Par François Jarraud
Comment favoriser l’égalité des chances dans les grandes écoles ? A l’initiative de ParisTech, un pôle de recherche et d’enseignement supérieur qui regroupe 12 grandes écoles (Polytechnique, Agro, Arts et Métiers, Ponts, HEC, Mines etc.), 300 participants issus de ces écoles mais aussi des entreprises et de l’éducation nationale avaient rendez-vous aux Arts et Métiers à Paris 13ème pour une journée de conférences et d’ateliers.
Trois grands moments ont éclairé la journée. D’abord le discours de Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France qui a appelé l’assistance à soutenir les compétences régionales qu’il estime menacées. En Ile-de-France, c’est la région qui finance les 12 écoles de la seconde chance, les missions d’insertion, même si ce ne relève pas de ses obligations. Au total elle dépense 1,8 milliard par an pour l’éducation,la recherche, les universités. « Il est primordial au plan de la cohésion sociale de favoriser la diversité des recrutements. Il y va du renouvellement des élites. On ne peut plus se satisfaire d’un système qui prédestine en fonction de l’origine sociale » a-t-il déclaré.
Le second grand moment est celui d’Odon Vallet. Universitaire, O Vallet est aussi un héritier qui distribue plus de 3 000 bourses chaque année, dont 2 000 au Vietnam et 900 au Bénin. Racontant avec beaucoup de sincérité et une conviction touchante son parcours et son expérience personnels, il a pu montrer comment se construit un système éducatif de plus en plus inégalitaire. L’allongement général des études augmente la sélectivité sociale. La mondialisation de l’enseignement supérieur va dans le même sens. Il lui parait d’autant plus nécessaire de se battre pour la gratuité des études, le système de bourse étant peu performant, et plus largement d’être plus vigilant envers toute mesure qui rend plus compliqué l’accès aux études.
Un troisième moment fort a été l’intervention de Claude Thélot. Expert reconnu du système éducatif, C. Thélot a pu avancer des pistes pour améliorer la démocratisation du lycée et de l’enseignement supérieur. Au lycée, il estime qu’il faut agir sur trois points. Le premier c’est l’orientation. Il faudrait mieux guider les élèves et pour cela leur parler en terme de parcours de formation plus qu’en terme de projet professionnel, inscrire l’orientation dans les emplois du temps des élèves et du professeur principal. Un second axe concerne les enseignements : que les lycéens aient davantage de possibilité de choix, que les littéraires fassent plus de littéraire, les scientifiques plus de sciences. Enfin que les lycéens soient davantage formés à l’autonomie. « Plus de TPE et le rétablissement des TPE en terminale ». Du coté de l’enseignement supérieur, il l’invite à être davantage présent dans les lycées, à indiquer par exemple clairement les pré-requis aux études supérieures. Il souhaite davantage de pédagogie dans l’accompagnement des jeunes étudiants. Et que les écoles réfléchissent plus aux conditions de leur accès. Répondant à Philippe Alquier (Polytechnique) il a rappelé que Polytechnique avait eu une politique de discrimination positive qu’elle a abandonné. Lui-même C Thélot a été admis à Polytechnique au bénéfice d’études de grec et de latin qui lui ont valu 70 points supplémentaires. Comment alors se satisfaire de la situation actuelle ?
Encadrant ces moments, deux tables rondes ont fait le point sur la situation en France et présenté des initiatives en Europe.
Le système éducatif français entre méritocratie et barrières sociales.
En France, Agnès Van Zanten a pu montrer qu’à côté des inégalités sociales, il y a aussi dans le système éducatif des parcours institutionnels imposés qui ajoutent de nouvelles barrières. Jusque là les efforts entrepris pour améliorer l’égalité des chances sont marginaux faute de s’attaquer aux principes du système. Daniel Laurent (Axa, Institut Montaigne) ne croit visiblement pas en la possibilité de réforme du système éducatif. « L’éducation nationale c’est le délit d’initié permanent » estime-t-il. « La question de l’ouverture vers le supérieur commence en maternelle ». Les inégalités lui paraissent fortes dès ce moment dans certains quartiers. Autre moment important : l’orientation en fin de troisième. Dans certains collèges, « l’orientation est anti-démocratique. L’autocensure des élèves et des familles est entretenue par certaines orientations faites en fonction de l’origine sociale ». Au Val Fourré , par exemple, on orienterait vers des filières courtes au motif que les familles maghrébines ne pourront pas payer d’études longues. Face à cela inutile de changer le système. Seule la micro-action est efficace.
Comment font-ils en Europe ?
Une seconde table ronde réunissait des acteurs étrangers. Bernardino Chiala, vice-président de l’Istituto Politecnico de Turin a témoigné de la politique de recrutement de son école.3 000 lycéens sont sélectionnés dans tout le pays et bénéficient d’une aide méthodologique et d’un soutien psychologique pour se préparer au concours. « L’aide psychologique ça faisait rire mes collègues, tous ingénieurs et scientifiques. Maintenant ils y attachent de l’importance ». Madeleine Garbsch témoigne de son expérience de psychologue scolaire en Autriche. Son centre travaille sur l’orientation des jeunes et leur apprend des méthodes pour faire face aux examens, traiter l’échec, la nervosité et la méthodologie. « La confiance en soi c’est le plus important » dit-elle. « On peut traiter les déficits ». Venue de Finlande, Eva Penttilä explique comment le système éducatif finlandais lutte contre les inégalités sociales. « On donne aux écoles des zones défavorisées beaucoup d’argent, c’est de la discrimination positive. Les écoles ont de l’argent en plus pour qu’elles puissent donner plus d’éducation. Toutes les écoles ont un psychologue, un travailleur social. Et on croit dans leur intervention. On croit dans l’efficacité des interventions précoces sur les enfants ».
La conclusion reste ouverte
Peu de suggestions sont venues des ateliers, lieux de brassage, d’échange voir d’oppositions. Peu de propositions aussi du directeur de cabinet de V Pécresse, si ce n’est le rappel de l’engagement de porter 50% d’une tranche d’âge vers l’enseignement supérieur et la promesse de faire de la tranche bac -3 à bac +3 un seul bloc cohérent.
Que conclure de cette journée ? Du coté des lycées, retenons d’abord l’importance du travail sur l’estime de soi. L’appui psychologique est bien une des clés de la réussite dans le supérieur. Or on sait que la particularité de la tradition éducative française c’est d’inhiber et de décourager. C’est aussi l’importance de la réforme de l’orientation. Sur ce point les propos de Claude Thélot nous ont paru très pertinents.
Mais, dans le supérieur, ajoutons aussi la nécessité de réelles évolutions institutionnelles. Après tout, ce sont elles qui expliquent que cette journée ait eu lieu. Avoir déplacé les représentants des plus célèbres institutions d’enseignement supérieur ne prend son sens que dans la mesure où la LOLF (la loi de finances) accompagne cet effort. Si l’engagement des individus est admirable, sincère et très riche, il ne peut suffire à faire bouger le système. Celui-ci a besoin d’arguments qui répondent à sa logique. La démocratisation de l’enseignement supérieur a une partie de sa solution dans la mise en place d’indicateurs qui lient financement et démocratisation. Sur ce terrain là on aurait aimé entendre les engagements des responsables éducatifs et politiques.
François Jarraud
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