La collection « Apprendre » des PUF propose une nouvelle livraison, avec un ouvrage qui fait le pari de reprendre, sous un autre angle, les thématiques qui en ont fait le succès, conjuguant une sélection d’auteurs pertinentes et un travail éditorial réel, destiné à faciliter la lecture
« Réussir à apprendre », coordonné par Marcel Crahay et Gaetane Chapelle, s’ancre dans un parti-pris assumé : l’éducation a à faire avec des savoirs, des connaissances sur le développement ou le apprentissages, mais aussi avec des valeurs, de l’idéologie, de l’éthique. Chacun des chapitres (et des contributions demandées aux auteurs) entend donc prendre un aspect du problème, en assumant des choix de points de vue, qui peuvent chacun être évidemment soumis à discussion. Selon la posture qui pourra surprendre un lecteur français parfois attaché à inscrire sa réflexion ou son action dans un courant pédagogique ou un point de vue spécifique, l’ouvrage donne la parole à des auteurs qui ont sur les leviers d’action possible des points de vue assez différents.
La question des savoirs de base
Plusieurs contributions donnent la parole à des spécialistes, issus de la psychologie cognitive, en leur demandant ce qui leur semble essentiel pour la mise en place de la lecture, de l’orthographe ou du calcul. Gombert, Fayol et Barouillet y développent leurs conceptions sur la nécessité d’exercer des entrainements rigoureux, centrés sur les difficultés ordinaires et fréquentes des savoirs à acquérir, l’explicitation des procédures et les apprentissages explicites, et en tenant compte des difficultés spécifiques de la langue française, qui nécessitent souvent d’articuler le travail de compréhension avec le travail sur les procédures. Dans une perspective à la fois proche et distante, Sylvie Cèbe, Greta Pelgrims et Catherine Martinet insistent sur la nécessité du guidage de l’enseignant dans « l’éducation de la pensée », pour apprendre progresssivement aux élèves à retourner leur activité vers les procédures qu’ils utilisent, pour en éprouver la pertinence : « apprendre à faire attention à ce qu’on comprend, ce qu’on apprend, ce qu’on ressent plutôt que sur ce qu’on fait ». Gaetane Chapelle insiste également sur la nécessité de ne pas rester à l’implicite des situations scolaires, qui favorise les élèves qui en ont déjà la connivence sociale, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir les « dynamiques motivationnelles », en comprenant mieux les écarts entre ceux pour qui « franchir le fossé est une promenade de santé, (quand) pour d’autres cela ressemble à l’ascension de l’Everest »
Du micro de la motivation au macro de la ZEP…
Décalant le point de vue avec l’appui des outils de la psychologie sociale, Thérèse Bouffard insiste sur l’importance qu’elle accorde aux processus qui renforcent l’estime de soi et le sentiment de compétence d’un élève, et Martial Van der Linden décrit finement comment les « capacités de régulation émotionnelle et sociale » entrent en jeu pour inhiber les réponses et comportements inaproppriés à l’Ecole, et invite les enseignants à l’intégrer à leur activité professionnelle quotidienne.
La focale sur les politiques scolaires de « discrimination positive », par Marion Dutrévis et M. Crahay, précise les différentes logiques à l’œuvre dans les différents pays, et montre comment elles ont rompu avec les logiques « égalitaristes » qui prévalaient jusque là dans les systèmes centralisés. Mais ils craignent que devant les difficultés à en évaluer les effets bénéfiques, elles soient « abandonnées sans débat public », alors que les évaluations et rapports laissent entrevoir à quelles conditions ces politiques peuvent être efficaces. M. Crahay invite également à progresser dans la limitation du redoublement, pratique toujours en vigueur dans nombre de systèmes éducatifs bien qu’elle semble avoir fait la preuve de son inefficacite.
Des publics « spécifiques » ?
Enfin, ue partie important de l’ouvrage se centre sur les problèmes spécifiques des « troubles » (ou besoins spécifiques…) de plusieurs catégories d’élèves qu’on peut être tenté de regrouper du fait de ce qui fait leur spécificité : enfants issus de familles migrantes, pour lesquels Christiane Perregaux invite à « revisiter » les catégories et les évidences, enfants à « haut potentiel » que Jacques Grégoire propose de ne pas installer trop à part, enfants sourds, autistes, dyslexiques, élèves victimes de « troubles déficitaires de l’attention » ou « hyperactifs » qui posent souvent la question de la part respective de l’inné et de l’acquis.
« Après la classe monosexe, c’est l’image de la classe monolingue, monoculturelle et monoraciale avec laquelle il faut faire rupture » précise l’introduction de l’ouvrage, tout en précisant que « dès lors qu’une solution institutionnelle est créée pour résoudre un problème, il y a un risque que celle-ci ne se mue en une situation de fait qui enferme l’individu dans une filière d’assistance, qui est aussi une trajectoire d’infantilisation, de pathologisation et, in fine, de victimisation ».
Au-delà des risques de quelques plaidoyers pro-domo de tel ou tel point de vue, toujours sujet à discussion scientifique, la cohérence de cet ouvrage est sans doute à chercher du côté de sa posture éthique, se rangeant dans le camp de ceux qui entendent chercher des solutions pour gagner une nouvelle étape dans la démocratisation scolaire. Il reste à en organiser la perspective transformatrice en tenant compte de « ce que ça demande » aux enseignants, aux pilotes ou à l’institution, souvent tiraillés entre des injonctions paradoxales et des tensions professionnelles fortes, entre reproduction sociale et démocratisation. Pour le prochain ouvrage ?
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