Le succès rencontré par Avatar de James Cameron a amené certains à le replacer et à l’interroger sous l’angle de thématiques propres à l’histoire, la géographie ou à la politique. Dans le même temps, un tel film ne peut manquer d’interroger l’enseignant sur l’impact de la culture médiatique des élèves en classe d’histoire ou de la force du récit à l’ère numérique.
Juste avant le réveillon 2009, Jeff Tavernier publiait sur son blog un billet intitulé 10 thèmes d’histoire-géo abordés dans Avatar (http://bit.ly/dgZGjJ). L’intitulé des thèmes était le suivant:
1. Le développement durable
2. Les grandes découvertes
3. La colonisation
4. L’exploitation des ressources énergétiques
5. La guerre du Vietnam
6. La géographie des réseaux
7. Histoire et anthropologie des religions
8. Le choc des civilisations
9. Les Etats-Unis
10. L’interdisciplinaire
11. La notion de frontière
Auxquels, Yoann Moreau, au début de l’année 2010, apportait un utile complément avec son billet intitulé: Avatar, l’absence du politique et son renouveau mystique (http://bit.ly/dgqRz3) et qui se concluait par
“James Cameron semble donc montrer une double vision du monde politique contemporain : son absence et son renouvellement possible/prévisible par la réactualisation des mythes. Cet aspect est redoutable, il doit je pense attirer notre attention et notre vigilance : l’intrication du politique et du religieux, dont les civilisations occidentales se sont extirpées avec peine, est remis à l’ordre du jour. Il se trouve que, dans le film, peut être subjugué par la beauté des corps, l’effet captivant de la 3D et le parti-pris narratif, on y adhère… sans réfléchir“
Tout récemment, sur combats.ch, Elisabeth Brindesi s’interroge à son tour
“Nous sommes tous (toutes) des Navis». Un slogan de 1968 rafraîchi et qui pourrait devenir le cri de ralliement des peuples colonisés. Avatar, qui pulvérise tous les records cinématographiques, deviendrait-il aussi un symbole mondial anticolonialiste et écologiste? (Avatar, symbole des luttes anticoloniales, http://bit.ly/chmJxA)“
Mais peut-être êtes-vous toujours convaincu que seul le documentaire historique présente un intérêt en classe d’histoire et dit «vrai». Dans ce cas-là, je vous engage à consulter Cinémadoc (http://culturevisuelle.org/cinemadoc/) ; ce blog est associé à l’atelier du Lhivic à l’EHESS, Les enjeux de la narrativité dans le cinéma dit documentaire coordonné par Rémy Besson. Après une première année consacrée à l’étude de La part de fiction dans le cinéma documentaire, cet atelier du Lhivic se propose “d’examiner la dimension narrative des récits documentaires. La démarche procède d’une problématique historienne, ouverte aux acquis de l’approche culturelle du cinéma. Les enjeux de la narrativité seront donc étudiés aussi bien en amont de la fabrication du documentaire (production, choix du réalisateur, etc.) qu’au niveau de son économie interne (structure du récit, dimension fictive, etc.) et en aval, lors de sa réception (construction du récit par la critique, la censure). Ces dimensions proprement cinématographiques s’articuleront toujours à un questionnement épistémologique et historiographique sur les écritures de l’histoire. (http://bit.ly/csoxiF)“
D’autre part, si le récit semble être à nouveau à l’honneur dans l’enseignement de l’histoire (à voir les programmes de classe de 6e en France), autant utiliser les récits qui font partie de l’univers de vos élèves lorsque l’occasion se présente. Histoire aussi de proposer des récits à interroger ou qui peuvent interroger les élèves sur le sens de la vérité et du point de vue en histoire.
En outre, il faut sans doute replacer une telle démarche dans le sillage des préoccupations de Jim Cullens qui, dans un essai récent, s’interroge sur les questions de la lecture, de l’écriture et de la pensée historique dans Essaying the Past: How to Read, Write and Think about History. Sur History New Network, il offre une synthèse de ses réflexions relatives à l’enseignement de l’histoire au 21e siècle (History without Reading, http://hnn.us/articles/121490.html). A son lecteur, il propose en introduction
“Imagine, if you will, the study of history without reading. No primary source documents to ground a discussion. No monographic studies to situate a discourse. Not even a textbook for background information. How much a sense of the past could you possibly have ?“
Partant du principe que, si la préoccupation première des enseignant est d’enseigner à nos élèves à penser comme des historiens et de former des citoyens capables de lire, écrire et penser, nous ne réfléchissons ni suffisamment à ce que cela représente de lire pour un adolescent ou un jeune adulte en ce début du 21e siècle, ni au fait que l’alphabétisation visuelle (visual literacy) a, à bien des égards, supplanté l’alphabétisation de la lecture traditionnelle (literacy of traditional reading). Pour lui, deux éléments centraux sont à prendre en compte dans la manière de préparer et d’enseigner à cette génération:
– le recours à la technologie;
– faire visualiser et non raconter.
Pour lui, le premier élément est nécessaire, mais pas suffisant, car
“A Power Point presentation can be every bit as vacuous and boring as a teacher standing in front of a room and talking at people for 50 minutes. The problem is not one of information or a means of delivery. It’s one that’s been missing from too much history for too long: imagination.“
Conscient que les techniques qu’il propose n’ont rien de révolutionnaires, Jim Cullens s’appuie sur une conception en ligne de l’enseignement de l’histoire recourant à des sons, des images (fixes ou animées) et des simulations (jeux de rôle) développant en premier lieu l’imagination et l’imaginaire des élèves. L’objectif consiste de piquer l’intérêt des élèves pour que, dans un deuxième temps, ceux-ci aient envie d’en savoir plus (ou mieux) et s’engagent alors dans les lectures habituelles de l’historien. A la réserve que
“The odds are, however, that the way you’d go about this is not necessarily the way your mother or grandfather did. You’d do it online.“
Source de l’image:
http://shanemcauliffe.com/2009/09/the-inspiration-to-begin/
Cela ne serait rien d’autre qu’une histoire dans les nuages (cloud history), traduction dans notre domaine du concept de computer clouding (l’informatique dans les nuages, http://bit.ly/czyHde). Tout ceci ne manque pas de nous renvoyer aux Thèses sur les sciences historiques à l’ère digitale de Peter Haber, présentées dans ma chronique du numéro 108 : Le Web plus efficace que la classe ?
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP, Lausanne (Suisse)