Quelles conditions de l’efficacité du maître-formateur, et en retour quel développement de son propre métier ?
Le maître-formateur a un double métier : enseigner à de vrais élèves, mais aussi transmettre un métier. Lorsqu’ils observent les stagiaires, ou se font observer par eux, les maîtres-formateurs ont à la fois à analyser leur propre pratique et celle des stagiairesL’équipe ERGAPE (ici, Jean-Claude Mouton, Christine Felix, Laurence Espinassy) postule qu’il ne peut y avoir transmission de l’expéirence que s’il y a co-développement de l’expérience, inscrite dans un milieu qui se co-construit dans l’activité. « Comprendre la situation de conseil pédagogique, c’est donc comprendre qu’elle est le lieu d’une rencontre entre deux niveaux d’expériences, et pas seulement une relation surplombante. Nous observons comment s’élabore le milieu spécifique de conseil, à travers des temps spécifiques, de la confiance, de la controverse, et des outils qui circulent.
« Nous procédons par autoconfrontations, ce qui pour nous a un sens strict : l’articulation de la formation et de l’analyse du travail. Notre mode d’intervention fait toujours suite à une demande, avec une phase en collectif qui permet d’articuler l’offre et la demande, de choisir une situation de travail qui fait priorité et de se mettre d’acord sur une planification du travail. »
Dans la phase suivante, les chercheurs vont donc filmer la situation de travail (dans ce cas, une séance de conseil qui suit une séance de classe), puis organiser des auto-confrontations simples, puis croisées où chaque maître-formateur réagit aux images de son collègue, le rôle du chercheur étant de créer de la controverse professionnelle, pour briser les « pactes tacites » qui se fondent entre les différentes acteurs et empêcheraient de faire surgir les problématiques et tensions de métier. Tous les documents (vidéos, verbatim des entretiens) sont ensuite remis en collectifs, et exploités.
Ce cadre méthodologique a des effets sur le développement du collectif, et des individus qui le composent. Dans ce cas, c’est la controverse sur la « fiche de préparation », dont la fonction se met à être interrogée dans le groupe de formateurs, alors que jusqu’à présent sa fonction était implicite dans l’activité des formateurs.
Prenons un exemple : un maître formateur se voit à l’image en train de conseiller un stagiaire. Comme souvent, la prestation du débutant dégénère. La formatrice conseille de distribuer le matériel avant la consigne, mais se rend compte à posteriori qu’elle, dans sa propre classe, fait l’inverse de ce qu’elle conseille. En élucidant cela avec le chercheur, elle se rend compte que lorsqu’elle agit en classe, elle ajuste sa propre consigne, selon le moment de l’année, selon la classe qu’elle a…
C’est donc la marque que l’expérience du maître-formateur : les critères d’efficacité évoluent au fil du temps, des contextes, du langage disponible pour « parler le métier » dans les collectifs. C’est une mise en tension entre « ce qui est disponible » et « ce qui est à construire ». Elle n’est pas derrière soi, en stock, elle est « devant »… « Un conseil n’est jamais valable en soi, il est valable en contexte. C’est ce qui rend le travail du conseiller, du formateur difficile, proprement professionnel. »
Evidemment, la disparition programmée de l’alternance en formation d’enseignants, alors même qu’on n’a jamais fait le bilan des stages de pratiques accompagnées, est problématique et ne va pas aller dans le sens
« En avez-vous tiré des règles d’action sur ce qu’il faut faire ? » lui demande-t-on de la salle, attendant des propos conclusifs.
« Pour nous, répond Jean-Claude Mouton, ce n’est pas ce qu’on en tire qui est important, c’est ce qu’en font les gens avec qui on travaille. Ce ne sont pas des fourmis qu’on filme pour que les « chercheurs » en tirent des connaissances en dehors des acteurs eux-mêmes. C’est ça, accompagner des acteurs dans un co-travail pour qu’ils puissent eux-même transformer leur milieu de travail, et in-fine leur métier ! »…
Pourquoi une bonne partie des élèves quittent-ils le système de formation professionnelle suisse ?
Ingrid De St George et Barbara Duc se demandent comment les apprentis construisent du sens lorsqu’ils passent de l’entreprise à l’Ecole professionnelle, dans les phases d’alternance. Dans une perpective ethnographique, elles cherchent à recueillir des traces sur ce va-et-vient, sur les influences entre les deux lieux de formation.
Lorsque l’apprentit apprend les bases de l’électricité à l’Ecole (diagnostiquer une panne dans un rétroviseur). il n’arrive pas à faire le lien entre la mesure qu’il prend sur le voltmètre, qui prouve que le moteur est bien alimenté électriquement, et donc est la preuve que si le moteur ne marche pas, c’est qu’il « est foutu ». L’élève cherche autre chose que ce qui est là, devant lui L’enseignant attend qu’il fasse le raisonnement, puis le conduit avec lui, pas à pas, lorsqu’il s’aperçoit que rien n’avance. Au contraire, l’apprenti mobilise l’enseignant pour faire à sa place.
Dans le contexte du garage, au contraire, la recherche de panne se régule tout à fait différemment : l’apprenti sait qu’on cherche une vraie panne, et n’adopte pas la même posture, physique et mentale. La nature du travail change, le but est que la voiture soit prête en temps et en heure. il s’appuie sur sa perception sensorielle plus que sur les outils techniques à sa disposition. Le tuteur ne le guide pas dans un raisonnement, il propose des hypothèse et propose une résolution du problème.
Les pratiques d’expérience diffèrent donc entre l »école et l’atelier, impactent la motivation de l’apprenti. A quelle hauteur, et selon quel mélange cela peut-il contribuer à un apprentissage réussi ? Quel est, dans cette alternance, le rôle spécifique de l’école, dans la théorisation des savoirs techniques. La recherche reste à conduire… Elle intéresse au premier chef l’ensemble des enseignants et des formateurs des filières professionnelles…