Comme le précise en ouverture Dominique Raulin, pourquoi consacrer un atelier à l’évaluation par compétence, alors que le colloque porte sur le Socle Commun ? A l’été 2008, la publication des paliers 1 et 2 pour l’Ecole a laissé entendre que cette ambition allait être à prendre au sérieux, en définissant les compétences attendues, le niveau requis à chaque niveau. Mais à force de focaliser sur l’évaluation, ne va-t-on pas se mettre à distance de ce qui est essentiel, les processus d’apprentissage ?
Michèle Dell’Angelo et Nathalie Magneron : « articuler démarches et contenus ? »
Les Etats-Unis, adeptes de la totale liberté, se lancent tradivement dans l’amorce de standards de contenus ou de performance (1998).La Suisse, système fédéral (voir présentation de P. Labude), prend conscience de ses médiocres résultats dans PISA en 2000 et incite les cantons à harmoniser ses curricula.
En France, les programmes nationaux fixent les programmes à enseigner et les compétences à acquérir, avec des ambiguités sur les visées : utilitaires pour le travail ou à visée développementale et citoyenne ?
Tous les systèmes font des recommandations sur la nécessité d’organiser des situations d’apprentissage actives, des questionnements, les compétences contribuant à la démarche d’investigation, par exemple en sciences. Mais les Etat-Unis s’appuient davantage sur une articulation entre démarches et contenus préalablement acquis. On peut donc identifer des tensions entre socle et programmes, dans la mise en œuvre des enseignants, entre culture de l’apprentissage et culture de la mesure de la performance.
Catherine Delarue-Breton : « rond ou cercle, un indicateur… »
Peut-on dépasser l’opposition entre compétences et savoirs, en tentant de les faire de rejoindre à travers l’attitude de l’élève face aux savoirs ? Winnicot parlait d’attitude « créative », qu’il opposait à l’attitude soumise ou passive. Mais évaluer les attitudes, n’est-ce pas évaluer les personnes ? « Une posture d’appropriation » nécessite des médiations. C. Delarue-Breton observe la manière dont les élèves catégorisent les objets scolaires : le « rond » est un objet du monde, alors que le «cercle » est un concept, un ensemble de propriétés. Quand elle interroge les élèves sur la différence qu’ils font entre les deux, elle classe les réponses en trois catégories, révélatrices des compétences des élèves :
– ceux qui ne font pas de différence entre les deux termes restent manifestement près des savoirs d’expérience, sans accès aux contenus disciplinaires
– « en maths, il faut dire cercle » disent d’autres élèves, montrant qu’ils en restent à une construction formelle du cadre disciplinaire, qu’ils restituent des discours sans accéder aux concepts, ou au mieux en en restant aux instruments : « c’est ce qu’on fait avec un compas ».
– quelques uns seulement expriment des phrases du type « le rond, on peut le voir, le cercle, c’est plutôt des règles », indiquant à l’observateur qu’ils s’approchent de l’idée de propriété, de signification culturelle, inscrite dans un « cadrage disciplinaire » (au sens de Bernstein). « Le rond et le cercle, c’est pareil et pas pareil en même temps ».
Selon C. Delarue-Breton, quand on observe, au sein de la classe, les dialogues et échanges, les reprises et modifications entre élèves et enseignants, on peut mesurer les éventuelles ruptures, selon les trois niveaux énoncés précédemment. « Faire des liens, contextualiser, décontextualiser, renouveler le propos de l’échange plutôt que d’en rester à la conformité me semble marquer l’acquisition culturelle. En discerner les différences est un exercice qui ne va pas de soi pour les enseignants ». Mais apprendre aux enseignants à «rendre visible» les enjeux cognitifs de la séance lui semble est un enjeu qui pourrait davantage structurer les formations d’enseignants, en inscrivant au centre du système éducatif la relation de l’élève au savoir plutôt que l’élève…
Rachel Gasparini : le paradoxe de la note de vie scolaire
La note de vie scolaire, liée au socle commun par les piliers 6 et 7, place le «comportement » au même plan qu’une discipline, et a la particularité d’associer les enseignant et la vie scolaire. C’est un révélateur des différents principes de «justice» qui naviguent dans le système scolaire, qui ne font pas toujours consensus. Les professionnels y sont soumis en tension, parfois même à l’intérieur d’eux-mêmes.
Est-il juste de mettre une note scolaire à un comportement ? Pour un CPE, donner une évaluation chiffrée à plusieurs centaines d’élèves est matériellement impossible. De plus, elle recouvre des domaines de compétences de registres différents : sérieux, ponctualité, investissement dans le travail scolaire, prise de responsabilité, investissement envers les pairs… Certains élèves peuvent être insupportables avec une seule personne, ou être très dociles sans être socialement investis. Il faut donc, pour les professionnels, faire des arbitrages, faire preuve d’équité de traitement, se demander s’il faut être méritocratique, se demander s’il est possible de mettre 0 ou 20, si on ne risque pas de basculer vers la « double peine » de la sanction antérieure… Faut-il voir la note de vie scolaire comme un « moyen juste » pour rattraper les élèves en difficultés, au nom de leur valorisation et de leur « remotivation », au risque de renforcer chez eux le sentiments que les savoirs scolaires peuvent ne pas être au centre de la situation scolaire ?… Confrontés à trop de discussions ou de possibles discordes entre enseignants, CPE et chefs d’établissements, pris dans des tiraillements internes, les professionnels peuvent être tentés de renoncer à son usage, se méfier de surenchères concurrentielles qui risqueraient de pénaliser leur établissement, ou même adopter des attitudes contraires à leurs propres valeurs pour ne pas se sentir « encore plus inégalitaires » envers des élèves « décrocheurs »… Conflits de valeurs ?
Sabine Kahn, université de Bruxelles : « trois temps pour évaluer »
Dans les référentiels, les « marcro-compétences » sont très diverses. « Formuler une hypothèse », « mesurer une longueur »… Ce n’est pas la même chose.
C’est pourquoi nous distinguons :
– les procédures (actions standardisées : faire une multiplication…)
– les compétences qui recourent au procédures et permettent de résoudre des problèmes complexes (adapter son écrit au distinataire, participer à un débat…). C’est « savoir mobiliser ses acquis ».
– Mais « savoir traiter l’information » relève d’un autre logique, celle des compétences « avec mobilisation » où il faut choisir entre plusieurs procédures, faire preuve de finesse ou de discernement pour comprendre à quelle « catégorie de situation » réfère le problème à traiter…
Evaluer ces trois types de compétences pose des problèmes aux enseignants. C’est pourquoi, avec Bernard Rey, son équipe propose aux enseignants belges un modèle d’évaluation en trois phases :
1. évaluer d’abord la capacité des élèves à résoudre un problème complexe, inédit, non entraîné (une lettre qui propose d’aménager la cour en fonction du sondage fait auprès des élèves, du budget…)
2. reproposer la même tâche, mais découpée en petits problèmes qui mettent en jeu une seule procédure. (calculer une surface, choisir entre trois formulations…)
3. évaluer les procédures de base des élèves (faire une multiplication, remettre en ordre une phrase…)
Bien sûr, la difficulté à acquérir les « macro-compétences » des situations complexes est réelle, même lorsque les procédures sont maitrisées. De nombreux élèves proposent des situations « pragmatiques », mais n’arrivent pas à mobiliser les procédures acquises. Ils semblent ne pas avoir compris quel jeu on joue dans la classe, à ne pas pouvoir « construire un savoir mobilisable ». C’est pourquoi les outils d’évaluation qu’ils proposent précisent six paliers de réussite, du simple engagement dans la tâche à la réussite complète, du « à moitié fait » au « presque réussi avec une erreur de calcul » afin d’aider les enseignants à discerner les étapes.
« Mais les enseignants belges sont pris dans quatre systèmes d’évaluation totalement différents. Tant qu’on est pris dans des conflits enseigner/éduquer, ou procédures/problèmes, on n’aide pas les enseignants. »
Nathalie Younes (PAEDI) : « le poids du sentiment d’efficacité dans la motivation »
D’un point de vie de psychologie sociale, les interactions entre les pratiques, les conditions de milieu et les compétences psychosociales sont déterminantes. Le «sentiment d’eficacité » et la valeur accordée aux disciplines scolaires impacte la motivation, l’engagement, le succès. Mais nous ne voulons pas en conclure des explications « personnalisantes » et interroger l’Ecole. La démotivation nous semble liée aux pratiques d’évaluations sommatives, lorsqu’elles sont négatives, et obliger l’élève soit à intégrer un sentiment d’infériorité, soit décréter que l’activité n’est pas intéressante pour elle.
Pour que l’évaluation soit formative, elle doit valoriser l’engagement plutôt que la performance, valoriser l’effort, adopter une approche positive de l’erreur et des difficultés, ce qui reste des stratégies minoritaires chez les enseignants, comme le montre Bouffard. L’évaluation par compétence pouvant être un enjeu stratégique pour y parvenir, N. Younes organise les conditions d’une observation de ces phénomènes en classe de collège, du point de vue des élèves, des parents et des enseignants et espère publier des résultats concrets dans les mois à venir.
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