Par François Jarraud
Comment l’élève acquiert-il des compétences ? Dans un petit ouvrage, Sophie Morlaix met en évidence le fait que les compétences ont des relations dynamiques mais que certaines sont plus importantes que d’autres parce qu’indispensables à d’autres. Au centre du processus d’apprentissage, Sophie Morlaix installe la capacité à développer sa mémoire de travail. Il en ressort une mission centrale pour l’école : développer les capacités cognitives de l’élève de façon ordonnée.
Votre livre a de grandes ambitions puisqu’il vise à éclairer la « boite noire », ce lieu mystérieux où se construit le savoir et la réussite scolaire. C’est une ambition que partagent les neurosciences quand elles montrent le fonctionnement cérébral. Comment situez vous votre démarche par rapport à elle ?
L’approche proposée dans l’ouvrage mobilise justement plusieurs disciplines pour démêler les facteurs pouvant expliquer la réussite scolaire. Ainsi, on s’intéresse à la place (au poids) de différentes capacités cognitives, comparée à celle de facteurs sociaux, comme l’origine sociale par exemple pour expliquer les différences de progressions entre élèves ou d’acquisitions de compétences. On fait en fait ici appel aux variables habituellement mobilisées par les sociologues ou économistes de l’éducation (variables personnelles, socio-démographiques de l’élève, variable se rapportant à l’école) et d’autres mobilisées par les psychologues de l’éducation (capacités cognitives). L’intérêt de l’ouvrage est justement de regrouper dans un même modèle ces deux types de variables (socio-éco d’une part et psychologiques d’autre part) pour mieux comprendre comment la réussite se construit. En ce sens la démarche est beaucoup plus large que celle des neuro-sciences, car mobilise des variables issues de disciplines distinctes.
La première surprise, pour moi, dans votre ouvrage c’est quand vous cherchez les facteurs qui expliquent l’échec scolaire. Et vous dites que les facteurs sociaux c’est environ 5%, les facteurs propres à l’élève c’est 52% . C’est a dire que l’échec scolaire c’est une affaire personnelle, strictement personnelle ?
Heureusement non ! Evidemment, on ne peut pas nier l’importance primordiale des caractéristiques des élèves, et plus particulièrement le niveau initial de l’élève. Cela permet de relativiser l’effet de l’origine sociale, lorsque l’on contrôle par ailleurs ce niveau initial, même si ces deux variables ne sont pas indépendantes. Si on fait référence au graphique p 15, effectivement, les caractéristiques des élèves ainsi que les caractéristiques familiales expliquent un peu plus de 50% de la variance des acquisitions. Ces variables sont exogènes à l’institution scolaire, on ne peut pas jouer dessus ou changer les caractéristiques des élèves, il faut faire avec. Il reste donc à l’école une marge de manœuvre, peut être plus limitée, mais qui existe quand même.
Votre analyse s’appuie sur les compétences des élèves. Mais c’est quoi une « compétence » ? Il y a une liste officielle, celle du socle commun. Est ce la votre ? Par exemple vous parlez d’une compétence « compréhension » . Comment la définir ?
Il existe une multitude de définitions de la compétence, et cette multiplicité rend la notion opaque. La vision défendue par l’ouvrage est de partir du principe que la notion de compétences est justement une notion complexe, difficile à définir. Elle repose sur une notion a posteriori de la compétence et sur une mesure empirique, c’est-à-dire que l’on va partir d’items basiques disponibles dans les évaluations nationales, et non pas se dire « ces trois items vont former une compétence », mais on va chercher à isoler des relations entre les items pour découvrir a posteriori (et non partir d’une définition a priori) ce qu’est la compétence. Ainsi définie, la compétence peut être un savoir (au sens disciplinaire), un savoir faire (lire un tableau) ou un savoir être (ne pas interrompre l’enseignant sans arrêt par exemple). La compétence compréhension est une compétence ou plus exactement un ensemble rassemblant trois compétences qui font essentiellement appel à des items cherchant à tester si l’élève a compris où se situait l’information principale (ex de maths par exemple), ou savoir s’il a compris un texte. Il faut rajouter ici que les dénominations données aux compétences dans l’ouvrage sont le fruit d’une collaboration avec des collègues psychologues qui m’ont aidé à identifier les compétences mises à jour à partir de regroupements d’items, en leur donnant des noms.
Un des grands apports de l’ouvrage c’est de montrer les relations entre les compétences. On peut ainsi mettre en avant des compétences qui prescrivent la réussite ou l’échec scolaire et construire une « pyramide » des compétences. Vous pouvez nous donner un exemple ?
Exemple de pyramide de compétences est donné p. 52 par exemple pour le CE2 avec le tableau 6. Dans ce tableau, on a isolé les 12 compétences prédictives du score (de la réussite) en CE2. On montre par le tableau qu’il faut avoir acquis la comp15 (détail p.103) pour pouvoir acquérir la comp58 qui elle-même conditionne l’acquisition de la comp41 et ainsi de suite…La plus difficile à atteindre étant la comp 3 (soustraction) qui nécessite la maitrise de certaines règles orthographiques (comp63) qui elles mêmes nécessitent la maitrise de compétence en calcul mental …(graphique 8 et détail des compétences p 103).
L’autre apport c’est l’importance que vous accordez à la mémoire de travail dans la réussite scolaire. En quoi est-elle un élément clé ?
La prise en compte de cette variable « psychologique »est importante pour la recherche en éducation car elle est rarement mobilisée dans des modèles incorporant des variables sociales des élèves, ce qui constitue aussi une originalité de l’ouvrage : associer dans de mêmes modèles économétriques des variables psychologiques et sociales. Cette association permet de relativiser le poids des variables sociales par rapport aux variables psychologiques comme la mémoire de travail (graphique 15 p 70). On s’aperçoit alors que l’effet de l’origine sociale sur les différences de progressions entre élèves serait en fait expliquer par cette mémoire de travail, l’effet de l’origine sociale sur les acquisitions transite en quelque sorte par la mémoire de travail des élèves.
A partir de là, que peut on préconiser pour l’Ecole ? Quels conseils peut-on donner aux enseignants ?
Il faut ici rester prudent, même si l’originalité du travail est une piste intéressante pour réfléchir à des implications en terme de politique éducative. Si on se limite aux résultats présentés dans l’ouvrage, plusieurs choses sont à retenir :
– Certaines compétences ne peuvent être acquises par les élèves sans que d’autres le soient au préalable, ces compétences étant interdépendantes, quel que soit le domaine d’apprentissage (ceci pour dire que l’acquisition d’une compétence à acquérir en mathématiques peut par exemple dépendre de l’acquisition d’une autre préalable en français !). De plus, certaines compétences transversales (savoir faire notamment) se trouvent à la base de la pyramide et vont servir de fondations aux autres apprentissages. Ces compétences transversales sont souvent celles qui manquent aux élèves en difficulté, les dispositifs de remédiation scolaire vont d’ailleurs en général dans le bon sens pour permettre aux élèves en difficulté d’acquérir ces compétences transversales.
– Certaines compétences scolaires comme le calcul mental par exemple jouent visiblement un rôle clef dans le processus d’apprentissage des élèves. Ces compétences sont très liées aux capacités cognitives et notamment à la mémoire de travail. Il serait certainement utile de réfléchir aux conditions d’enseignement ou pratiques pédagogiques qu’il faudrait mettre en place pour développer ces capacités cognitives chez certains élèves.
Sophie Morlaix
Maitre de conférences
Directrice du Centre d’Innovation Pédagogique et d’Evaluation (CIPE)
IREDU/CNRS- Université de Bourgogne
L’ouvrage :
Sophie Morlaix, Compétences des élèves et dynamique des apprentissages, P.U. Rennes, 2009, 120 p.
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http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2172
Dans le Café :
Les compétences c’est ce qu’on mesure
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/socle_morlaix.aspx
Regarder les relations pour comprendre
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/103CompetencesMorlaix.aspx