Anne Van Haecht : un discours critique devant les « péripéties pédagogiques » et les hésitations institutionnelles en communauté française de Belgique
L’approche pédagogique par compétence s’installe en Belgique dès le début des années 70, la formation professionnelle en construit les références. Avec un théorème progressivement construit : « On ne peut parler de compétences qu’en présence de mobilisation de savoirs en situation problème ». Mais cette approche génère des critiques contre ses aspects post-fordistes (demande de travailleurs flexibles et opérationnels, évaluation individuelle plutôt que qualification par les diplômes, risque de repli de l’éducation sur les « compétences de base » ou «compétences-clé » qui garantissent l’employabilité dans un marché du travail polarisé), mais aussi par le caractère réducteur des compétences face aux ambitions culturelles.
Pour A. Van Haecht, l’arrivée des « compétences » est le produit d’une histoire politique paradoxale. En Belgique francophone, différents courants contribuent à des alliances construisant la prescription politique. Au cours des années 1990, les rationalisations budgétaires (suppression de 3000 postes d’enseignants) ont amené une très forte contestation syndicale, sans succès. « L’expertise pédagogique a été sollicitée en contrefeu« , et en 1997 un décret sur l’école a été promulgué, qui organisait le continuum d’un socle de compétence commun pour la scolarité obligatoire. « Les pédagogues des universités catholiques de Louvain et de Namur vont être les médiateurs entre les projets de formation des entreprises et au sein du système éducatif ». Des référentiels des métiers, les compétences migrent pour structurer les référentiels scolaires. Les discours progressistes de la « réussite du plus grand nombre » et du bien-être des enfants irriguent la parole publique dans des logiques bien-pensantes, chaque réseau scolaire (libre catholique, public municipal…) traduisant cette nouvelle norme dans les nouveaux programmes.
Le choc de PisaDans ce cadre, les résultats PISA ont été un choc pour la communauté scolaire de Belgique.
Le front commun syndical a demandé un « moratoire pédagogique immédiat », dénonçant, selon A. Van Haecht, « l’omnipotence des gourous de la pédagogie qui avaient fait baisser les résultats, entraîné une surcharge de travail des enseignants, supprimé les repères professionnels, mis en difficulté la reconnaissance professionnelle et augmenté la difficultés au travail ».
Du coup, en 2005, les pédagogues ont connu un moment de trouble, et ont pris des positions montrant les tensions dans le milieu. Marcel Crahay a jeté le pavé dans la mare en écrivant que la logique des compétences était à relier avec le néolibéralisme et contribuait à renforcer l’échec scolaire. Bernard Rey, critique connu de la notion de « compétences transversales », s’est attaché à réancrer les compétences dans les savoirs. On a détechnicisé, et repolitisé le débat, entre pédagogues, universitaires et politiques sommé de remettre de l’ordre. Le contrat stratégie pour l’Education est devenu un fade contrat pour l’Ecole, réaffirmant les « acquis minimum pour tous », mais où l’essentiel de la question scolaire fondamentale des parents est « où inscrire mon enfant en seconde », dans un pays qui garantit à chacun la liberté de choix et la compétition entre parents pour avoir un droit d’entrée dans les établissements recherchés…
Peter Labude : « en Suisse, installer des références communes à tous »
En Suisse, les 26 cantons ont chacun leur système scolaire. Avec la mobilité grandissante de la population, la nécessité d’harmonisation et de développement des systèmes a donné lieu au programme HarmoS, qui travaille à définir des caractéristiques scolaires communes : entrée en maternelle à 4 ans, suivies de six années au primaire. Du point de vue des compétences et standards, les compétences attendues ont été précisées pour trois niveaux de la scolarité (CE1, 6e, 3e), on cherche à vérifier dans quelles mesures les objectifs d’apprentissage sont atteints, en définissant quatre niveaux développementaux.
Si on tente de comparer les mots utilisés, en France, le Socle est défini comme « un ciment de la nation », quand la Suisse centre son discours sur l’harmonisation et la définition de standards de base. Les sept piliers du socle ne sont plus que quatre en suisse (langue1, langue 2, mathématiques, sciences expérimentales). Les «capacités » suisses sont les « compétences » françaises.
Les équipes suisses ont développé une matrice tridimentionnelle, présentant l’axe des domaines thématiques, celui des compétences et celui des niveaux d’acquisition, chaque grande compétence étant définie comme une « combinaison » entre les trois axes. Evidemment, cette conception est discutée par ceux qui pensent que la culture est plus que la somme des compétences disciplinaires acquises.
« Dans les tests papier/crayons réalisés en 2007 sur 8000 élèves, mais aussi à travers des tests expérimentaux filmés, nous avons cherché à mieux comprendre la manière dont des compétences comme «questionner et examiner » étaient acquises, et à faire des propositions sur les « standards de base ». Nous avons cherché à nous appuyer sur un modèle hybride, fondé sur la didactique de la discipline et les résultats des tests, avec un appui aux enseignants avec des propositions de tâches d’évaluation, des précisions sur les modalités de corrections, en en fournissant les données statistiques de résultats constatés à ce type de test, qui permettent aux enseignants de situer les résultats de leur classe par rapport à la norme constaté ».
Ce programme est un programme sur un temps long (plus de quinze ans), incluant des perspectives de formation continue et des temps de travail identifiés pour la recherche, permettant de creuser les concepts qui sont encore trop flousAndré Daher : de la difficulté à unifier les logiques communautaires au Liban
Au Liban, société éclatée s’il en est, on ose utiliser le terme de « SMIC culturel national». Dans le cadre d’une politique unificatrice de l’Etat Nation, les décideurs cherchent à constituer une identité nationale pour faire face à la babelisation des programmes et des manuels présents dans les différents réseaux scolaires et communautés présentes sur le territoire national.
Plusieurs critiques reprochent en effet à chaque communauté de tordre des curricula pour les faire entrer dans leur logique spécifique. Les réformateurs appellent à construire les ponts pour construire des espaces de tolérance et d’échanges nécessaires, à édifier la paix intra et inter-communautaire, dans l’espoir d’un «savoir universitarisé », général et universel, concourrant à un projet collectif national. Mais pour ses opposants, ce socle risque de gommer à l’excès les particularismes culturels et communautaires, au profit d’un discours sec et neutre qui occulte le passé récent de la guerre intercommunautaire, qui fait peu de place aux inégalités communautaires, qui privilégie un discours arabisant, lisse et dominant. « L’acceptation et la reconnaissance de la diversité n’est-il pas au contraire garant de la place de chacun ?». C’est donc,selon le chercheur, un montage composite entre exigences plurielles, valeurs de citoyenneté différentes, conceptions divergentes de ce qu’est l’éducation et la formation. Un éclairage qui, par son point de vue décalé, contribue à nourrir le débat français ?
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