Par Jean-Michel Le Baut
Danger parodies ! Entre littérature, presse, art et télévision, les lycéens bretons et leurs camarades italiens proposent une relecture de Candide. Un travail original publié sur le le blog « i-voix » bien connu de nos lecteurs : un espace virtuel de lecture et d’écriture, de création et d’échange, autour de la littérature, mené en partenariat eTwinning par les Premières L du Lycée de l’Iroise à Brest et les élèves apprenant le français au Liceo Cecioni à Livorno.
Les lycéens français et italiens d’i-voix ont été invités à composer un magazine de presse virtuel autour de Candide, célèbre conte philosophique de Voltaire. Des articles variés leur ont été suggérés : Faits divers, Actualités, Histoire, Voyage, Jardinage, Littérature, Débats, Mode, Courrier…
Une démarche qui investit les élèves
Les lycéens d’i-voix ont d’abord étonné par leur investissement dans l’expérience : parallèlement à la lecture de l’œuvre, ils ont écrit plus d’une centaine d’articles en quelques semaines ! On ne peut que saluer une fois encore la capacité des TICE à faire vivre la littérature : le blog est le journal de bord idéal pour accompagner le cours d’une lecture,
internet et l’eTwinning donnent à l’écriture un destinataire et donc un enjeu fort, les logiciels image/son/vidéo/diaporama sont des outils dont les adolescents aiment s’emparer
comme si le travail devenait alors un jeu. Les nouvelles technologies démontrent
à nouveau par cette expérience leur capacité à revitaliser un livre qui à force d’être étudié dans la plupart des classes des lycées français aurait pu paraître à certains exsangue : l’œuvre Candide, si rebattue que presque morte, en a retrouvé des couleurs…
Les lycéens d’i-voix
ont aussi surpris par leur créativité. La qualité même de la plupart des articles est remarquable : ils témoignent souvent d’une lecture attentive de l’œuvre et d’une réflexion pertinente sur ses enjeux, avec un réel souci d’originalité et d’humour.
On notera d’ailleurs combien la génération des « digital natives » a développé un sens irrésistible de la parodie. Les imitations comiques se sont multipliées : simili faits divers,
détournements de publicités, pastiches de sites internet,
« à la manière de » la presse people, fausses petites annonces, chansons fantaisistes…
Est-ce à dire que l’écran habitue moins à vivre dans le réel qu’à se perdre avec délice dans ses multiples reflets ? La réécriture, ou le « remix », ou le « remake », semble devenu un véritable rapport au monde et à l’art. Le second degré est une façon d’être spontanément partagée par les adolescents : à nous, enseignants, de savoir l’exploiter.
Et si nous étions d’ailleurs à la croisée des chemins ?
Une enquête récente analysait « les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique »: parmi ses conclusions intéressantes, elle constatait une diminution de la lecture chez les 15-24 ans et un effacement de la distinction entre culture légitime et culture illégitime, culture savante et culture populaire, culture et distraction.
« Tout est sur la surface plane de l’écran, il suffit d’un clic pour passer du plus érudit au plus distractif. On peut même faire les deux en même temps, lire un texte sophistiqué en écoutant des chansons débiles. Certains sites s’attachent à mêler le plus sérieux et plus fantaisiste. C’est le caractère inédit de l’outil internet, par essence le lieu de l’impur. » (Olivier Donnat, sociologue et directeur de l’enquête, cité dans Télérama 3118)
« Candide LE MAG » en est une illustration. Ici les frontières se brouillent entre la littérature et la presse, entre l’art et la télévision, entre Candide et Voici, entre un conte philosophique et Le guide du routard, entre l’étude d’une œuvre et les tests psychologiques d’un magazine féminin, entre
Candide et Jude Law, entre Voltaire et Cabu, entre un écrivain et un cuisinier…
L’expérience « Candide LE MAG», par sa réussite quantitative et qualitative, montre qu’il ne faut pas voir dans cette évolution un déclin de la civilisation, sauf à vouloir préserver la pureté de la culture élitiste en la réservant à une élite. Ce « mélange des genres » est au contraire une chance à saisir pour les pédagogues. Ne doit-on pas espérer que la littérature puisse devenir pour tous un jeu et que chacun à sa façon (re)découvre le « plaisir du texte » ? Comme Voltaire utilisant le genre populaire qu’est le conte pour transmettre ses idées au plus grand nombre, ne nous faut-il pas nous aussi nous emparer de tous les outils à notre disposition pour diffuser les « Lumières », en l’occurrence le bonheur de lire ?
En guise d’invitation à
partager et prolonger cette expérience, on pourra apprécier cette chanson réécrite et interprétée par une élève : Cunégonde et Candide, ou l’étonnante rencontre de Voltaire et Téléphone …
On peut découvrir ce travail, « Candide LE MAG », soit tel qu’il a été réalisé au fur et à mesure dans le blog des élèves, soit à travers une sélection de ces articles reliés et publiés dans un livre virtuel Calaméo.
Le blog
http://i-voix.over-blog.com/categorie-11137822.html
Sous Calameo