La chronique de Lyonel Kauffmann
En cette fin d’année, toute une série d’informations récoltées et publiées sur la toîle met en perspective les utilisations des technologies dans l’enseignement et invite à la réflexion relativement à leur utilisation dans l’enseignement de l’histoire. Petit tour d’horizon en quatre tableaux.
Le Web plus efficace que la classe?
En cette année 2009, Barbara Means [1] publie les résultats d’une recherche commandée par le ministère de l’Éducation américain compilant un grand nombre d’études réalisées entre 1996 et 2008 autour de l’éducation en ligne.
Au final, l’enquête met en évidence que les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les cours combinent l’apprentissage en ligne et les cours en face à face. Pour autant, tout prolongement de cours en ligne n’améliore pas la situation. En effet, la recherche a mis aussi en évidence que les bénéfices sont moindres lorsque les enseignants se contentent de compléter leurs cours par quelques vidéos ou exercices en ligne.
Concernant l’enseignement de l’histoire à l’aide des technologies, ce dernier élément m’interpelle puisque puisqu’il s’agit de la plus grande partie des éléments développés en ligne lorsque j’observe des sites ou des blogues réalisés par des enseignant-e-s en histoire.
D’autres utilisations, par contre, sont à relever et à préconiser comme les démarches de mutualisation des corrections de copies numériques que nous présente le CDRP de Franche-Comté [http://crdp.ac-besancon.fr/index.php?id=2483]. De plus, ce type de démarche doit nous interpeller puisque les règles d’unité de lieu, de temps et d’action qu’est généralement la classe s’en trouvent très fortement modifiées tant pour les élèves que les enseignants. Le temps hors la classe tend ainsi fortement à augmenter sans que le temps devant la classe diminue pour autant.
Quels ont été les outils technologiques phares en 2009 dans le domaine éducatif?
Jane Hart du Centre for Learning and Performance Technologies (C4LPT) en Grande-Bretagne a compilé les résultats de 278 professionnels de l’enseignement du monde entier qui ont établi leur Top 10 des outils technologiques d’apprentissage de 2009. [2]
La synthèse de ces résultats a permis à Jane Hart d’établir le Top 100 en 2009 des outils technologiques utilisés en la matière. De plus, ces résultats sont comparés avec les classements établis précédemment en 2007 et 2008.
D’une manière générale, nous pouvons constater le développement des logiciels en ligne (Google Docs par exemple) au détriment des logiciels traditionnels (PowerPoint ou Word) autrement dit l’informatique dans les nuages (Cloud computing: http://fr.wikipedia.org/wiki/Informatique_dans_les_nuages) s’impose progressivement aussi en milieu éducatif. Les réseaux sociaux et de partage forment également la deuxième tendance forte. C’est ainsi que twitter passe de la 11e en 2008 à la première en 2009, youtube de la 18e à la 3e place.
Le classement pour les cinq premières places est le suivant dans l’ordre: twitter, delicious, youtube, google reader, google docs.
Dans le même ordre d’idée qu’au point précédent, nous assistons là aussi à un déplacement de l’enseignement et de l’apprentissage hors de l’espace traditionnel de la classe/établissement.
Les frontières entre spécialistes et grand public s’effaceraient-elles? Avec quel profit et quelles remises en question pour la classe d’histoire?
Non, rassurez-vous, je ne vais pas parler de Wikipedia, mais je vais appuyer mon propos au travers du lancement récent en Suisse du site notrehistoire.ch [http://www.notrehistoire.ch].
Ce site est une plate-forme participative dédiée aux archives de la Suisse romande. Son but est de créer une fresque en images et en sons de l’histoire de la Suisse romande au XXe siècle. Son objectif est de favoriser le partage de documents provenant de plusieurs sources : institutions impliquées dans la sauvegarde du patrimoine audiovisuel, particuliers, bibliothèques, musées, communes, cantons, entreprises, associations… notrehistoire.ch a été créé et est édité par la Fondation pour la sauvegarde des archives audiovisuelles de la Télévision Suisse Romande (FONSAT). Dès son lancement, il réunissait d’ores et déjà, et notamment, les Archives cantonales vaudoises, la Médiathèque du Valais, la Télévision suisse romande et la Radio suisse romande ou un musée comme le Musée suisse de l’appareil photographique sis à Vevey.
Toute personne peut s’y inscrire comme membre individuel, y déposer du matériel d’archives (photos scannées, films, vidéos ou enregistrements sonores, témoignages écrits) et également créer des groupes d’intérêt à l’exemple d’un groupe consacré au général Guisan [http://www.notrehistoire.ch/group/le-general-guisan] [3]
Le développement de tels outils interpelle et interroge l’enseignant d’histoire autant que les questions tournant autour de l’histoire et de la mémoire. Un tel développement l’interroge forcément sur sa nature de spécialiste ou son rôle dans un cadre éducatif ainsi que sur le rôle, la fonction et la place des savoirs de nature ici historique. C’est aussi un formidable levier pour des utilisations pédagogiques et la contribution, à leur niveau, des élèves à la construction d’archives numériques. Ainsi, un établissement scolaire ou une/plusieurs classe(s) [4] peuvent devenir contributeurs en publiant des archives relativement à leur établissement ou à l’histoire locale, voire plus largement.
Quel avenir pour les sciences historiques ainsi que l’histoire à l’école à l’ère numérique?
Dans le prolongement de ce qui précède, notre ère digitale impacte la science historique. C’est ainsi que, dans sa contribution au colloque consacré aux médias numériques et les sciences historiques de septembre 2009, Peter Haber de weblog.histnet.ch [http://weblog.histnet.ch] a présenté six thèses concernant les évolutions possibles et les relations entre ère numérique et la science historique que nous vous avons traduites [5]:
1. Littéracie numérique: les historiens connaissent quelles sont les informations disponibles numériquement ainsi que les avantages et les inconvénients des sources numériques et des sources analogiques.
2. Critique de sources: l’histoire numérique s’appuie sur la critique classique des sources en collaboration avec d’autres disciplines.
3. Visualisation: l’histoire numérique est avant tout un texte scientifique utilisant les capacités multimédias des médias numériques.
4. Collaboratif: les processus de travail sont effectués de manière collaborative, et non plus individuellement, à l’aide des technologies des réseaux numériques.
5. Culture de l’Open source: l’activité éditoriale change et se calque sur les principes du libre accès et de l’examen (on-line) des résultats par les pairs.
6. Workflow: l’entier du processus historiographique est basculé dans les environnements numériques (h-desk, e-histoire).
Le premier constat réjouissant est que les sciences historiques ont un rôle à jouer à l’ère numérique moyennant adaptation tout en n’ayant pas à renier ce qui les fondent. Le deuxième constat consiste à réfléchir à la traduction scolaire de telles thèses si l’on souhaite que l’histoire à l’école ait également un avenir.
[1] L’étude: Barbara Means et al., «?Evaluation of evidence-based practices in online learning: A meta-analysis and review of online learning studies?», Center for Technology in Learning, juin 2009. www.ed.gov/about/offices/list/opepd/ppss/reports.tml#edtech
Le compte-rendu du dernier numéro de la revue Sciences humaines :http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=24736
[2] La liste exhaustive des personnes consultées et de leur classement est consultable en ligne ici: http://c4lpt.co.uk/recommended/top10tools.html
[3] Le général Guisan a été le chef de l’armée suisse durant la Deuxième Guerre mondiale.
[4] D’un même établissement ou d’établissements différents.
[5] Les thèses en langue originale: http://weblog.histnet.ch/archives/3035 et leur traduction en anglais: http://weblog.histnet.ch/archives/3502
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP, Lausanne (Suisse)