociologie, c’est exactement la proportion que voulait le ministère. Les programmes précédents évoquaient la famille, la consommation, l’entreprise sous l’angle du travail…
On a l’impression que les SES sont redéfinies par le ministère. C’est votre avis ?
Tout à fait. On sent une véritable remise en cause de cet enseignement. Le ministère craint l’idéologie. Le programme ressemble à la pédagogie du piano : on invite l’élève à faire ses gammes et ensuite il pourra jouer un morceau. Le problème c’est que la majorité des élèves n’auront que cette initiation. Comment va-t-on motiver les élèves à suivre cet enseignement ?
Vous parlez des interventions du ministère dans la rédaction du programme. Vous avez des exemples ?
Par exemple on souhaitait avoir un chapitre sur l’emploi et le thème du chômage sous l’angle par exemple « insuffisance d’embauche ou salaires trop élevés? ». Ca permettait de montrer qu’il y a des débats entre économistes mais qu’en même temps ces débats ont des règles. On avait aussi un thème sur l’égalité et les discriminations. Le cabinet a annulé ces deux thèmes. Il souhaitait qu’on reste sur les prix, le marché, l’épargne.
Tout s’est fait très vite sans q’on ait le temps de réagir. Par exemple le cabinet m’a annoncé dans une réunion bilatérale, hors du groupe d’experts que le thème de l’emploi ne serait pas retenu.
Allez-vous participer au groupe d’experts pour le programme de première ?
Apparemment le ministère a décidé qu’il n’y aurait plus de représentants des associations professionnelles dans les groupes d’experts.
Quelle remontée avez-vous des établissements sur la mise en œuvre de la réforme ?
Les dédoublements sont accaparés par les langues et les sciences. Surtout c’est la foire d’empoigne dans les lycées.
Votre critique rejoint celle d’autres disciplines. Avez-vous des liens avec elles ?
On est assez proche des professeurs d’éco-gestion. C’est vrai que la plupart des disciplines sont touchées. On fait face en fait à une transformation profonde du lycée mais qui n’est pas dite. De notre coté nous allons faire une proposition de contre-programme. On a des choses à dire…
Dans le Café :
Par la bande on marginalise la sociologie
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/12/2[…]
La révolution douce de L CHatel
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/280[…]
Un nouveau programme qui recadre les S.E.S.
Depuis sa parution, le nouveau programme de seconde a été très critiqué parce qu’il amorce un recadrage important de la discipline, voulu par le gouvernement depuis plusieurs années.
Sur les 4 thèmes à étudier , seul le dernier est nettement sociologique or il n’est pas totalement obligatoire. L’Apses a vivement déploré cette diminution de la sociologie. « Taire les questions de société, c’est renoncer à la dimension citoyenne que véhiculent tous les enseignements généraux du lycée et faire perdre à l’enseignement des SES ce qui fonde son succès depuis plus de 40 ans » a déclaré l’association. Des enseignants jugent que « des pans entiers du programme sont infaisables ».
Partisans et défenseurs du programme s’affrontent par média interposé. Dans Les Echos, six grands économistes (Elie Cohen, C de Boissieu etc.) estiment que ce programme « constitue une réelle avancée dans la diffusion d’une évitable culture économique…Les nouveaux programmes de seconde… initient les élèves à quelques éléments de la grammaire de base de notre discipline », écrivent -ils. Ils « font une large place aux exemples concrets, aux situations particulières pour remonter ensuite vers les notions et concepts propres à l’économie ». C’est exactement ce que conteste A Parienty sur son blog. » On est donc beaucoup plus près de l’accumulation de savoirs que de l’initiation à un mode de raisonnement ».
Le nouveau programme
http://media.eduscol.education.fr/file/consultation/66/7/[…]
Article des Echos
http://www.lesechos.fr/info/france/020339376536-de-l-eco[…]
Article Pariéty
http://alternatives-economiques.fr/blogs/parienty/2010[…]
SES le nouveau programme
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01[…]
L’Apses ouvre sa propre consultation
Alors que le ministère a ouvert une consultation sur les nouveaux programmes du lycée, l’Association des professeurs de SES (Apses) invite les enseignants à déposer leurs commentaires sur son site. Elle assure ainsi la publication des remarques négatives de nombreux enseignants. » Je trouve le nouveau programme très tendancieux et sans réflexion » note un professeur. « L’entreprise à une place trop important mais comment peut-on comprendre cette place sans parler des problèmes de société comme le chômage ou le pouvoir d’achat. Cela engendrera une filière sans intérêt et des jeunes sans réflexion ».
La consultation
http://www.apses.org/initiatives-actions/actions-d[…]
Les interrogations de P. Watrelot
« Comment intéresser mes élèves ? Comment les motiver ? Quelles énigmes créer pour les amener vers la connaissance ? On me dira que cela relève de l’expertise de chaque enseignant et que la formation et la mutualisation permettront progressivement de résoudre cette difficulté. Mais certaines questions de ce programme posent de sérieux problèmes, la plus caricaturale étant “Consommer ou épargner ?”. S’il s’agit bien d’une vraie question, légitime dans le champ de la science économique, elle est d’abord très théoriquement orientée et surtout peu intéressante pour les élèves » Sur son blog, Philippe Watrelot analyse le nouveau programme de SES de seconde et explique sa déception et son refus.
« Dans les propositions actuelles, il y a la préconisation qu’il faudrait toujours apprendre en allant du simple vers le complexe. Mais qu’est-ce qui fait sens ? Qu’est ce qui donne de la “saveur aux savoirs” ? Sans rentrer dans un débat épistémologique et didactique, on peut rappeler que c’est bien souvent le fait que les apprentissages permettent de répondre à des “questions vives”, à des questions qui font sens pour les élèves. En supprimant le « et » des SES, on irait à l’envers de ce qui fait la motivation des élèves et des mécanismes de l’apprentissage ».
Sur le blog
http://philippe-watrelot.blogspot.com/2010/02/le-[…]
Pour le Sgen, le « harcèlement »
« Une certaine frange du monde de l’entreprise ne rate pas une occasion de s’attaquer aux enseignements de sciences économiques ET sociales », écrit le Sgen Cfdt. Le syndicat évoque le nouveau programme de SES. « Ce programme ne respecte pas les objectifs des enseignements d’exploration et l’on voit mal comment l’appétence des élèves va pouvoir être stimulée tant les entrées choisies sont parcellaires et académiques. Le nombre de questions abordées ne permet pas non plus d’atteindre, avec les horaires impartis, les objectifs annoncés dans le préambule. Plus grave, il faut être un spécialiste pour distinguer ce programme de celui d’économie-gestion. Les questions de sociologie y sont rares ». C’est l’identité des SES qui est atteinte selon le Sgen.
Dans le Café : la révolution douce de Luc Chatel
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/27[…]
L’Apses propose son propre programme
Quinze jours après la publication par le ministère du nouveau programme de SES de seconde, l’Apses, association d’enseignants de SES, publie son propre programme. L’Apses a beau prendre soin de ne pas parler de « contre programme », cette publication illustre le fossé qui s’est creusé entre les enseignants, attachés à une certaine conception des SES et le gouvernement qui souhaite modifier les contenus disciplinaires.
Pour l’Apses, son programme « n’oublie pas qu’il est destiné avant tout à des élèves de 15 ans qui viennent de quitter le collège. Il fait donc explicitement référence aux questions de pédagogie, aux méthodes et compétences que les élèves pourront mettre en œuvre pour s’approprier les savoirs des sciences sociales (démarche d’investigation par la réalisation d’enquête par questionnaire, utilisation de tableur pour l’approfondissement des savoir-faire statistiques, …)… Contrairement au programme actuel, ce programme permet de mettre les élèves en activité et souligne la nécessité d’un horaire plus conséquent et de dédoublements assurés en SES dans tous les établissements ».
L »Apses revendique également un programme » qui redonne leur place à l’ensemble des sciences sociales » et qui » propose une approche pluraliste de l’économie ». Plusieurs universitaires soutiennent ce programme, comme S Beaud et T Piketty.
Le programme