Interroger les évidences du quotidien ou quand les phénomènes de tous les jours deviennent objets d’apprentissage.
Pour rebondir sur le propos de Jacques Bernardin invitant à distinguer le « faire » de la tâche et l’activité, il est proposé de se pencher sur la « techno ». Nadia Pichot (maître-formateur à Chartres) relate une démarche vécue en classe de Petite Section autour de la découverte du monde des objets. Évidemment ce qui est possible avec des enfants de 3 ans est transférable avec des plus grands…
« En techno, on place forcément les enfants en situation de « faire », l’enjeu va être de ne pas se limiter à l’activité manuelle, mais que les élèves réussissent à revenir sur les actions opérées, qu’ils commencent à analyser leurs pratiques en somme ». Comment s’y prendre? Nathalie Da Silva, conseillère pédagogique, propose de mettre en place des situations où il faut regarder attentivement l’objet pour comprendre comment il fonctionne, comprendre « le secret » des choses, ne pas se limiter à subir le fonctionnement de l’objet mais s’interroger sur ses usages.
« Tirer parti des « phénomènes du quotidien », c’est aussi nous saisir des « trouvailles » des enfants, ce qu’ils apportent à l’école ». Nadia relate l’origine de sa « séquence » moulin : une élève apporte un moulinet fabriqué avec sa maman. Les enfants curieux veulent observer l’objet, et se rendent compte que « ça tourne avec les mains de Marine ». Cette dernière ne voulant pas trop qu’ils y touchent, on leur propose d’essayer eux aussi d’en fabriquer. Avant de se lancer dans le « faire », on relèveles échanges des enfants : « ça tourne, ce sont les ailes qui tournent, c’est Marine qui le fait tourner. », d’instinct les enfants retrouvent le geste rotatif des bras, et le lien avec la comptine « meunier tu dors » est évident.
« La démarche scientifique c’est d’abord faire le point sur ce qu’on a observé, ce qu’on a compris, avant de se lancer dans des ateliers pratiques ».
Fidèles aux principes du GFEN, les animatrices de l’atelier ont concocté un cas pratique. Comme les élèves de la classe de Nadia, découvrant le moulin fabriqué par Marine et sa maman, les participants s’essayent au « faire ». Consigne : réaliser un objet avec des ailes qui tournent. Ça tâtonne, ça élabore, ça coupe et ça devise au sein de l’atelier « où mettre un contre-poids? », « qu’est ce qui doit être fixe, qu’est ce qui doit être mobile? », « comment fixe-t-on ce qui doit être fixe, tout en gardant la contrainte qu’il faut que ça tourne? » Les participants se posent pratiquement les mêmes questions que les élèves de Nadia…
A ses élèves Nadia aura laissé la possibilité de tout explorer, y compris et surtout ce qui ne marche pas. Avec les enfants convaincus qu’il faut « coller », et bien qu’elle soit sure que ça ne marchera pas, l’enseignante accompagne les enfants pour être sûre qu’ils vont renoncer à cette solution. D’eux-mêmes, ils font le constat qu’il y a problème, en manipulant, en mêlant parole et action. Ils reformulent, réfléchissent sur ce qu’ils ont fait, font le point sur les difficultés et solutions envisagées jusqu’à aiguisser leur regard : « la paille dans le trou ça tourne », « il faut pas tout coller parce que sinon c’est tout collé ». En faisant le bilan des réussites et non réussites, l’enseignante apporte alors des éléments qui permettent de réussir. Des images, des photos, de multiples supports sont laissés en accès libre. Ces images sont des référents qui encouragent l’acte réflexif : se retourner vers une image, pouvoir revenir, pouvoir aller chercher si jamais on ne sait plus ou on est, cela donne un nouveau souffle pour repartir « faire ».
Faire de la « techno » avec des petits, c’est « faire et refaire », mais « faire en pensant » : les enfants ont un savoir présent (les observations), leur problème à résoudre les incite à faire et refaire, à se nourrir du groupe, du collectif, des expériences des uns et des autres pour cheminer.
Enfin au terme de cette partie consacrée au « faire » il ne faut surtout pas éluder la dernière étape, la validation : la mise au vent, sortir essayer et constater.
Le deuxième grand temps du « protocole » sera de se retourner vers les objets du quotidien, de chercher tous ceux où « ça tourne » et de voir « quand ça tourne, à quoi ça sert? ». Les objets du coin cuisine sont observés, ainsi que de « vrais » objets usuels (moulinettes à légumes, à café, essoreuse à salade, presse-purée, rouleau à patisserie ), avec ces objets on manipule également « pour de vrai », c’est à dire qu’on utilise dans des situations réelles .
Et l’on mesure la transformation entre ce qu’était l’état initial et ce qu’il en est devenu, on constate que le fait de tourner opère une transformation de l’objet en situation.
On a extrait du moulin le mouvement rotatif, mouvement qui agit dans bien d’autres objets du quotidien, d’un objet singulier on est allé vers du plus universel. On fait des liens. On acquiert du pouvoir sur le monde, une capacité à établir des règles générales sur une transformation opérée sur des objets quand « ça tourne », on atteint un premier niveau de conceptualisation sur les forces, les frottements.
Ainsi on donne aux élèves le pouvoir d’expliciter le monde qui les entoure, de le comprendre.
Mais encore une fois, pour tout cela, ce cheminement, il faut se donner le temps et le donner aux élèves.