Par Gwénaël Moreau
A la suite de l’annonce par le ministère des nouveaux horaires des classes de lycée, les réactions ne se sont pas fait attendre et vous avez tous lu dans la presse ou dans l’édito du café la réaction des collègues d’histoire géographie concernant le passage d’une épreuve anticipée en classe de Première. Les professeurs de SES font bloc « pour la défense des SES » et si on les a moins entendus jusqu’à présent, l’inquiétude n’est pas moins grande chez les physiciens. Sur le forum de l’UdPPC (l’union des professeurs de Physique Chimie), la discussion est suivie et abondée. Et ce qu’il en ressort n’est pas de l’ordre du corporatisme ou du rejet viscéral de toute forme de changement mais du souci qu’ils se font en pensant à l’embarras dans lequel l’application de cette réforme mettra rapidement la recherche française.
En effet, la disparition programmée (même si non ouvertement avouée) des travaux pratiques supprime à notre matière sa raison d’être. Leur maintien sera dorénavant soumis à l’approbation du conseil pédagogique de chaque établissement, et, au vu des coûts que représente l’entretien d’un laboratoire de lycée et des politiques de restriction budgétaire en cours, il y a de réelles inquiétudes à avoir. D’autant que dans certaines académies, les inspecteurs annoncent dans des discours fleuve que d’ici 5 à 10 ans, le corps des préparateurs de laboratoire s’éteindra. C’est pourtant ses dizaines d’expériences, cent fois renouvelées qui permirent à Galilée de valider ses idées. C’est grâce aux « précieuses observations répertoriées dans les tables de Tycho Brahé » que Copernic put imaginer le mouvement héliocentrique qui allait révolutionner le monde. Et ce sont aujourd’hui encore les manipulations dans les laboratoires de recherche qui permettent de faire avancer notre connaissance du monde par l’élaboration de théories. Théories qui ensuite permettent aux techniciens de créer tous ces objets qui font notre confort.
Et c’est bien grâce aux travaux pratiques que l’enseignement de la physique chimie trouve encore grâce auprès d’élèves de moins en moins enclins à mémoriser et donc à théoriser (« Mais monsieur, c’est des maths ça ! » me disent-ils régulièrement avec un air dégoûté). Si en effet, à l’heure actuelle, malgré le nombre d’élèves en section scientifique les universités voient le nombre de leurs étudiants diminuer chaque année, c’est bien que la section S n’est utilisée que comme voie d’accès. Mais est-ce en appauvrissant l’enseignement des sciences en Première S qu’on formera mieux les élèves qui souhaiteraient s’y orienter par envie d’embrasser une carrière à caractère scientifique ?
Restera-t-il demain des scientifiques français dans l’équipe qui fera tourner le grand collisionneur de hadrons qui vient d’être redémarré à Genève ? Il sera trop tard pour se plaindre (on les entend déjà régulièrement, nos dirigeants, se lamenter sur la difficulté à former des scientifiques), c’est donc aujourd’hui qu’il nous faut réagir comme le font de nombreux enseignants sur le forum de l’UdPPC.
Morceaux choisis
« Est-il admissible, à l’heure du sommet de Copenhague, que les sciences ne fassent pas partie de la culture de tout citoyen ? Si l’on s’indigne de l’abandon en Terminale S de l’histoire et géographie, a-t-on les mêmes indignations pour relever qu’en Terminale ES et Terminale L, il n’y a rien qui puisse ancrer les savoirs sur une culture scientifique ? »
« Les ingénieurs ont accepté la théorie d’Einstein la plus folle de tous les temps parce que les physiciens ont fait des travaux pratiques.
Aujourd’hui, cette théorie est en action dans votre GPS.
Les travaux pratiques sont indispensables à la compréhension de la physique et de la chimie : soutenez les travaux pratiques de physique et de chimie en petits groupes au collège, au lycée et à l’université ! »
« Ce qui est particulièrement exaspérant, c’est que personne ne relève que les sciences expérimentales sont les grandes perdantes de cette réforme, notamment par l’oubli volontaire de leurs spécificités (travaux pratiques à effectifs réduits). »
« Il va être amusant de voir les nouveaux programmes que l’on va nous proposer. Y aura-t-il une version avec TP et une autre sans ? Dans ce dernier cas le programme devra être plus vaste puisque dans un cours de type magistral (à 35 élèves de seconde j’ai du mal à imaginer autre chose) on traite plus de choses qu’en TP, mais je ne parle pas du « rendement » d’un tel cours : c’est la mort probable des sciences au lycée à cours terme. »
« La situation [sera] celle que nos collègues de collège connaissent :
– marchandages locaux pour gérer la pénurie avec pressions internes dans les établissements pour des groupes à effectif maximum (pour ménager des marges sur une DHG insuffisante pour assurer tous les besoins du lycée)
– DHG calculée par le Rectorat correspondant à des découpages groupes/classes au moins coûtant
– iniquité entre établissements … »
« Juste une petite remarque : La possibilité de compléter les enseignements obligatoires par des modules d’exploration c’est très bien mais n’oublions pas que les connaissances et savoir-faire ne font pas que se juxtaposer.
En littéraire, une fois certaines bases acquises (grammaire, vocabulaire, technique d’argumentation), j’imagine qu’un élève peut étudier vingt textes et un autre, quarante textes, sans que le premier soit pénalisé pour suivre l’année suivante une formation littéraire commune au second.
En ce qui concerne les sciences, j’ai davantage la vision d’une construction pyramidale des connaissances. »
« Une science est l’étude d’un objet et la validation des informations obtenues en termes de connaissances par la confrontation entre des nombres calculés à l’aide des mathématiques appliquées au modèle de l’objet et des nombres mesurés sur cet objet. Une information devient une connaissance lorsque les nombres calculés sont égaux aux nombres mesurés. »
« Nous n’avons jamais su bien défendre, notamment auprès des mathématicien(ne)s, la spécificité des sciences d’être une confrontation au réel avec une marge d’erreur.
Poser une sonde sur un satellite (Titan) de 5 000 km de diamètre d’une planète (Saturne) à une distance de près de 1 250 000 000 km de la Terre demande une maîtrise de tous les phénomènes physiques et chimiques avec une erreur relative de quelques dixièmes de millième de %…
L’admiration de certain(e)s de mes collègues mathématicien(ne)s naît lorsque je raconte cela.
Il faut pratiquer maintenant très vite cet art désormais martial qu’est la philosophie des sciences pour, très concrètement, défendre nos horaires et nos séances dédoublées hebdomadaires de travaux pratiques en précisant que les sciences sont la seule activité humaine de confrontation au réel avec un « feed-back » de ce réel indépendant de tout être humain et que la société humaine gagnerait à considérer cette activité comme indispensable…
La crise récente le montre bien: un économiste aurait décidé de voler en décidant d’annuler la gravité. Nous nous sommes, nous les scientifiques, appliqués à comprendre très bien beaucoup de lois et nous avons fini par fabriquer des avions.
En haut de la falaise, on saute comme l’économiste ou on prend un avion?
Ah, oui, c’est vrai… L’économiste fait sauter les autres…
La science, c’est ce qui permet de devenir libre de voler en respectant toutes les contraintes des lois de la Nature.
Nous nous sommes libérés de la Nature parce que nous sommes respectueuses et respectueux des contraintes de la Nature et que nous les avons dominées par l’inlassable confrontation raisonnée au réel à travers les expériences, nos séances de travaux pratiques, indispensables. »
La discussion complète
http://www.udppc.asso.fr/forum/viewtopic.php?t=1380&po[…]
La pétition de l’UdPPC
http://www.udppc.asso.fr/petition/index.php?petition=1
La pétition unitaire