Alors que la réforme du lycée promet davantage d’autonomie aux établissements, l’IREA, institut de recherche du Sgen Cfdt, avait mis la question à l’ordre du jour de son colloque annuel. Mais l’autonomie des établissements, pour les profs, c’est plus ou moins de liberté ? Si la question n’a pas été posée en ces termes, elle a effleuré les débats du 13 novembre.
Ouvrant le 3ème colloque de l’IREA, l’Institut de recherche du Sgen-Cfdt, Jean-Luc Villeneuve a rappelé que l’autonomie des établissements est un serpent de mer qui replonge systématiquement tant il fait peur dans la vision traditionnelle de l’égalité républicaine.
Quelle idéologie sous-tend l’autonomie ?
Deux tables rondes ouvraient le débat en cette première journée. La première a permis de fixer des repères idéologiques sur l’autonomie des établissements. Pour Richard Cytermann (EHESS) l’idée est très brouillée sur le plan idéologique. Elle est revediquée aussi bien par un courant progressiste que par des théoriciens libéraux proches du Nouveau management public. S’agissant de l’autonomie universitaire, Jean-Yves Mérindol (directeur de l’ENS Cachan) montre que l’idée a progressé sous influence étrangère. C’est d’abord le modèle des universités allemandes qui fait réfléchir les Français après 1870. Et puis il y a le modèle américain où les universités ont été créées par les communautés religieuses sans soutien et sans reconnaissance de l’Etat. D’emblée elles sont autonomes. En France à la fin du 19ème, elles apparaissent avec le soutien des communes (la Sorbonne à Paris par exemple appartient à la Ville de Paris). En 1968 la loi crée les universités qui sont des établissements publics. Mais le pouvoir pédagogique dans les facultés reste sous contrôle étatique. Jean-Luc Derouet (INRP) fait un saut en 2000 avec la Conférence de Lisbonne. C’est là où les états s’engagent en faveur de l’autonomie des établissements, dans l’esprit du Nouveau management public, avec l’idée qu’ils devront rendre des comptes et obtenir des résultats. Plus qu’un recul devant le marché, l’autonomie lui semble marquer une reformulation de l’Etat en état managerial, garant d’une obligation de résultat. On tente alors de changer aussi l’environnement cognitif des chefs d’établissement pour les centrer sur l’obligation de résultats.
Quelles réalités actuelles de l’autonomie dans le secondaire ?
Pour répondre à cette question; l’IREA avait retenu trois points de vue. Celui d’un ancien directeur de la Desco, Bernard Toulemonde, d’un sociologue de l’éducation, Yves Dutercq et d’un proviseur, Michèle Amiel. Pour Bernard Toulemonde, l’autonomie des établissements secondaires est un concept introuvable. Sur le plan juridique, les textes ne contiennent le mot « autonomie » qu’une seule fois. Dans le statut de l’établissement, Jean-Pierre Chevènement, quand il était ministre, a biffé lui-même le mot. Les compétences de l’EPLE sont donc très encadrées. La tutelle étatique reste toute puissante puisqu’elle peut même annuler une décision du conseil d’administration (CA). L’autonomie d’un EPLE est donc une conquête. Mais une conquête sans conquérants : A chaque fois que l’institution a donné des marges d’autonomie, les EPLE ne s’en sont pas emparés. En 1985, quand on a globalisé les heures en 6ème cela s’est terminé par un Yalta des disciplines. En 1998, l’aide individualisée a finalement été mise dans les services ce qui a mis fin au projet de la gérer collectivement. On peut se demander si la globalisation annoncée dans la réforme du lycée ne suivra pas le même sort.
Pour Yves Dutercq, l’autonomie c’est l’idée que les politiques d’établissement peuvent avoir des effets sur les résultats des élèves. C’est une idée qui s’est répandue dans les pays développés, comme une forme de pilotage par les résultats, avec parfois le souci de faire des économies. En France on l’a concédée du bout des lèvres, la décentralisation ayant plutôt doublé les tutelles. On s’est peu occupé des enseignants dans leur rapport avec cette autonomie. Accorder l’autonomie aurait dû signifier élargir le nombre des parties prenantes dans les établissements, ce qui était possible avec le Conseil d’administration. Hélas, le CA n’a pas de rôle réel, ses membres sont peu formés et les enseignants ont eu tendance à le déserter.
Vu du bureau du proviseur, celui de M Amiel, l’autonomie c’est la volonté du chef d’établissement de développer son autonomie et d’aider le personnel à la construire.
La réforme du lycée va-t-elle réussir à instaurer davantage d’autonomie comme elle l’annonce ?
Pour B Toulemonde, les conseils pédagogiques, chargés de gérer les moyens, seront définis par décret ce qui est le meilleur moyen de les tuer et l’autonomie avec. Il aurait mieux valu en confier la composition au chef d’établissement. Yves Dutercq pense qu’il vaudrait mieux qu’on y trouve les représentants élus par le personnel.
De la salle, Françoise Clerc souligne qu’à chaque fois qu’on a parlé d’autonomie, les acteurs ne s’en sont pas saisis. Pourquoi ? Parce qu’on s’attache à la forme et pas à la finalité de la réforme. Comment traite-t-on l’autonomie des élèves et des professeurs ? Le problème ce n’est pas de donner des droits mais de repenser la structuration des établissements en y créant des corps intermédiaires, en créant concrètement les heures de concertation, en pensant à l’autonomie pour les élèves. Une idée reprise au vol par Y Dutercq : « Tant qu’on n’aura pas rassuré les profs, donné des envies, il ne faut pas espérer grand-chose des textes ».
Samedi, les travaux continuent. L’autonomie conduit-elle à la
concurrence ou
à la coopération ?Vaste question,
introduit prudemment Christian
Forestier, inspecteur général et
administrateur du CNAM, rappelant qu’en 1981, personne
n’était preneur des ZEP, sauf sans doute le SGEN-CFDT. Il
invite la salle à mesurer que le discours dominant
était alors celui de l’égalité de
moyens pour une égalité de résultats. « Nous ne sommes pas ici de ceux
qui
réfutent l’idée d’autonomie au nom de la crainte
caricaturale du libéralisme
dérégulateur. »
Agnès
Van Zanten, de son point de vue de sociologue, va prendre
ses distances avec la problématique. Elle
insiste sur le « construit
organisationnel fragile » qu’est
l’établissement, « dans
lequel le chef n’est pas vraiment le
chef, et où les usagers sont très lointains ».
Pour elle, dans
l’enseignement
secondaire, le principal enjeu de la concurrence, ce sont les
élèves, qui sont la ressource à partir
de laquelle on calcule les moyens dont dispose
l’établissement. Il faut donc avoir «
suffisamment d’élèves», mais
aussi «des élèves de bon
niveau» pour le confort, le prestige, les
résultats. La
concurrence est souvent portée par le chef
d’établissement, plus que par les enseignants, ce
qui renforce le découplage entre le pilote et
les personnels, et réduit encore les collectifs.
La concurrence
renforce la polarisation, aggrave les inégalités
et les hiérarchies entre établissements,
démotive les enseignants.
« Le risque d’enseigner uniquement ce qu’on évalue est
renforcé,
sans que pour autant le niveau des élèves
n’augmente. Le chemin vers l’autonomie me semble irreversible, mais ne
peut pas plaquer une autonomie formelle sans repenser la culture
dominante de l’institution, aujourd’hui tournée davantage
vers les filières d’excellence que vers le socle commun. Les
textes ne sont rien sans leur mise en oeuvre. La façon de
sortir du piège, c’est de comprendre ce qui se passe
à la base, et d’abord
permettre, avec un regard fin, de penser comment on renforce les
collectifs internes pour
qu’ils gagnent en efficacité et en organisation. »
Yves
Durand, député socialiste, ne nie
pas son
doute, et insiste sur les pièges sémantiques qui
ont été abordés la veille :
« les mots n’ont pas le même sens pour les uns et les autres.
La droite prône la concurrence entre les individus, et
à tous les niveaux. La gauche est à contresens
avec la bataille pour l’Egalité. On est tous pour
l’autonomie comme on est pour la liberté. Mais pour quoi
faire ? Je confirme que la liberté de choix
d’établissement est un leurre pour les familles. Pour moi,
les établissements doivent s’adapter, au
plan pédagogique, aux élèves qu’ils
reçoivent, et être évalués
là-dessus. Mais à Lille, nous
avons mis en place des filières d’excellence dans les
collèges des quartiers difficiles, et nous avons
malgré nous
créé à l’intérieur de
l’établissement les mêmes coupures qu’à
l’extérieur, voire renforcé les rangs du
privé. Il faut donc accepter le principe de
l’inégalité de moyens, et former les enseignants
à l’auto-évaluation à
l’intérieur de l’équipe pédagogique.
Cela passe par un peu moins de décalage culturel entre les
enseignants et leurs élèves, qui ne bougera
qu’avec des prérecrutements d’enseignants avant les concours ».
Un ange passe…
Autonomie et vie démocratique des établissements
Françoise Clerc,
professeur émérite à Lyon 2, propose
une problématique : « entre
les EPCS du supérieur et les EPLE des collèges ou
lycées, quels parallèles peut-on faire ?
L’apprentissage des stratégies d’orientation se cale
dès le lycée, dans les représentations
construites par les élèves. Cela n’est pas sans
rapport avec la manière dont les personnels s’emparent, ou
non, des espaces institutionnels disponibles, par exemple les conseils
pédagogiques ».
Pour Jean-Pierre Finance,
président de Nancy 2, la tradition de
l’Université et le statut de la fonction publique, avec ses
multiples statuts, rendent la situation française
singulière, alors que dans d’autres pays, les universitaires
se sentent d’abord appartenir à leur université
avant d’être membre de leur catégorie. Sur l’autonomie, il
adhère aux propos d’Agnès Van Zanten sur
l’importace cruciale de la mise en œuvre des projets, plus
qu’aux textes qui les fondent. Il insiste sur la
nécessité de rendre des comptes aux
différents financeurs, aux personnels, aux
étudiants. « C’est
le fondement du concept de service public, et pour moi la LRU s’y
inscrit, et j’en défends ici le projet. Ils sont dans la
filiation des lois de décentralisation, et la CPU s’est
engagée dans la loi que parce qu’il y avait un engagement de
moyens. Nous en ferons le bilan sérieux. »
Sur le sujet de la démocratie,
« le monde à
la fois lâche et hiérarchisé qu’est
l’Université » rend difficile la communication
interne bilatérale, mais aussi la place de chaque composante
au sein de l’établissement, dans un principe de
subsidiarité ». Même si c’est un « enjeu central »,
l’évolution individualiste de la
société renforce les « communautarismes. Une
gouvernance trop rigide sur la stricte performance et l’efficience peut
imposer un mode de fonctionnement interne qui limite la
démocratie interne, supprime des filières ou
renforce le divorce entre la direction et la base. A l’inverse,
l’autonomie peut permettre d’être moins hypocrite dans le
partage des responsabilités, d’édicter des
règles de transparence ou de mettre en place une
participation plus opérationnelle, au-delà des
instances de représentation classiques. Cela passe, pour
lui, par la professionnalisation du président de
l’Université qui ne peut plus être l’ancien
« primus inter pares », et doit apprendre à s’entourer d’une
structure administrative suffisamment solide pour consacrer son
énergie aux priorités pédagogiques..
José
Fouque, chef d’établissement et responsable
à « Education & Devenir », poursuit le fil en
incarnant la fonction de pilote à la tribune : « L’autonomie n’est
consusbstancielle de rien, mais la revendication d’autonomie des
établissements n’a de sens que pour mieux arriver aux
objectifs qu’on veut atteindre. Et pour y arriver, il faut organiser la
démocratie interne ». En 1972
déjà, la circulaire de rentrée
préconisait de libérer 10% du temps pour faire
autre chose que la classe ordinaire et à engager des
projets. « On en est
toujours là, parce que depuis ce moment-là, on a
plus cherché à uniformiser qu’à
reconnaître
l’hétérogénéité ».
On ne peut s’en sortir que par des projets qui touchent aux pratiques
professionnelles. « Or,
ça ne se décrète pas.
L’établissement peut permettre de s’entendre, localement,
sur ce qui, pris au niveau d’une réforme
nationale, déclencherait un cataclysme
immédiat. Dans mon établissement, plusieurs
commissions pilotées par les personnels eux-mêmes
alimentent les travaux du conseil d’administration et permettent de
mieux prendre en compte les nouvelles facettes essentielles du
métier. AInsi, on a transformé le soutien en
« colles » où les élèves en
difficultés viennent présenter une question
devant un jury. Au bout de quelques expériences, les
résultats sont extraordinaires, même si on
n’évite pas les conflits d’acteurs. Mais
généraliser ce fonctionnement dans un texte de
loi n’aurait aucun sens. Si une chose est possible du
côté de la centrale, c’est d’accorder des
heures-poste sans les flécher sur des disciplines… »
Quelles
propositions ?C’est
toujours la partie la plus difficile d’un colloque de ce genre. Ils
sont trois à s’y coller, de trois points de vue.
Pour Jean-Françoise
Méla, universitaire à Paris Nord,
fait autant de propositions envers l’Etat qu’envers les universitaires
eux-mêmes :
« le changement de culture de l’autonomie des universités n’a
de sens que si les universitaires y croient,
préoccupés des risques qu’elle induit ».
La haute administration elle-même ne refuse-t-elle pas, au
fond, de faire le pas ?
« En entrant dans l’autonomie à reculons, on frise parfois la
schizophérnie de la résignation ». Il
invite donc à sortir des doubles langages pour construire
une position offensive en direction de l’Etat, pour avoir les moyens du
projet et des innovations à construire dans le cadre de la
loi, qui laisse des marges de manœuvre. Le rapport que P.
Bourdieu avait remis en son temps ne contenait-il pas « un vibrant
hommage » à l’articulation entre l’autonomie et la protection
régulatrice de l’Etat aux plus faibles ? il faut donc « déchirer le voile de
l’égalité formelle » et le « confort de
l’irresponsabilité ». Mais, poursuit-il, la
focalisation actuelle de l’Etat sur les seuls « pôles
d’excellence » n’est pas de nature à prendre en charge les
enjeux démocratiques. Il faut donc « faire pression » pour
maintenir des pôles de recherche reconnus dans les
universités moyennes, accessibles au plus grand nombre.
Christophe
Bigaud,
représentant le SGEN-CFDT, prolonge le propos
précédent au niveau des EPLE, même si
ce n’est pas « une idée partagée dans le monde
syndical ». Pour lui, mettre l’élève au centre,
c’est nécessairement entrer dans un contrat d’objectifs avec
les autorités rectorales. Mais il ajoute
immédiatement l’exigence de « démocratie locale »,
en revivifiant les conseils d’administration, y compris en demandant
qu’il soit piloté par une autre que le chef
d’établissement ou la collectivité territoriale.
Il propose de s’appuyer sur les propositions faites par le ministre
pour la réforme des lycées, en s’emparant de la
possibilité que le conseil pédagogique soit
demandeur de fléchages d’une part de la DHG (y compris en
demandant qu’une part en soit contractualisée), ou
intègre davantage un espace possible pour les points de vue
des élèves. Il propose aussi que soient mis en
place une nouvelle instance de discussion entre employeur et
salariés, par exemples dans des CHS-CT locaux
(comités
hygiène sécurité, santé au
travail) pouvant discuter de l’organisation du travail. A l’inverse, il
réfute l’idée que cela conduise à
glisser vers un recrutement des personnels par les employeurs locaux,
et chute sur la nécessité de moyens pour gagner
le défi de l’autonomie
Alain
Boissinot, recteur de l’académie de Versailles,
parle en son nom, et pointe une fois de plus l’ambiguité
sémantique : « le
terme est mal choisi, s’il laisse croire que chacun pourrait faire sa
propre loi, élément de la cohésion
nationale et du pacte social ». C’est dans la mise en
œuvre qu’il est revendiqué des espaces, pour
éviter la tentation de « tout régenter dans le
moindre détail », facteur d’inefficacité. Il
demande également de sortir de l’habitudelle articulation
entre autnomie et moyens supplémentaires. Partant du fait
que les disparités sont actuellements importantes, au
delà même des seules comparaisons de recrutement
social, il pense que le développement de l’autonomie est une
urgente nécessité pour mieux réguler
les écarts. « Prendre des responsabilités,
ça se prépare, et ça se
régule. « Les
collaborations entre le recteur-chancelier et les présidents
d’université, les relations avec les régions ont
besoin d’être retravaillées, mais je vois des
changements très intéressants à
accompagner. Dans le second degré, les marges sont beaucoup
plus étroites. Les contraintes de gestion et d’affectation
des personnels, les normes de contenus sont trop fortes pour que
ça bouge. Il faudrait aller plus loin dans la mise en
œuvre du socle commune ou du CECRL pour pouvoir envisager une
nouvelle étape. Mais l’article 34 est là pour
favoriser les innovations… Les établissements ont des
espaces de liberté pour faire des choix outillés,
et avoir des résultats. »
Compte-rendu : François Jarraud
Le programme du colloque